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"Il faut le faire": comment des sénateurs LR sous pression ont changé d'avis sur l'IVG dans la Constitution

Le Sénat va-t-il donner son feu vert à l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution ce mercredi? Si le suspense reste entier après qu'un nouvel amendement LR a été ajouté lundi, certains chez Bruno Retailleau hésitent et pourraient changer d'avis.

Pour ou contre l'IVG inscrit dans la Constitution? Après l'adoption par l'Assemblée du projet de loi constitutionnelle du gouvernement en première lecture le 30 janvier dernier, voici le tour des sénateurs ce mercredi 28 février.

La chambre haute doit valider en séance plénière l'article unique de ce texte qui consacrerait "la liberté garantie à la femme d'avoir recours à l'interruption volontaire de grossesse".

"Il n'y a pas de décision de groupe tranchée", confient plusieurs sénateurs et sénatrices LR et centristes à BFMTV.com à quelques heures du vote.

Pour rappel, en février 2023 lors de la première lecture, 119 sénateurs LR et 28 centristes avaient voté contre. 16 LR et 17 centristes avaient voté pour. Et 7 LR et 10 centriste s'étaient abstenus. "Cette fois-ci, on devrait inverser les chiffres, mes collègues LR ont pas mal bougé", se réjouit auprès de BFMTV.com Dominique Vérien de l'Union Centriste.

Les remontés du terrain

Il y a les "convictions personnelles" certes, mais il y a aussi "la réalité du terrain", expliquent plusieurs sénateurs pour justifier leur revirement. Nadine Bellurot, sénatrice apparentée LR a voté contre en 2023, mais votera pour cet après-midi.

"À l'époque, le texte me paraissait faire un raccourci, ça me paraissait important d'être puriste en matière de droit. On parle quand même de la Constitution. Mais aujourd'hui, il ne faut pas être à côté de la plaque", détaille-t-elle à BFMTV.com

L'élue de l'Indre rapporte une conversation avec deux maires de communes rurales de sa circonscription: "Mais Nadine, j'entends ce que tu dis sur le droit, mais là si tu votes contre, c'est comme si tu étais contre l'avortement".

La sénatrice explique avoir entendu la demande des élus et des citoyens. "J'en ai parlé avec des tas de gens. On me dit "on n'est jamais à l'abri avec le droit. Si ça ne coûte rien, pourquoi ne pas ne pas le faire?"". "Et c'est vrai, je le reconnais", nous explique l'élue.

Les discussions avec les amis

Des sénateurs qui ont changé d'avis comme elle, la sénatrice en connaît une dizaine. Mi-février, la commission des Lois du Sénat n'a pas souhaité trancher seule "exprimant que le souhait d'une majorité de sénateurs de faire figurer l'IVG dans la Constitution devait être pris en compte", peut-on lire en conclusion de son rapport.

Le Président de la commission des Lois. , François-Noël Buffet, tatillonne sur la formulation du texte qu'il ne trouve "pas top". Comme beaucoup chez les LR, il craint que le terme "garantie" créé un droit opposable. Lundi 26 février, son collègue Philippe Bas, a déposé un amendement pour "supprimer le terme 'garantie' ajouté par le gouvernement afin de rétablir la version adoptée par le Sénat il y a un an".

"Une amie m'a dit 'mais pourquoi? Pourquoi vous discutez autant?'", nous confesse le sénateur du Rhône,

"Alors oui, juridiquement, on se parle entre nous", reconnaît-il. "Pour trouver la formulation la plus stricte, mais politiquement, on va y aller, je vais y aller en tout cas. Parce que l'attente est forte".

Celles avec la famille

"J’espère que tu n’as pas voté contre l’avortement". Voici comment Thierry Meignen, sénateur LR de la Seine-Saint-Denis, a été accueilli par sa compagne il y a un an, raconte-t-il au Parisien. "J’avais beau expliquer que je n’avais pas voté contre l’IVG mais contre son inscription dans la Constitution, je n’étais pas compris", témoigne-t-il dans le quotidien.

En prévision du vote de mercredi, il explique à avoir été interpellé par sa compagne, mais pas seulement. "Aussi par mes neveux, nièces, belles-filles… Tous les âges étaient représentés", a-t-il également constaté, à l'instar de sa collègue de l'Indre.

"Plutôt que d’être mal compris en étant catalogué parmi les anti-avortement, je préfère être du bon côté de l’histoire", argumente-t-il.

"En ce moment, j'aime beaucoup les filles des sénateurs", nous sourit la sénatrice écologiste Mélanie Vogel. Au Parisien, elle avait ajouté "plusieurs collègues masculins m'ont dit: 'si je vote contre, ma femme ne va pas me laisser rentrer chez moi'".

Pression de l'opinion publique

L'élue de gauche reconnaît aussi le "travail de dingue" des militantes dans la société. "Le seul effet de la constitutionnalité, c'est d'interdire l'interdiction du droit de recours à l'IVG. Ceux qui votent contre se gardent en réalité sous le coude la possibilité de réduire un jour ce droit", tranche-t-elle lapidaire, les yeux tournés vers les bancs de Bruno Retailleau et de Gérard Larcher.

"La Constitution n'est pas un catalogue de droits sociaux, ", avait déclaré sur notre antenne le président du Sénat le 15 février dernier.

Le chef de file des LR, Bruno Retailleau, a co-signé un amendement afin d'ajouter la clause de conscience du corps médical. Comme celui déposé par Philippe Bas, cet amendemente changerait le texte et le renverrait à l'Assemblée.

"On ne va pas faire des amendements pour faire des amendements", balaie une sénatrice LR qui avoue ne pas avoir compris ces ajouts et évoque un gros flottement dans les rangs républicains au moment de l'annonce. "Retarder, ça n'a pas de sens", estime-t-elle.

"La volonté de l'opinion publique est très large parce que ça rassure. Alors si ça peut apporter une garantie supplémentaire de l'inscrire à la Constitution, il faut le faire", estime François-Noël Buffet.

"Le climat économique et géopolitique inquiète. Il faut rassurer" ajoute Nadine Bellurot qui ne votera pas ces amendements. "On a discuté, on a eu un an pour travailler et réfléchir, il faut aller au Congrès maintenant", lance-t-elle.

Pression de l'Assemblée nationale

Fin janvier, les députés LR et centristes ont massivement adopté le texte du gouvernement. De quoi faire douter au Sénat. "On sent que ça les a fait bouger", constate Dominique Vérien.

"Certains ont repris leur liberté de vote par rapport au chef et se disent "maintenant je n'ai plus à suivre les convictions de Bruno Retailleau, je peux suivre mon propre choix"", ajoute un observateur LR de la chambre haute.

En bas, des ténors de la droite conservatrice comme Éric Ciotti ont voté pour le texte du gouvernement. "L'état d'esprit au Sénat est désormais de se dire: 'on vote en l'état et on s'arrête là. Direction le Congrès et on passe à autre chose'", confie un sénateur LR qui ne votera pas non plus les amendements de son parti, tout en rappelant qu'il respecte "la liberté de conscience des uns et des autres".

Optimiste quant à l'évolution des Républicains et des Centristes, la sénatrice du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste- Kanaky (CRCE-K), Évelyne Corbière Naminzo, a, elle, déjà pris ses dispositions pour être présente le 4 mars.

C'est ce jour-là qu'Emmanuel Macron a déjà donné rendez-vous aux chefs d'opposition pour voter définitivement l'inscription de l'IVG dans la Constitution.

Pourquoi Emmanuel Macron veut-il inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution?
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"C'est simple, j'ai dit à mon mari: soit mercredi, je rentre extrêmement gai, soit tu me retrouves en train de pleurer au fond de mon lit", confie à BFMTV.com Dominique Vérien, qui a travaillé d'arrache-pied ces derniers jours pour convaincre ses collègues.

Hortense de Montalivet