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Comment LaREM se prépare à assumer l'usage du 49.3 pour faire voter la réforme des retraites

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Plusieurs figures macronistes, prenant acte de l'obstruction mise en œuvre par les insoumis et les communistes, rechignent de moins en moins à évoquer le recours à cette arme constitutionnelle redoutable. Son usage, dans le cas d'espèce, serait quasiment inédit.

Les esprits s'y préparent petit à petit. En haute macronie, chacun constate que les débats autour de la réforme des retraites à l'Assemblée nationale n'avancent pas. Ce dimanche, les députés en sont toujours à discuter l'article 1er (alinéa 8 à 10) d'un projet de loi qui en compte 65. Il reste par ailleurs plus de 34.000 amendements au texte à étudier, sans compter les très nombreux sous-amendements, déposés principalement par les groupes insoumis et communiste. 

Face au mur procédural auquel se heurte La République en marche, il est hautement improbable qu'un vote du projet de loi puisse avoir lieu en première lecture avant les élections municipales... Sauf à ce que soit brandi l'article 49.3 de la Constitution. Au point que plusieurs cadres du mouvement, de la majorité et du gouvernement en évoquent l'hypothèse mezzo forte

"Si nous y sommes poussés, (...) les parlementaires de la majorité prendront une décision qui est responsable, appuieront le gouvernement, parce que (...) ce qui est important pour nous, c'est de pouvoir mettre en place ce système universel", a par exemple déclaré la députée LaREM des Yvelines Marie Lebec sur BFMTV ce dimanche. 

"Ce serait un 49.3 procédurier"

"On installe les conditions de sa mise en œuvre et on le fait intelligemment, je trouve", assume un membre du bureau exécutif de LaREM auprès de BFMTV.com, avant de se demander à haute voix "pourquoi le gouvernement n'utilise pas le vote bloqué".

Après vérification, notre source se ravise. Cet outil-là (article 44.3 de la Constitution) permet en effet de soumettre au vote le texte tel que le souhaite le gouvernement, mais ne supprime pas le temps de discussion. Ce qui, en l'occurrence, est le plus chronophage, quand bien même l'exécutif a fait le choix de passer le texte en procédure d'urgence. 

"Si on l'utilise, ce serait un 49.3 procédurier, un cas inédit! Là, tout est bloqué dans l'hémicycle par vice de procédure", poursuit le cadre LaREM. En d'autres termes, l'usage du 49.3 serait d'abord une réponse aux tactiques parlementaires de LFI et du PCF.

Car il faut le rappeler, Emmanuel Macron et Édouard Philippe s'appuient aujourd'hui sur un bloc majoritaire ultra dominant, qui inclut 300 marcheurs ainsi que le MoDem et à certains égards l'UDI. Même le groupe Liberté et Territoires compte de potentiels soutiens à la réforme des retraites.

Or l'article 49.3, par lequel le Premier ministre engage la responsabilité de son gouvernement sur un texte législatif, est normalement réservé aux majorités étriquées. Ce fut le cas sous Raymond Barre, Michel Rocard, Edith Cresson ou, plus récemment, Manuel Valls. Confronté à la sécession des "frondeurs" socialistes, le Premier ministre de François Hollande s'est senti contraint de leur forcer la main pour passer deux textes gouvernementaux majeurs. 

Il y a toutefois des précédents à l'usage qu'entend en faire l'actuel exécutif. Pierre Mauroy par exemple, en 1982, dispose d'une majorité socialiste solide lorsqu'il engage sa responsabilité sur les nationalisations dans les secteurs industriel et bancaire. Il utilise l'article 49.3 avant tout par souci d'efficacité, en sachant que la motion de censure déposée en retour par l'opposition de droite n'aura aucune chance de recueillir suffisamment de signatures pour faire tomber le gouvernement.

"Sabotage"

Dans le contexte actuel, "la question n'est plus si, mais quand", va jusqu'à affirmer un haut responsable de LaREM dans les colonnes du Journal du Dimanche. Invité de BFM Politique ce même dimanche, le ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a rappelé que le gouvernement avait "les moyens constitutionnels de faire avancer les choses". 

"Le gouvernement a une posture ouverte depuis le début, (...) ça va continuer, maintenant quand vous avez des gens qui sont simplement dans l'obstruction, que voulez-vous faire d'autres que d'utiliser des outils", a-t-il poursuivi sur notre antenne, pointant du doigt les manœuvres de la gauche de la gauche. 

Autre élément de langage désormais dégainé à tout-va, celui du "sabotage" du débat parlementaire par Jean-Luc Mélenchon, André Chassaigne et leurs troupes respectives.

"Je crois qu'on a réussi à obérer le bénéfice politique de LFI", estime un poids lourd de la majorité qui, il y a une dizaine de jours pourtant, nous confiait sa crainte que le 49.3 n'envoie un "mauvais signal" auprès des électeurs sur le terrain. Ne serait-ce que parce qu'une telle réforme impliquera de lourdes conséquences pour les générations futures. 

Désormais, avec la "pluie de sous-amendements", ce parlementaire voit les choses différemment. "Il faudrait un an de débat à ce rythme", soupire-t-il. 

"Les parlementaires ne sont pas là pour fabriquer la loi"

Reste que certains élus de l'aile gauche de LaREM ne l'entendent pas de cette oreille. Dans une tribune publiée sur le site du Monde, quelques députés du "collectif social-démocrate" de la majorité, ainsi que d'anciens marcheurs comme Matthieu Orphelin ou Paula Forteza, mettent (une fois de plus) en garde la macronie. Pas de quoi déclencher une fronde, toutefois.

"Au regard des inquiétudes suscitées par ce texte, et du climat social tendu, une telle utilisation du 49.3 serait délétère car incompréhensible pour les Français", écrivent ceux d'après qui l'emploi de cette procédure reviendrait à "dévoyer le rôle du Parlement" et "dégrader le rôle des parlementaires".

Là-dessus, un conseiller de Matignon nous rappelait il y a peu l'équilibre institutionnel particulier de notre régime: 

"Sous la Ve République, les parlementaires ne sont pas là pour fabriquer la loi, c'est un fait. Ils sont là pour entériner les projets du gouvernement. Et ça, il va falloir que ça leur rentre dans le crâne."

En somme, et il y a maints exemples pour l'illustrer, c'est l'exécutif qui décide, point à la ligne. Il aura encore l'occasion de le prouver avec la réforme des retraites, malgré le remue-ménage que cela pourrait causer. Il faut par ailleurs rappeler qu'un nouveau débat s'ouvrira au Sénat, puis en seconde lecture au Palais-Bourbon au printemps.

Jules Pecnard