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Politique

Rocard : « Parce que je suis un homme de Gauche »

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Michel Rocard, ancien premier ministre socialiste de François Mitterrand explique le rôle que lui a confié Nicolas Sarkozy à la co-présidence de la commission du grand emprunt d'Etat.

Nicolas Sarkozy a chargé lundi un duo d'ex-Premiers ministres, l'un de gauche, l'autre de droite, de coprésider la commission qui va réfléchir aux investissements à financer par un grand emprunt d'Etat. Michel Rocard, 78 ans, ancien Premier ministre du président socialiste François Mitterrand, et le député-maire UMP de Bordeaux Alain Juppé, 63 ans, qui fut celui de Jacques Chirac, devront lui rendre leurs propositions le 1er novembre.

J'ai vu votre jubilation sur le perron de l'Elysée en compagnie d'Alain Juppé... vous étiez heureux là, franchement ?

Moins que vous ne le croyez, parce que c'est intimidant cette tâche. Le rapport est difficile. Quel est le problème ? Le Président a décidé d'un grand emprunt. L'Etat en fait, emprunte tous les jours et tout le temps, ce n'est donc pas tellement nouveau. Ce qui est nouveau, c'est d'y mettre un peu de solennité. Pourquoi ? Parce qu'il faut financer avec un budget en déficit, des réalisations dont on a besoin. Mais il faut choisir celles qui seront le plus efficacement productrices de richesse pour diminuer la dette et le fardeau total. Il faut les choisir avec pertinence et ce n'est pas une confrontation de philosophie(s). Il faut faire des calculs. Sarkozy a choisi que soient représentées Droite et Gauche pour être sûr que le champ intellectuel du problème soit tout entier couvert.

Il vous a appelé quand ? Vous avez hésité ?
Il m'a appelé mercredi dernier (ndlr : le 1er juillet). Non je n'ai pas beaucoup hésité. La France est un pays bizarre. Le fait que majorité et opposition travaillent ensemble est une constante de toutes les démocraties. Partout, tous les gouvernements ont besoin de faire passer des choses sur lesquelles la façon de penser, la sensibilité et les informations connues de l'opposition ont besoin d'être intégrées à la machine. Tout le monde le fait partout. Mais en France nous avons un tel goût de la dramatisation et de la bagarre - pour le principe nous aimons nous engueuler - que ça surprend et que ça devient presque inhabituel. Je trouve ça dommage. Je suis là, parce que je suis un homme de Gauche, je le suis toujours. Mais je considère normal de faire mon boulot pour que la démocratie française progresse.

Je regarde la déclaration de Bertrand Delanoë. Débauchage, marketing politique dit le maire de Paris...
Il a raison de dénoncer un risque. Et ce risque je vais y succomber si le rapport est mauvais, d'une certaine façon. Si le rapport est bon et s'il on voit qu'une pensée redistributrice, régulatrice, une pensée de gauche est intégrée dans cette réflexion, ça aura fait du bien à tout le monde. Et à ce moment là, Bertrand viendra me féliciter.
Mais j'ai envie de dire ici autre chose. Nous sommes au cœur d'une crise économique grave plus profonde et qui sera plus longue qu'on ne le croit. Qui l'a annoncé ? Depuis un demi-siècle, le petit courant social-démocrate, dans la grande bagarre contre tous les totalitaires, avait choisi de soutenir le capitalisme, parce que l'économie de marché c'est la liberté. Nous n'avons rallier ni les fascistes, ni les communistes... Pas de regrets, la liberté c'est la clé de tout.
Mais dans cette alliance là, nous avons été dominés par les forces capitalistes énormes dans le monde. Quel a été le discours, depuis un demi siècle : faites attention les amis, le capitalisme n'est pas auto équilibrant. Les marchés ne sont pas auto équilibrants. Et donc pour cela, il faut réguler. Si on laisse s'accumuler les inégalités, on crée un manque de pouvoir d'achat qui vous met dans la crise. Voilà ce que nous disions, personne n'écoutait... ça n'a pas empêché les facteurs de crise d'être là.
Les Européens, aux dernières élections ont voté pour la continuation de ce modèle parce que c'est le droit de faire fortune pour tout le monde. Mais ce droit n'est pas compatible avec le système lui-même. La Social-Démocratie, c'est l'outil intellectuel qui a eu raison dans toute cette affaire. Je ne vais pas quitter ma crèmerie. Mais il faut expliquer qu'on a besoin d'un système mieux piloté, besoin de lutter contre les inégalités. Parce que la vitesse de la croissance dépend beaucoup de la consommation du petit peuple.

La rédaction-Bourdin & Co