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TAFTA: quand les parlementaires doivent jouer à James Bond pour accéder au traité

Les parlementaires français, comme leurs homologues européens, ont un accès restreint digne d'un James Bond aux négociations en cours sur le traité transatlantique. Mercredi, le député Jean-Frédéric Poisson, qui a pu consulter une partie du texte, s'en est ému à l'Assemblée nationale.

A l’origine davantage venues de la gauche de la gauche, les critiques sur le TAFTA et son opacité se sont depuis étendues à l'ensemble de la classe politique. Le député Les Républicains Jean-Frédéric Poisson a ainsi dénoncé mercredi lors des questions au gouvernement les conditions "très spéciales" de consultation des négociations du traité transatlantique pour les parlementaires.

Depuis peu, les parlementaires français peuvent accéder depuis Paris au dernier round des négociations et non plus à Bruxelles, comme c'était le cas auparavant. Mais les conditions sont rocambolesques.

La vingtaine de pages rendant compte du dixième round des négociations transatlantique sont consultables "uniquement en anglais, dans une salle fermée, en étant escorté par un fonctionnaire de Matignon, en laissant son téléphone à l’entrée, avec des menaces de sanctions pénales en cas de divulgation de leur contenu", s'indignent Jean-Frédéric Poisson et Laure de la Raudière mercredi.

"Comme si on était des primodélinquants"

Le député des Yvelines juge cette opacité "de nature à entretenir le soupçon". Il a d'ailleurs indiqué à BFMTV.com qu'il avait refusé de se soumettre à ce protocole "comme si on était des primodélinquants". Il n'a donc pu avoir accès aux documents.

"La France est la première à rendre cette salle opérationnelle", a positivé pour sa part le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur. "Depuis le lendemain de ma nomination (en septembre 2014), j'ai fait de la transparence le cœur de ce sujet", a assuré Matthias Fekl.

Il en a aussi profité pour envoyer une pique au député qui avait rencontré Bacha el-Assad en Syrie fin octobre 2015.

"Nous préférons vous savoir dans des locaux de l'administration française pour faire de la transparence que dans le bureau d'Assad en train de faire je ne sais quelle diplomatie parallèle".

"Comme si c'était une maladie honteuse"

Le député socialiste Hervé Pellois a consulté les documents: "On se sent un peu mis en quarantaine, comme si c'était une maladie honteuse", explique-t-il à BFMTV.com. "On ne peut pas se satisfaire d'une telle consultation (...) ce n'est pas à la hauteur de l'intérêt que peut y porter un parlementaire", déplore-t-il, expliquant qu'il aurait aimé être accompagné d'une de ses collaboratrices pour éplucher un document si technique rédigé en anglais et avoir plus de temps que les 45 minutes imparties.

Il salue néanmoins l'action de Matthias Fekl sans qui cette salle de lecture n'existerait pas mais juge que c'est "presque de la provocation". "Je sais ce que c'est que le secret professionnel et j'ai l'habitude de travailler avec des documents confidentiels", rappelle-t-il. 

Et qu'en a-t-il tiré? "Je ne pense qu'on soit à l'aube d'un accord", juge-t-il en expliquant avoir vu des reculs dans les négociations sur les sourcilleuses indications géographiques protégées. Mais peut-être s'est-il trop avancé. "Je ne sais rien de ce que l'on peut dire ou ne pas dire", balaie-t-il.

Un échange comparable en mai 2014

Sur le fond, les demandes de transparence ne cessent d'affluer depuis que les négociations ont été lancées en juin 2013. Un échange du même type avait déjà eu lieu en mai 2014 entre la députée socialiste Seybah Dagoma et la secrétaire d'Etat chargée du commerce extérieur qui était alors, Fleur Pellerin.

"Il nous faut accroître la transparence des négociations et améliorer la manière dont le gouvernement en rend compte à la représentation nationale", assurait déjà la secrétaire d'Etat.

Dans un entretien à BFMBusiness.com, l'eurodéputé écologistes Yannick Jadot raillait en avril 2015 que Mathias Fekl devait se rendre à l’ambassade des Etats-Unis pour avoir accès certains documents.

La salle de lecture allemande présentée par le vice-chancelier

Et ces critiques sont loin d'être circonscrites à la France. Début février la députée écologiste britannique Molly Scott Cato ironisait dans le Guardian sur cette confidentialité digne d'un James Bond: "Il semblerait que même si j'ai dépassé les 50 ans, mes chances de devenir une espionne ne sont pas mortes".

"La première chose qui saute aux yeux, c’est que les termes de ces limitations d’accès ont fait l’objet de négociations entre la Commission européenne et les Etats-Unis", s'indigne également la députée allemande du parti Die Linke, Katja Kipping, qui a rendu compte de son expérience après avoir eu accès à la salle de lecture allemande.

Cette salle de lecture, ouverte le 1er février aux parlementaires allemands, avait été présentée à la presse par le ministre de l'Economie, Sigmar Gabriel, en personne, fin janvier.