BFMTV
Renaissance

Stéphane Séjourné, un macroniste de l'ombre désormais à la tête de Renaissance

Stéphane Séjourné le 27 août 2022 à Metz

Stéphane Séjourné le 27 août 2022 à Metz - Jean-Christophe Verhaegen / AFP

Ce très proche d'Emmanuel Macron prend la tête du parti Renaissance ce samedi. Stratège et fin négociateur, il a pour mission de canaliser les ambitions présidentielles qui s'aiguisent déjà pour 2027.

Un drôle de défi pour un homme qui n'apprécie guère prendre la lumière. À seulement 37 ans, Stéphane Séjourné devient ce samedi le patron de Renaissance, le nouveau nom de la République en marche. Intime de l'Élysée, l'ancien conseiller politique d'Emmanuel Macron va devoir faire ses preuves dans un contexte politique très compliqué, entre doutes de la majorité et ténors qui pensent déjà à la prochaine présidentielle.

"Ça va être des années de souffrance. Il va devoir forcer son tempérament. Ce n'est pas vraiment le genre à aimer donner des baffes", juge Jean-Christophe Cambadélis, l'ancien Premier secrétaire du PS, qui l'a connu lors de ses débuts en politique.

Le tremplin du CPE

Celui qui rêvait de devenir pilote de ligne pendant son enfance à Poitiers a pourtant déjà connu son baptême du feu en 2014 aux côtés d'Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie. C'est lui, en tant que conseiller parlementaire, qui a arrondi les angles avec les députés socialistes qui regardaient alors le locataire de Bercy et ses réformes - entre extension des possibilités de travail le dimanche et arrivée d'Uber en France - avec méfiance.

"À ce moment-là, il a mis de l'huile dans les rouages. Il a déverrouillé des relations compliquées, et finalement il a permis à la loi Macron d'être voté", analyse avec le recul l'un de ses proches, l'ancien député Pierre Person, auprès de BFMTV.com.

Il faut dire que Stéphane Séjourné a fait ses classes rue de Solférino, un atout pour conquérir le cœur des éléphants du Palais-Bourbon. Son parcours politique ressemble au cursus honorum de nombreux jeunes socialistes. À son arrivée sur les bancs de la fac de droit de Poitiers, le jeune homme adhère à l'Unef vant de s'engager dans la rue contre le Contrat première embauche (CPE) défendu par Dominique de Villepin, alors Premier ministre.

C'est à ce moment-là que l'étudiant rencontre Pierre Person, Sacha Houlié, Aurélien Taché et Guillaume Chiche - ses camarades de la "bande de Poitiers", qui feront tous leur entrée au Palais-Bourbon en 2017 sous l'étiquette de La République en marche.

"En quelques jours, il a pris la tête du mouvement des étudiants. Il avait compris très vite comment bloquer l'université comment convaincre même ceux qui n'avaient aucune idée de ce qu'était le CPE. On sentait bien qu'il ne s'intéressait à rien d'autre qu'à la politique", confie Guillaume Chiche.

"Bébé Camba"

Dans une faculté jugée plutôt à droite, l'exploit est remarqué rue de Solférino, notamment par des proches de Jean-Christophe Cambadélis, qui adore s'entourer de nouveaux visages.

Son aide est précieuse quand Stéphane Séjourné s'installe à Paris. Après un détour par un poste d'assistant parlementaire, "le bébé Camba" rejoint le cabinet de Jean-Paul Huchon, le président de la région Île-de-France. Entre-temps, le vingtenaire a connu sa première grande déception politique: la fin de la carrière de Dominique Strauss-Kahn, après son arrestation dans l'affaire du Sofitel.

La campagne avortée a cependant vu se côtoyer plusieurs petites mains qui seront amenées comme lui, six ans plus tard, à prendre à accompagner Emmanuel Macron dans sa conquête du pouvoir: Benjamin Griveaux, Stanislas Guérini, Cédric O...

Dans le secret

En 2014, il a besoin de prendre l'air, direction Bercy au cabinet d'Emmanuel Macron.

"Quand on a vu comment il s'y était pris pour atterrir chez Macron, on s'est dit qu'il avait vraiment de la ressource...", glisse un membre de son entourage.

Pour le convaincre de l'embaucher, il rédige une note dans laquelle il attaque sévèrement le PS. Son ton a beau séduire le ministre, on ne lui propose qu'un poste de chargé de mission. Stéphane Séjourné se paie le luxe de refuser avant d'obtenir gain de cause et de décrocher sa martingale: une mission de conseiller parlementaire.

Lorsque le ministre de l'Économie décide de tenter sa chance à la présidentielle, son collaborateur a un rôle tout trouvé aux côtés d'autres camarades de la bande de Poitiers: lancer les Jeunes avec Macron, avant de se consacrer à la recherche des parrainages auprès des maires, une gageure pour un mouvement qui vient à peine de se lancer, sans élu local.

Preuve que le collaborateur a fait ses preuves pendant la campagne et qu'Emmanuel Macron a une immense confiance en lui: tout comme le futur secrétaire général de l'Élysée Alexis Kohler, il est présent au lendemain du premier tour, lorsque le futur chef de l'État rencontre dans le plus grand secret Édouard Philippe.

"Pas un tueur"

À peine arrivé rue du Faubourg Saint-Honoré, il est nommé conseiller politique et doit s'atteler à sélectionner les candidatures pour les législatives. Si, parmi la bande de Poitiers, tous ses amis deviennent députés quelques semaines plus tard, lui passe son tour.

"Il aurait pu venir m'affronter dans ma circonscription. Il ne l'a pas fait. Ce n'est pas un tueur comme il faut l'être quand on veut faire carrière. D'une certaine façon, je me suis dit qu'il n'était qu'un ambitieux parmi d'autres", grince Jean-Christophe Cambadélis.

À l'Élysée, le jeune homme fait figure de capteur d'ambiance. Charge à lui de remonter les doléances des députés et de briefer le président avant son dîner hebdomadaire avec les poids lourds de la majorité. "Dans cet exercice-là, il a su à la fois s'imposer et s'effacer", estime François Patriat, le patron des sénateurs macronistes.

Couple de pouvoir

Un an et demi après son arrivée dans les allées du pouvoir, il quitte le Château pour devenir directeur de campagne de la liste LaREM aux européennes, avant d'être lui-même candidat.

"Contrairement à certains macronistes, c'est quelqu'un qui considère que l'élection est primordiale. Ce n'est pas un militant de salon", avance Pierre Person en guise de justification.

Dans les arcanes du pouvoir, certains voient plutôt son départ comme une porte de sortie. Quelques semaines plus tôt, son compagnon Gabriel Attal a été nommé secrétaire d'État à la jeunesse. Si lui adore prendre la lumière, pas question pour Stéphane Séjourné de médiatiser sa relation.

"Qu'on soit homo ou hétéro, chacun a le droit à sa vie privée. Chacun a sa personnalité et sa sensibilité sur ce sujet, la mienne est discrète", expliquait-il dans les colonnes de Têtu en novembre dernier pour justifier sa discrétion.

"Il parvient toujours à ses fins"

Au Parlement européen, l'eurodéputé devient président du groupe macroniste français. Un beau poste qui n'empêche pas de nombreux macronistes, y compris parmi ces amis, à voir cette arrivée à Bruxelles comme une relégation. Mais moins de deux ans plus tard, à la faveur d'une démission surprise, il rafle la présidence du groupe centriste qui compte une centaine de députés européens.

"Il pourrait ressembler à François Hollande à dire oui à tout le monde. Mais à la fin, il parvient toujours à ses fins, sans brutalité mais avec fermeté, sans qu'on ne s'en rende forcément compte", analyse la députée européenne Renaissance Ilana Cicurel pour expliquer cette promotion.

Le poste est capital dans l'hémicycle, inquiétant ainsi certains "petits" pays de l'UE. Ils craignent alors que le trentenaire ne soit qu'une simple courroie de transmission, tentant d'imposer la vision d'Emmanuel Macron, à quelques mois du début de la présidence tournante européenne de la France, finalement percutée par la guerre en Ukraine.

Jamais plus de 36 heures hors de Paris

Ce fan de séries policières ne s'éloigne pas de Paris pour autant. Son équipe a une consigne: jamais plus d'une nuit loin de la capitale. De quoi lui permettre d'assister aux comités politiques pendant la campagne présidentielle et de continuer à compter parmi les gens de confiance autour d'Emmanuel Macron.

Une fois le président réélu, c'est lui qui négocie la création d'une bannière commune entre la République en marche, Horizons, le Modem et Agir sous l'appelation Ensemble en vue des législatives. La mission est à très haut risque politique alors qu'elle touche à la répartition financière entre les différentes chapelles.

"La photo où tous les chefs tirent la gueule ne vient pas de nulle part. Ils avaient tous l'impression qu'il leur avait fait avaler des couleuvres sans vraiment pouvoir les refuser", décrypte un cadre du parti, en référence à une image moquée sur les réseaux sociaux.

"Sa vision, c'est la ligne du président"

On y voit Édouard Philippe, le regard noir, les bras croisés et François Bayrou, avachi. Mais parvenant à un accord, sans faire - trop - de mécontentement, il sait qu'il a gagné son passeport à la tête du parti, rue du Rocher à Paris, pour remplacer Stanislas Guérini, nommé au gouvernement et jugé peu convaincant dans son rôle de délégué général du parti.

Sa feuille de mission est claire: mettre le parti en ordre de bataille pour les prochaines élections en 2024 et surtout tenter de contenir les ambitions présidentielles de Bruno Le Maire ou d'Édouard Philippe.

"Macron voulait surtout quelqu'un qui ne pense surtout pas à 2027. Avec lui, ça ne risque pas. Personne ne le connaît", persifle un proche du ministre de l'Économie.

L'eurodéputée Ilana Cicurel le dit autrement: "Il n'a pas de vision propre. Sa vision propre, c'est la ligne du président."

Ses amis veulent pourtant y croire: "il aura le mandat pour démerder des situations compliquées. Il a de l'ambition sans jamais chercher à se mettre en avant. C'est ce genre de profil dont a besoin le parti", veut croire Guillaume Chiche. Réponse dans quelques mois.

Marie-Pierre Bourgeois