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Politique

La colère des magistrats après la signature de la loi antiterroriste devant les caméras

Emmanuel Macron a une nouvelle fois mis en scène l'entrée en vigueur d'une loi importante de son quinquennat en signant, devant les caméras, le nouveau texte de lutte contre le terrorisme. Le ministre de l'Intérieur et le secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement se trouvaient à ses côtés au moment de la signature. En revanche, pas de ministre de la Justice pour une loi déjà fortement décriée par les magistrats.

"Tout est dit". Les réactions sont amères dans la foulée de la signature de la nouvelle loi antiterroriste, qui entre en vigueur ce mardi, par le président de la République. Comme pour le texte sur la moralisation de la vie politique, Emmanuel Macron s'est mis en scène devant les caméras. A ses côtés, le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, et le secrétaire d'Etat en charge des Relations avec le Parlement, Christophe Castaner. Mais c'est bien une grande absence qui fait réagir, celle de la ministre de la Justice, alors que le texte était déjà taxé "d'ostracisation de l'autorité judiciaire".

Dans le monde judiciaire, nombreux sont ceux à s'être interrogés sur l'absence de Nicole Belloubet, à commencer par son prédécesseur, Jean-Jacques Urvoas. "L'histoire retiendra qu'une loi modifiant le code de procédure pénale fut signé par le Chef de l'Etat en présence que de @Place_Beauvau", a tweeté l'ancien Garde de Sceaux, parlant de la seule présence de Gérard Collomb. Une critique ouverte à la rédaction du texte, âprement discuté au Parlement, reprise par plusieurs élus de gauche. "Là, nous sommes dans l’ordre de la polémique politique", a rétorqué la principale intéressée sur Public Sénat.

L'assurant: "Lorsqu'il y a besoin du juge, le juge a été introduit."

L'autorité judiciaire écartée

Pourtant, la controverse sur l'absence de la ministre de la Justice a largement dépassé la sphère politique. Fortement décriée avant et pendant les débats devant l'Assemblée nationale et le Sénat, la loi crispe toujours du côté du monde judiciaire. "La loi antiterroriste signée hors la présence de la ministre de la Justice. Tout est dit. Scandaleux", a réagi sur le réseau social Twitter, Virginie Duval, la présidente de l'Union syndicale des magistrats. Pour l'USM, le texte prive la justice de l'une de ses fonctions: être la gardienne des libertés individuelles.

Le nouveau texte portant sur la lutte contre le terrorisme est souvent taxé d'avoir intégré des mesures de l'état d'urgence, régime exceptionnel, à une loi du quotidien. Les critiques portent notamment sur les assignations à résidence, dont le périmètre est étendu du domicile à la commune. L'individu devra également se présenter une fois à la police, contre trois sous l'état d'urgence. Ces assignations vont être décidées par les préfets, sans aucune intervention du judiciaire. "Il n'y a aucun contrôle de l'exécution de cette mesure, dénonce Jacky Coulon, le secrétaire nationale de l'USM. Les personnes assignées pourront dénoncer leur situation devant un tribunal administratif, or ce n'est pas son rôle de protéger les libertés individuelles."

Le responsable syndical ajoute: "Ce n'est pas moins grave d'avoir à autoriser une perquisition administrative qu'une assignation."

Equilibre entre sécurité et liberté

Lors du vote de la nouvelle loi antiterroriste, l'institution judiciaire a obtenu que ce soit un juge des libertés et de la détention (JLD) qui intervienne dans le processus de perquisitions administratives. Désormais intitulées "visites domiciliaires", leur déclenchement reviendra à l'autorité judiciaire, pour fouiller un logement et saisir des documents, objets ou données qui s'y trouvent, s'il existe "des raisons sérieuses de penser qu'il est fréquenté par une personne qui représente une menace terroriste". "Nous avons cherché un équilibre entre liberté et sécurité", insiste alors Gérard Collomb, le ministre de l'Intérieur.

Avec ce nouveau texte de loi, les préfets pourront déterminer des "périmètres de protection" aux abords d'événements autour desquels des fouilles et des palpations pourront être entreprises ainsi qu'un accès contrôlé. Concernant la fermeture des lieux de culte, ces dernières étaient jusqu'alors soumises à l'existence de documents écrits ou de propos incitant à l'apologie du terrorisme. Désormais, le gouvernement a choisi d'autoriser ces fermetures à la seule condition que les "idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent" provoquent à la violence. Ces fermetures ne pourront excéder six mois.

Trois attentats déjoués lors de l'état d'urgence

"Nous avons pris les mesures qui permettent de protéger les Français en particulier dans cette période de fête, de rassemblement", se félicitait le ministre de l'Intérieur mardi matin sur RTL, estimant que désormais la menace terroriste avait changé de visage. Fini les attentats pilotés depuis la zone irako-syrienne, la France doit faire face à une menace endogène, venant d'individus déjà présents sur le territoire. Gérard Collomb assure également que 32 attentats ont été déjoués depuis l'instauration de l'état d'urgence.

Si le travail des services de renseignement ont permis de déjouer ces projets d'attaques, en réalité, les perquisitions administratives en ont empêché trois depuis 2015, notamment un imaginé pendant la campagne présidentielle à Marseille. "On est vraiment devant un défi d’efficacité", estime ainsi Christophe Barbier, l'un de nos éditorialistes politiques. "Il ne s’agit plus de faire le procès juridique de l’état d’urgence. Est-ce que c’est liberticide? Est-ce que c’est trop laxiste? Il s’agit désormais de voir si sur le terrain si c’est efficace avec une donnée terroriste qui est en train de muter." Avant cela, c'est le président de la République qui va défendre son texte. Emmanuel Macron est ce mardi à la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) à Strasbourg.

Justine Chevalier