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Politique

Les tics sémantiques du gouvernement français

La rupture "apaisante" voulue par le "normal" François Hollande, après l'"hyperprésidence" de Nicolas Sarkozy, s'est traduite dès le début de son mandat par une sémantique politique originale. /Photo prise le 4 juillet 2012/REUTERS/Philippe Wojazer

La rupture "apaisante" voulue par le "normal" François Hollande, après l'"hyperprésidence" de Nicolas Sarkozy, s'est traduite dès le début de son mandat par une sémantique politique originale. /Photo prise le 4 juillet 2012/REUTERS/Philippe Wojazer - -

par Julien Ponthus PARIS (Reuters) - La rupture "apaisante" voulue par le "normal" François Hollande, après l'"hyperprésidence" de Nicolas...

par Julien Ponthus

PARIS (Reuters) - La rupture "apaisante" voulue par le "normal" François Hollande, après l'"hyperprésidence" de Nicolas Sarkozy, s'est traduite dès le début de son mandat par une sémantique politique originale.

Le candidat François Hollande avait déjà marqué les esprits lors de son débat télévisé d'entre les deux tours avec son rival, avec sa désormais célèbre anaphore, "Moi président de la République", répétée 16 fois face à la caméra.

Depuis, ni lui ni son gouvernement n'ont tenu en bride leur créativité sémantique. Ainsi, dès l'attribution des maroquins, la nouvelle équipe a mis sa patte au fronton des ministères.

La ministre chargée de lutter contre l'échec scolaire s'est vu ainsi attribuer "la réussite éducative". Plutôt que de la "dépendance" des personnes âgées, la ministre déléguée Michèle Delaunay a hérité du dossier de leur "autonomie".

Arnaud Montebourg n'a pas reçu le portefeuille de l'industrie, mais celui du "redressement productif".

Malgré l'annonce de nombreuses hausses d'impôts pour tenir le budget 2012, jamais le gouvernement de Jean-Marc Ayrault n'a voulu assumer les mots d'austérité ou de rigueur et les journalistes qui les utilisent se font vertement rabrouer.

Le gouvernement n'en démord pas: répétés en boucle lors de ses interventions, ce sont les termes "redressement dans la justice" ou "effort juste" qui définissent son action.

L'une des rares à avoir mis les pieds dans le plat, la ministre de la Fonction publique, Marylise Lebranchu, a créé l'émotion début juillet en avertissant les fonctionnaires qu'ils devaient se préparer à "un grand moment de rigueur".

L'ancienne ministre de la Justice a dû faire marche arrière alors qu'au même moment Jean-Marc Ayrault déployait des trésors d'éloquence pour convaincre que son discours de politique générale ne pouvait pas être assimilé à de l'austérité.

"NI OUI NI NON"

"Cela me fait penser au jeu du 'ni oui, ni non' auquel on joue avec les enfants: le premier qui dit le mauvais mot a perdu", s'amuse Abel Lanzac, le nom de plume du scénariste des bandes dessinées à succès "Quai d'Orsay".

Ce succès de librairie s'inspire de son expérience de responsable du "langage" au cabinet de Dominique de Villepin lorsque ce dernier était le chef de la diplomatie française.

"Quand vous jouez à 'ni oui ni non', les gens ont toujours des phrases très ampoulées, c'est un peu le même phénomène avec les hommes politiques, il y a des mots qu'ils ne peuvent pas prononcer parce qu'immédiatement on leur tombe dessus."

Au niveau européen, le gouvernement a aussi cherché l'euphémisme quand était évoqué le "grand saut fédéral" lors du sommet européen de juin.

Alors qu'était avancé le concept d'union budgétaire, la France s'en tenait à la notion "d'intégration solidaire".

"Souvent le mot vient compenser le manque, on parle de redressement productif au moment où il y a un problème de production. On ne veut pas employer le mot de fédéralisme parce que justement on doit aller vers le fédéralisme", analyse Abel Lanzac.

François Hollande a aussi été critiqué pour avoir lancé un débat sur l'euthanasie en évoquant pudiquement la "fin de vie".

TOURNER AUTOUR DU POT

Cette prudence était déjà celle du candidat socialiste, se rappelle Mathieu Sapin, l'auteur du reportage en bande dessinée "Campagne présidentielle, 200 jours dans les pas du candidat François Hollande".

"Je me rappelle que sur l'euthanasie, pendant la campagne, effectivement on tournait autour du pot. François Hollande est très fort pour contourner quelque chose qui peut être problématique, on comprend ce qu'il veut dire, mais ce n'est pas la formule qui fâche".

Pour François-Gilles Egretier, qui fut chargé des éléments de langage auprès de l'ancienne ministre des Finances Christine Lagarde, François Hollande a gardé une cohérence entre sa campagne et sa présidence.

"Ce qui me frappe, c'est la continuité du discours entre la campagne et maintenant : il y a là une vraie stratégie sémantique", explique cet universitaire, qui enseigne la sémantique politique à l'Institut d'études politiques de Paris.

"Il y a une vraie cohérence entre la construction du discours politique articulé dès la campagne, je pense notamment aux thèmes du redressement dans la justice, la volonté d'être jugé à l'aune de ce qui aura été juste, et le discours du gouvernement actuel."

"AVANCER EN ÂGE"

Le "politiquement correct" français, qui transforme les sourds en malentendants, les aveugles en non-voyants, les immigrés en personnes issues de la diversité et les femmes de ménage en techniciennes de surface, frappe aussi.

La créativité sémantique de certains membres du gouvernement a quelquefois fait le "buzz" et la joie des internautes.

La ministre déléguée aux Personnes âgées Michèle Delaunay est devenue une éphémère star du réseau social Twitter en proposant à ses homologues européens de bannir le mot vieillir.

"J'ai donc proposé 'avancer en âge' et à ma surprise, un accueil très favorable des francophones a été fait à ma proposition", écrit sur son blog la ministre.

"Encore un effort, et un jour on ne dira plus 'tomber amoureux' mais 'monter' qui convient mieux à l'esprit de légèreté et à l'énergie de cette circonstance favorable", s'enthousiasme-t-elle encore avant de poursuivre:

"Et peut être aussi renoncera-t-on au désespérant 'tomber enceinte' qui fleure mauvais la fille-mère et la femme abusée."

Avec Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse