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La France vote pour le parti d'en rire

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par Patrick Vignal PARIS (Reuters) - Caricatures cruelles, imitations décapantes, chroniques au vitriol: la campagne présidentielle qui bat son plein...

par Patrick Vignal

PARIS (Reuters) - Caricatures cruelles, imitations décapantes, chroniques au vitriol: la campagne présidentielle qui bat son plein offre de quoi faire rire aux humoristes, qui s'en donnent à coeur joie.

Rien de neuf cependant: des fous du rois aux chansonniers de naguère, la satire politique est une grande tradition française.

Pourquoi ? "Parce que la spécificité de la France, c'est le rôle central de la politique dans la société. Du coup, même les humoristes se sentent obligés de faire de l'humour politique", répond le politologue Stéphane Rozès.

Si les bouffons de tout poil prolifèrent, c'est parce que la considération dont jouissent les hommes politiques auprès de l'opinion en a pris un sacré coup, estime le président de la société de conseil Cap.

"Depuis quinze ans, les politiques sont discrédités comme étant connivents avec les autres formes de pouvoir que sont le pouvoir économique, financier ou médiatique", dit-il à Reuters. "En raison de cette évolution, la critique, est devenue plus virulente".

En bref, les Français aiment profondément la politique, mais beaucoup moins leurs hommes politiques. Et comme les commentateurs traditionnels hésitent à attaquer les ténors des différents partis sur leur vie privée, il existe une brèche dans le débat public dans laquelle les humoristes s'engouffrent.

"Les humoristes occupent l'espace entre le fait qu'il ne faut pas en France rabaisser la politique et la nécessité d'un discours critique à l'égard des hommes politiques", résume Stéphane Rozès.

Tics de langage, écarts de conduite, défauts physiques: tout y passe. Même les jugements de valeur sur les leaders politiques et leurs partisans, que les journalistes s'interdisent le plus souvent, sont permis.

Sophia Aram n'a ainsi pas hésité à affirmer dans une de ses chroniques matinales sur France Inter que les électeurs du Front national étaient "tous des gros cons", avant de provoquer l'ire de Nadine Morano en la qualifiant de "vulgaire".

Quant à Stéphane Guillon, il est célèbre pour avoir traité Martine Aubry de "petit pot à tabac" et lancé le fameux "planquez-vous les filles, DSK arrive" avant la venue dans les locaux de France Inter de Dominique Strauss-Kahn, alors sous les feux de l'actualité après la révélation de sa liaison avec une collaboratrice au Fonds monétaire international.

UNE RESPIRATION BIENVENUE

Particulièrement caustiques, ces deux chroniqueurs oublient parfois d'être drôles mais jamais d'être méchants, relèvent leurs détracteurs.

A l'heure des "éléments de langage", propos calibrés dans les antichambres des états-majors des partis, ils n'en font pas moins souffler un vent de liberté sur le discours politique.

D'autres humoristes sont plus consensuels, notamment les deux stars des "matinales" que sont les imitateurs Nicolas Canteloup et Laurent Gerra, qui rassemblent plus d'un million et demi d'auditeurs, respectivement sur Europe 1 et RTL.

Leur truc à eux, vieux comme le monde, consiste à appuyer là où ça fait rire en grossissant les petits travers de ceux dont ils prennent les voix.

"Les humoristes ne peuvent qu'amplifier des phénomènes mais ne peuvent pas les créer", relève Stéphane Rozès. "Le bon humoriste est celui qui vise juste. Ce qui frappe l'opinion, c'est quand un humoriste arrive à pointer quelque chose qui existe déjà dans l'imaginaire des Français".

Les propos acérés des humoristes offrent une respiration bienvenue dans un environnement saturé de commentaires convenus, avance Dominique Wolton, directeur de recherche au CNRS et spécialiste en communication.

"L'humour est un apanage de la démocratie, mine de rien, et compense une explosion de commentateurs, spécialistes et pseudo-spécialistes de la communication", dit-il.

"Un acteur politique a la paix et la guerre comme perspective tandis que les commentateurs politiques qui tournent autour d'eux comme des mouches ne risquent rien et prennent des airs d'imperator pour juger, critiquer, admonester", prolonge Dominique Wolton.

Moins prévisibles et plus légers, les humoristes sont mieux tolérés par la classe politique que les commentateurs qui, selon Dominique Wolton, "pensent tous la même chose au même moment et quasiment de la même manière."

Et le chercheur de saluer la "fonction d'exorcisme" des humoristes qui "disent tout haut ce que les autres pensent tour bas."

"L'humour, c'est un court-circuit d'intelligence, un clin d'oeil adressé au récepteur", ajoute-t-il.

LES MOUCHES DE PLANTU

Si l'humour politique a toujours existé, sa diffusion s'accélère. Plus immédiats, plus concis et parfois plus pertinents que ceux des journalistes, les bons mots des humoristes sont adaptés aux nouveaux médias.

Amplifiées par les podcasts et relayées par les réseaux sociaux, les blagues fusent et enflamment la blogosphère, jusqu'au prochain "buzz".

Les formes plus traditionnelles de caricature perdurent parallèlement, notamment le dessin de presse, dont la star est un certain Jean Plantureux, qui officie depuis quatre décennies dans les colonnes du Monde sous le nom de plume de Plantu.

D'Edouard Balladur en chaise à porteurs à Jean-Marie Le Pen affublé d'un brassard, sans oublier les mouches qui volaient au-dessus de la tête du leader du Front national avant de se poser sur celle de Nicolas Sarkozy, il a contribué à modifier l'image publique des dirigeants politiques, même s'il s'en défend.

"Mon Sarko, pour moi, il n'est pas différent du vrai, il est comme je le dessine", explique Plantu à Reuters.

Les mouches, raconte-t-il, sont venues d'une déclaration de Nicolas Sarkozy affirmant "parler avec ses tripes", au risque d'attirer les insectes.

"Un jour, j'ai dessiné 15 mouches mais le rédac' chef m'a appelé pour me dire 'écoute, fais-en trois, pas plus'", confie-t-il.

Plantu parle au nom de tous ses collègues humoristes quand il affirme n'être en rien partisan dans sa description du président de la République et forcer à peine le trait.

"Je le traite comme le pur produit caricatural qu'il est", dit-il.

Si les Français aiment se moquer de leurs dirigeants, et en particulier du plus exposé d'entre eux, ils ne se désintéressent pas pour autant de la politique, insiste Stéphane Rozès.

"La politique, c'est ce qui tient ensemble la société française", dit-il. "On critique les hommes politiques pour leurs limites, leur impuissance, leur irresponsabilité mais on ne critique pas la politique".

Avec Catherine Bremer, édité par Gilles Trequesser