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Les députés français ignorent les menaces d'Ankara sur l'Arménie

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par Emile Picy PARIS (Reuters) - Les députés français examineront comme prévu jeudi une proposition de loi sanctionnant la négation du génocide...

par Emile Picy

PARIS (Reuters) - Les députés français examineront comme prévu jeudi une proposition de loi sanctionnant la négation du génocide arménien de 1915, malgré la menace brandie par Ankara de conséquences négatives pour les relations entre la Turquie et la France.

Le ministre des Relations avec le Parlement, Patrick Ollier, l'a confirmé mardi, tandis que le ministère des Affaires étrangères mettait par avance en garde la Turquie contre toute mesure de rétorsion commerciale.

Les députés d'opposition socialistes ont pour leur part fait savoir par leur président de groupe, Jean-Marc Ayrault, qu'ils voteraient le texte déposé par leur collègue UMP Valérie Boyer avec le soutien d'une quarantaine d'élus de la majorité.

La commission des Lois de l'Assemblée Nationale avait adopté le 7 décembre cette proposition en l'amendant légèrement pour lui donner une portée plus générale, dans l'espoir, jusqu'ici vain, d'apaiser la Turquie.

Le texte transposant le droit communautaire sur la lutte contre le racisme et visant à sanctionner "la contestation du génocide arménien" vise désormais "à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi".

Il prévoit de punir la négation d'un tel génocide d'un an d'emprisonnement ou d'une amende de 45.000 euros ou des deux.

"Il ne s'agit pas d'une proposition sur le génocide arménien. Il s'agit de tous les actes qui s'apparentent à des génocides", a expliqué mardi sur LCI la porte-parole du gouvernement, Valérie Pécresse, qui a insisté sur le fait que la Turquie était un "partenaire privilégié de la France".

MISE EN GARDE DU QUAI D'ORSAY

Le président UMP de l'Assemblée, Bernard Accoyer, a fait valoir qu'il s'agissait d'une "proposition de loi générale de lutte contre le racisme et la xénophobie et sur le négationnisme d'un certain nombre de faits historiques".

Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a écrit la semaine dernière à Nicolas Sarkozy pour dénoncer un texte qui vise, selon lui, "de façon hostile la République de Turquie, la Nation turque et la communauté turque vivant en France".

Le vote de cette proposition de loi aura "de graves conséquences pour les relations futures entre la Turquie et la France sur les plans politique, économique, culturel et dans tous les autres domaines", a-t-il ajouté dans cette lettre rendue publique par l'Agence anatolienne de presse.

La Turquie doit garder à l'esprit les règles internationales dans les domaines économique et commercial, a répliqué mardi le porte-parole du Quai d'Orsay lors d'un point de presse.

"La Turquie est membre de l'OMC (Organisation mondiale du commerce) et elle est liée à l'Union européenne par l'union douanière", a rappelé Bernard Valero. "Ces deux engagements juridiques impliquent un traitement non discriminatoire à l'égard des entreprises de l'UE."

Concernant un éventuel rappel de l'ambassadeur de Turquie en France, il a invité Ankara à prendre en compte "les vertus du dialogue", dont il a souligné l'importance sur des dossiers comme la Syrie, l'Iran ou l'Union pour la Méditerranée.

Il a insisté sur l'attachement de la France au développement de ses relations avec la Turquie "dans tous les domaines".

La présidence de la République française a pour sa part refusé jusqu'ici de faire le moindre commentaire.

C'est pourtant Nicolas Sarkozy qui a pratiquement fixé le calendrier d'examen de la proposition de loi, lors d'une visite d'Etat en Arménie, début octobre.

DÉLÉGATION TURQUE

Le président français avait alors mis en demeure Ankara de reconnaître rapidement le massacre de 1,5 million d'Arméniens par les Turcs en 1915 en estimant que ce serait un "geste de réconciliation". Dans ce cas, avait-il expliqué, la France s'en tiendrait à sa législation actuelle, qui reconnaît depuis 2001 l'existence de ce génocide.

Si la Turquie persistait à le nier, avait-il ajouté, "la France considèrerait qu'elle devrait aller plus loin dans la modification de sa législation pour que le négationnisme soit condamné pénalement".

Il avait refusé de donner publiquement un délai mais précisé que ce temps n'était "pas infini" et que Paris ferait connaître sa position "dans un délai assez bref".

Selon l'ancien ministre d'origine arménienne Patrick Devedjian, qui l'accompagnait, Nicolas Sarkozy aurait précisé à des interlocuteurs arméniens qu'il donnait aux dirigeants turcs jusqu'à la fin de 2011 pour reconnaître le génocide.

Le chef de l'Etat s'était alors déjà attiré des réactions courroucées d'Ankara, qui a dépêché ces jours-ci à Paris une délégation de parlementaires pour des "consultations" sur la proposition de loi, avant son examen jeudi.

Selon l'ambassade de Turquie à Paris, cette délégation devait notamment rencontrer mardi le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy Jean-David Levitte, le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, Bernard Accoyer, et le chef de file des députés UMP, Christian Jacob.

La diaspora arménienne en France, forte de 500.000 personnes, est à nouveau un enjeu électoral à l'approche des élections présidentielle et législatives du printemps 2012.

Avec Yann Le Guernigou et John Irish, édité par Emmanuel Jarry