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Moscovici : «On fait en Iran comme Bush en Irak»

Pierre Moscovici, responsable des questions internationales du PS

Pierre Moscovici, responsable des questions internationales du PS - -

Commerce extérieur et Affaires étrangères : Pierre Moscovici, responsable des questions internationales du PS, analyse la position française en Europe et dans le monde.

J-J B : Pensez-vous que François Fillon a employé le mot « faillite » pour exister ?
P M : Oui je pense qu’il a un vrai problème avec Nicolas Sarkozy qui lui laisse très peu de marge. Donc comme il parle peu, pour se faire entendre il est obligé de parler fort. Je trouve qu’il a une petite tendance à la gaffe, après celle de la TVA Sociale. Le mot faillite n’est pas exact, mais fait mal à François Fillon et à Nicolas Sarkozy parce que ça souligne leur propre incapacité.

J-J B : La situation des finances publiques de la France n’est plus supportable ?
P M : Elle est très difficilement supportable et l’on est obligé de constater qu’elle s’est dégradée depuis 2001, depuis que la France a moins de croissance. Quand monsieur Strauss-Kahn était ministre des Finances ou encore monsieur Fabius, nous avions une baisse des déficits et une baisse de la dette… mais c’est le seul moment où ça s’est passé ainsi.

J-J B : Ca fait donc trois ans qu’on ne présente pas un budget en équilibre…
P M : Oui mais on a tendance à oublier qui était au gouvernement, entre 2002 et 2007. C’était la droite avec Jacques Chirac. Nicolas Sarkozy était ministre sans arrêt ou presque, François Fillon était lui aussi membre du gouvernement. Et pas sur des postes peu importants, puisqu’il s’occupait de l’Education et des Affaires Sociales. Ça souligne donc une erreur de gestion invraisemblable, puisqu’ils savaient qu’il y avait une situation de la dette publique qui était très grave, que le déficit public était menaçant, que la croissance n’était pas très forte… Et malgré tout ça, aussitôt arrivés au pouvoir, ils ont injecté 15 milliards d’euros à des couches favorisées

J-J B : Est ce que vous pensez qu’on a fait croire au pays qu’il pouvait vivre à crédit ?
P M : On a fait penser au pays, pendant la campagne électorale de Nicolas Sarkozy, que tout allait bien. Que l’élection créerait un choc de croissance et de confiance, qu’on pouvait dépenser sans compter. On a fait des dépenses fiscales énormes.

J-J B : Ça a été une erreur ?
P M : Il aurait fallu insister sur l’offre productive, sur l’appareil productif, sur l’industrie, sur la compétitivité de la France, sur la connaissance. Au lieu de ça, on a choisi de privilégier des promesses fiscales formidablement coûteuses faites à des clientèles électorales. On se retrouve aujourd’hui dans une situation où l’on a des dépenses en plus, des recettes en moins parce que la croissance est faible, le budget, une stabilisation des finances publiques infaisable. Alors, quand François Fillon dit que l’Etat est en faillite, c’est aussi la faillite du pouvoir qu’il incarne avec Nicolas Sarkozy.

J-J B : Que préconisez-vous ?
P M : C’est une question compliquée puisqu’on ne peut pas être à la fois dans l’opposition et dans la préconisation. La première des choses, c’est qu’il est difficile de préconiser un budget à un gouvernement qui doit réaliser un plan de rigueur alors qu’il s’est mis lui même une balle dans le pied en dépensant 15 milliards d’euros de dépenses fiscales. Franchement la première chose que j’aurai faite aurait été exactement l’inverse de ce qu’ils ont fait. Je pense qu’à ce moment là, il aurait fallu annoncer un objectif vertueux en termes de finances publiques. Je pense qu’il aurait fallu dire que la campagne contre la dette publique devait être au cœur des préoccupations du gouvernement, et qu’on devait mettre l’accent sur ce qui prépare l’avenir de notre pays. Aujourd’hui comment faire ? Ils vont déposer leur budget mercredi et on verra.

J-J B : Ils se sont exportés avec un euro très fort ?
P M : Là aussi il y a une tendance, celle de M. Sarkozy, celle de M. Fillon, à tirer sur le pianiste. C'est-à-dire, à faire comme si la faute était toujours celle des autres. C’est vrai que l’euro est trop fort et il faut chercher les moyens entre les gouvernements européens et la Banque Centrale Européenne, pour qu’il retrouve un taux plus juste. En même temps, vous dites « impossible d’exporter avec l’euro fort », je vous donne deux chiffres : France : 35 milliards de déficit du commerce extérieur. Allemagne : 170 milliards d’excédents. Et la monnaie de l’Allemagne est l’euro qui y est fort aussi. Cela prouve que ce qui fait une puissance exportatrice, c’est d’abord la capacité du pays, sa structure, son génie propre. La France n’est peut être pas aussi génialement commerçante ou industrieuse que les Allemands. Donc ne tirons pas sur l’euro.

J-J B : Est ce que vous pensez que les franchises médicales vont servir à financer les recherches sur Alzheimer et le Cancer ?
P M : On sait déjà que c’est faux. On va nous annoncer les franchises, qui sont destinées à faire baisser lé déficit de la Sécurité Sociale de 12 milliards d’euros à 9 milliards d’euros l’an prochain. On voit bien de quoi il s’agit : d’abord de faire payer les assurés. On peut d’ailleurs craindre que ça ne soit pas suffisant pour permettre de résorber le déficit. Philippe Seguin a fait une proposition il n’y a pas longtemps en examinant le déficit de la Sécurité Sociale : pourquoi est ce qu’on ne taxerait pas les stocks options ? Ce qui pourrait rapporté 3 milliards d’euros d’un coup. On voit bien ce que ce gouvernement aime faire. C’est toujours les mêmes qui paient et les autres qui sont exonérés.

J-J B : Nicolas Sarkozy a déclaré « Les conditions ne sont par réunis, le Ministre Français des Affaires Etrangères n’ira pas pour l’instant à Téhéran ». Est ce qu’il a raison ?
Disons que les déclarations de Bernard Kouchner sur la logique de guerre n’étaient pas de nature à bien préparer le terrain.

J-J B : Il a eu tort d’employer le mot « guerre » ?
P M : Il a tellement eu tort que Nicolas Sarkozy dit dans un journal américain qu’il n’utiliserait pas ce mot-là. Il a eu tort d’utiliser ce mot et de l’utiliser de la manière dont il l’a fait, avec une sorte de jubilation, de satisfaction. Ce qui m’a choqué c’est que la France est le pays qui a dit non à la guerre en Irak, et que nous sommes maintenant en avant des néo-conservateurs américains, qui sont ceux qui l’ont organisé. Si l’on regarde ce qui s’est passé en Irak il y a quelques années, on cherchait des armes de destructions massives, il y avait un processus d’inspection par les Nations Unies. Les américains ont déclenché la guerre et on s’est aperçu après qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive et nous voilà à nouveau dans le même type de problème. Voilà la situation : en Iran un programme nucléaire est en train de se développer. Il y a un contrôle qui cherche à être établi par l’Agence Internationale d’Energie Atomique. Il semble que les choses commencent à s’amorcer et c’est juste le moment où certains disent qu’il ne faut pas faire confiance aux contrôles et qu’il faut faire la guerre. Nous avons exactement l’attitude face à l’Iran qu’avait l’administration Bush face à l’Irak il y a quelques années.

J-J B : Ahmadinejad dit « l’Iran n’a pas besoin de l’arme nucléaire », faut il le croire ?P M : Non il ne faut absolument pas faire confiance à M. Ahmadinejad et il ne faut pas non plus être naïf. Je ne jette pas la pierre à Bernard Kouchner jusqu’à un certain point ; je pense que l’Iran ne doit pas avoir l’arme nucléaire, c’est extrêmement dangereux. Toutes les hypothèses doivent être ouvertes et je ne dis pas qu’il n’y aura pas de conflit avec l’Iran. Ce que je dis en revanche, c’est que ce n’est sûrement pas l’option qu’il faut privilégier. L’option à privilégier est l’option diplomatique et l’option des contrôles.

J-J B : Est ce que la France doit réintégrer l’Otan ?
P M : Il faut prendre les choses en amont. Ce qui me gêne dans la politique étrangère de Nicolas Sarkozy, c’est l’Atlantisme. Malheureusement aujourd’hui ça a beau me gêner, c’est ce qui est en train de se passer. Sur l’Irak nous ne disons plus rien sur le retrait des troupes, sur l’Afghanistan nous envoyons des avions en rafales, sur l’Iran nous sommes exactement en avant des positions qui sont celles de néo-conservateurs et enfin il y a cette affaire de l’Otan. La France est dans l’Otan et n’en est jamais sortie. Elle a quitté l’état major. Et voilà maintenant qu’on envisage d’y rentrer mais je ne vois pas à quoi ça nous servirait ! Dans cette affaire, je ne suis pas dans une logique religieuse ou idéologique. Je pense qu’on essai de transformer l’Otan en une alliance qui aurait deux piliers à savoir un américain et un européen. Mais ce dernier n’existe pas encore et personne ne peut assurer que les américains respecteront leur partenaire européen. Il faut donc absolument prendre son temps et j’ai plutôt tendance à dire non à cette réintégration.

J-J B : Parlons du livre de Lionel Jospin. Est-il injuste avec Ségolène Royal ?
P M : C’est un livre qui n’est pas ce que certains extraits ont présenté. C’est argumenté, il y a beaucoup de choses utiles et qui pourraient l’être aussi à Ségolène Royal. Parce qu’on est forcé de le reconnaître, si elle n’a pas été élue présidente de la République c’est une faute collective, mais c’est aussi la sienne. Là où je suis en désaccord avec Lionel Jospin, quand il est systématique et catégorique, c’est que ce n’est pas seulement de la faute de Ségolène Royal. Si elle a été battue à l’élection présidentielle, ça ne tient pas à sa personnalité. Je pense qu’elle doit changer et qu’elle doit apprendre. Je pense aussi qu’elle le sait. Aucune porte ne doit lui être catégoriquement fermée.

J-J B : « Seule femme à parler de sexisme quand elle est critiquée » dit Lionel Jospin…
P M : Dans l’aspect religieux, j’aimerai bien qu’elle nous parle d’autre chose, qu’elle laïcise un peu la politique, d’autant plus que le socialisme est avant tout une doctrine laïque. Mais je crois aussi que Lionel Jospin gagnerait à adoucir son propos, à être moins catégorique et à regarder toute la séquence historique. Il y a chez lui une non volonté de regarder ce que nous avons fait en 1997 et 2002 par exemple.

J-J B : Dominique Strauss Khan ne sera pas candidat en 2012 ?P M : DSK s’est engagé auprès du FMI jusqu’en 2012, je pense qu’il est totalement engagé dans cette affaire, qu’il est sincère. Cela dit 2012 est encore très loin et nous verrons bien dans quelles conditions se présente l’élection présidentielle. Je crois qu’il ne prépare pas un retour mais il ne faut jamais écarter personne d’aucune course.

J-J B : Il y a des problèmes au PS ?
P M : Ça pourrait être mieux, le PS est trop divisé, il propose peu et mal. Mais je crois qu’on doit vraiment travailler sur une refondation. Nous venons de perdre la troisième élection présidentielle de suite, nous sommes dans la minorité. La droite a été reconduite pour la première fois depuis 1978, il serait donc étonnant que le PS aille bien. Ne soyons pas autosatisfaits. Nous avons du travail, il faut le faire avec l’esprit de fraternité.

La rédaction-Bourdin & Co