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Politique

L'argent honteux de nos politiques

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Honteux, facile et parfois sale, l'argent des hommes politiques reste un sujet tabou en France. Deux journalistes lèvent le voile et dénoncent, chiffres et anecdotes à l'appui, « l'hypocrisie française ».

Combien gagnent les hommes politiques français et pourquoi sont-ils aussi mal à l'aise face aux questions d'argent ? Christophe Dubois, journaliste sur TF1, et Marie-Christine Tabet, journaliste au Journal du Dimanche, ont enquêté sur ce sujet qui reste tabou, et publient L'Argent des politiques, les enfants gâtés de la République, aux Editions Albin Michel. Ils ont interrogé une centaine d'élus et de membres de cabinets ministériels et ont rencontré les hauts magistrats qui ont pour mission de veiller à l'application des textes, au demeurant nombreux : « on a envoyé un questionnaire à 800 parlementaires, explique Christophe Dubois, pour connaître leurs revenus, leur patrimoine, savoir s'ils avaient un boulot à côté... on a eu 40 réponses. Les politiques ne sont pas du tout décomplexés par rapport à l'argent, au contraire ils ont un rapport honteux à l'argent. » Du luxueux appartement de Jacques Chirac à la villa de Julien Dray, des amis fortunés de Ségolène Royal à ceux de Nicolas Sarkozy, des petits travers des uns aux grandes combines des autres, tous, ou presque entretiennent des rapports ambigus avec l'argent.

20 000 € par mois, transports gratuits et indemnités à gogo

S'il reconnaît que les élus des « petites villes sont incroyablement sous-payés », Christophe Dubois pointe en revanche du doigt les autres politiques qui selon lui, « sont dans une bulle, en décalage avec la vie des Français. [...] Arrivés à un certain niveau de pouvoir, ils dépensent l'argent public un peu comme bon leur semble. »
Un député de base touche en effet un peu plus de 20 000 euros par mois pour un mandat unique. Ainsi que des indemnités de fonction d'un peu plus de 5200, seule somme sur laquelle ils payent des impôts. Autre indemnité : 9000 euros pour rémunérer ses collaborateurs. « Sachant qu'environ 15% des députés emploient comme collaborateurs son conjoint ou ses enfants », précise Christophe Dubois. Et plus de 5800 euros d'indemnités de frais, pour lesquels aucun justificatif n'est demandé. A cela il faut ajouter des transports gratuits (SNCF, RATP), 8 allers-retours gratuits avec Air France sur la métropole, des prêts immobiliers à taux réduits, jusqu'à 15 000 euros remboursés sur des factures d'équipements informatiques pour un mandat, remboursement de 3 à 5000 euros de notes de taxis, idem pour les appels téléphoniques...
« Ce qui est choquant, ajoute Christophe Dubois, c'est tous les petits à-côtés, parce que ça ne leur suffit pas. Et un autre mal français : le cumul des mandats - des sénateurs qui sont aussi maire d'une grande ville, président du comité d'agglomération... -, qui crée des disparités énormes et fait que tous ces chiffres, il faut parfois les multiplier par 3 ! ».

« Quand on est politique, mieux vaut "faire pauvre" »

« Un jour sur un plateau de télévision, François Hollande a dit : "j'aime pas les riches" ». Rappelant le point de départ de son livre, Christophe Dubois raconte une autre anecdote qui, selon lui, illustre bien ce malaise des hommes politiques face à l'argent : « un soir, Jean-Louis Borloo a une réunion à Matignon. Après la réunion, il repart et le personnel se rend compte qu'il y a une veste oubliée dans le vestiaire ; ils essaient de l'identifier et y trouvent notamment une enveloppe contenant 4500 euros en espèces. Le lendemain matin, le chauffeur de Borloo vient récupérer la veste oubliée. Jusqu'ici, rien de grave. Mais sa réaction lorsqu'on l'a contacté, est intéressante : très énervé, il a dit qu'il ne s'en souvenait pas. Pour lui, ça symbolise sa vie d'avant, sa vie d'avocat d'affaires très fortuné. Comme si en tant qu'homme politique, il valait mieux "faire pauvre". »

« En France, on est dans l'hypocrisie la plus totale »

Si les revenus des hommes politiques français sont du même ordre que ceux des autres hommes politiques européens, le contrôle et la transparence sur ces questions font sérieusement défaut chez nous. « En France, on est dans l'hypocrisie la plus totale, dénonce Christophe Dubois. [...] On voit bien la différence de culture entre la France et l'Angleterre. Là-bas, des citoyens, des journalistes se sont battus pour qu'il y ait une loi sur la liberté de l'information, qui permet de voir ce que l'on fait des dépenses publiques. Le Daily Telegraph a dû finalement acheter ces informations pour avoir le détail de ces notes de frais.
En France, quand nous avons posé ces questions [pour notre livre], nous avons quasiment été considérés comme la Gestapo, comme si on posait des questions injurieuses. La tradition monarchique de la France fait qu'on est dans l'opulence, dans la représentation. »

Pour écouter l'intégralité de l'interview de Christophe Dubois, cliquez ici.

La rédaction-Bourdin & Co