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Politique

Karachi, un tournant inaperçu dans notre histoire politique

Hervé Gattegno

Hervé Gattegno - -

Du nouveau dans l’affaire « de l’attentat de Karachi » et du financement de la campagne d’Edouard Balladur en 1995, avec la mise en examen, lundi, du directeur de cette campagne Nicolas Bazire. Pas seulement un épisode de plus, mais un tournant judiciaire dans l’histoire de la Vè République.

C’est la 1ère fois qu’une enquête pénale vise directement le financement d’une campagne présidentielle – et que les juges formulent un soupçon explicite contre un candidat. Jacques Chirac a été poursuivi en quittant l’Elysée, mais pour les finances du RPR. François Mitterrand a vu sa campagne mise en cause dans l’affaire Urba, mais lui n’a jamais été inquiété. Et s’il y a des soupçons contre Nicolas Sarkozy dans l’affaire Bettencourt, on voit mal, en l’état, sur quelles bases sérieuses il pourrait être poursuivi. Donc Balladur n’a pas été président mais son cas est un précédent. Et même un sacré précédent.

Vous parlez d’Edouard Balladur mais lui-même pour l’instant, n’est pas poursuivi. Ça vous paraît inéluctable ?

C’est aux juges de décider. Il est présumé innocent et il y a beaucoup de problèmes dans cette affaire – les faits très anciens, très embrouillés, des témoignages tardifs et contradictoires, des archives dont on ne connaît pas exactement la provenance… Il n’empêche que si celui qui était le pilier central de la campagne d’Edouard Balladur est mis en examen pour « recel », c’est bien que la justice retient l’hypothèse de versements occultes en faveur du candidat. En l’occurrence, 10 millions de Francs en espèces dont l’origine reste indéterminée. A l’époque, en 1995, ils avaient été déclarés comme le produit de la vente de t-shirts – à ce compte-là, la France entière aurait porté des t-shirts Balladur ! On sait que ça n’a pas vraiment été le cas… Donc, ça peut être des fonds secrets du gouvernement ou des commissions sur des ventes d’armes. Les deux versions sont plausibles – mais dans les deux cas, c’était illégal. Edouard Balladur devra forcément s’expliquer sur ce point.

Edouard Balladur ne dispose d’aucune immunité mais il semble qu’il y ait quand-même un problème de compétence des juges d’instruction. Il peut être mis en examen, jugé dans cette affaire ?

Les ministres (et anciens ministres) n’ont pas de protection mais un « privilège de juridiction » (que les socialistes voudraient supprimer) : ils ne peuvent être poursuivis que par la Cour de justice de la République si les faits qu’on leur reproche sont liés à leur fonction ministérielle – dans cette affaire, ce pourrait être le cas des ventes d’armes signées par Edouard Balladur avec l’Arabie Saoudite et le Pakistan. En revanche, le financement d’un candidat n’a rien à voir avec l’activité gouvernementale. Donc rien ne s’oppose, en théorie, à une mise en examen sur ce terrain-là. Même s’il n’y a pas de soupçon d’enrichissement personnel.

Est-ce qu’on parle encore de Nicolas Sarkozy dans cette affaire ? Est-ce qu’il risque quelque chose ?

On parle de lui, mais pas toujours à bon escient. On dit beaucoup que Nicolas Bazire est un de ses « proches ». C’est vrai, mais ça n’a rien à voir avec l’affaire puisque Nicolas Sarkozy, lui, n’avait aucune responsabilité dans le financement de la campagne de 1995. On a beaucoup entendu aussi qu’il aurait supervisé le circuit des commissions sur les contrats d’armement parce qu’il était ministre du Budget. C’est peu dire que l’enquête judiciaire n’en apporte pas la preuve – elle aurait même plutôt tendance à le dédouaner. Ça n’interdit pas aux juges de vouloir l’interroger un jour comme témoin. Disons que ça relèverait davantage de la curiosité personnelle de la nécessité judiciaire. Mais il arrive que les juges soient curieux.

Pour écouter le Parti Pris d'Hervé Gattegno de ce mardi 30 octobre, cliquez ici.

Hervé Gattegno