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Politique

« Je ne crois pas à la théorie du complot »

L'ancien premier ministre vient de publier « Le soleil noir de la puissance ».

L'ancien premier ministre vient de publier « Le soleil noir de la puissance ». - -

Dominique de Villepin, ancien Premier Ministre et auteur de « Le soleil noir de la puissance », s'exprime sur l'affaire Clearstream et la politique de l'actuel gouvernement.

Jean-Jacques Bourdin : Est-il possible de forcer la croissance selon vous, comme le veut Nicolas Sarkozy ?

Dominique de Villepin : Oui c’est possible, et Nicolas Sarkozy a raison. J’ai dit, depuis plusieurs semaines, que les perspectives qui étaient les nôtres, compte tenu de l’évolution de la couverture mondiale, étaient moins bonnes qu’elles ne l’étaient il y a quelques mois quand j’ai quitté le gouvernement. Ça implique une réaction rapide et Nicolas Sarkozy a raison de dire qu’il faut fortifier cette croissance. Nous avons donc des choix de politique économique à faire. Sans rentrer dans les détails, nous avons une bonne consommation qui est malheureusement souvent nourri par des exportations qui viennent de pays comme la Chine, le Japon, l’Allemagne, et qui ne servent pas notre croissance. Il faut donc se poser la question de savoir comment fortifier la croissance, c’est-à-dire comment encourager l’offre, soit les entreprises, qui peuvent permettre de tirer nos exportations et de servir l’emploi et le dynamisme économique.

J-J B : Est-ce que le Gouvernement fait les bons choix en ce moment ?

D d V : Nous avons eu tendance, au fil des années, à vouloir relancer en permanence la consommation, en négligeant trop la compétitivité. On a fait des efforts dans ce domaine avec Jean-Pierre Raffarin, puisque nous avons lancé des pôles de compétitivité. C’est un vrai sujet de se demander comment permettre aux entreprises de se regrouper, de travailler ensemble, de développer des hautes technologies et d’éxporter. Nous avons des grandes entreprises qui se portent bien, parce que dans la bataille de la mondialisation, elles ont trouvé leur place. Nous avons des petites entreprises qui se heurtent à des difficultés énormes, qui font trop peu de profits, qui ont des problèmes bureaucratiques à régler en permanence : le seuil entre neuf et dix salariés, le seuil entre quarante neuf et cinquante salariés. Il faut aider ces petites entreprises, comme l’ont fait les Allemands, à être plus performantes. De ce point de vue là, nous avons la chance d’avoir comme Ministre de l’Economie et des Finances, Christine Lagarde, qui a été dans mon gouvernement en charge du commerce extérieur, nous devons aller plus loin pour permettre à ces entreprises de marquer des points à l’exportation.

J-J B : Vous la trouvez très compétente Christine Lagarde ?

D d V : C’est une femme compétente, qui connaît le monde et qui a de grandes expériences.

J-J B : Est-ce qu’elle est à sa place ?

D d V : Le casting d’un gouvernement est toujours difficile. Moi j’ai eu beaucoup de chances parce que j’ai eu deux piliers pour ma politique économique, soit Jean-Francois Copé, forminable meneur d’hommes, capable de se faire obéir de son administration, et Thierry Breton. Je pense que Christine Lagarde a tous les atouts pour réussir. Un gouvernement c’est un ensemble, c’est une équipe.

J-J B : Si je vous comprends bien, elle a encore des progrès à faire ?

D d V : Pas du tout, je pense qu’elle a toutes les qualités pour le faire mais je pense que nous sommes à un échelon de décision qui est vraiment celui du Ministre de l’Economie et des Finances, du chef du gouvernement et du Président. Je suis heureux de constater qu’en Alsace, le Président de la République, a décidé de se coltiner avec ce problème, de le prendre véritablement à bras le corps. Si nous voulons avoir des résultats rapidement dans les prochains mois il faut aller vite. Je crois aussi qu’il y a une bonne nouvelle ce matin, c’est le débat qui s’engage entre partenaires sociaux, sur la réforme du marché du travail.

J-J B : Est-ce qu’il faut supprimer le CNE ?

D d V : Le CNE a malheureusement été tuée par les sceptiques et les idéologues et un certain nombre de syndicats n’ont pas mesuré ce qu’ils faisaient à ce moment là. Il y a eu un million d’intentions d’embauche. Si nous avons réussi, en deux ans, à faire baisser le chômage dans notre pays de deux points, c’est parce que nous nous sommes dotés de ces moyens indispensables. Aujourd’hui, on a réussi à établir un doute juridique sur le CNE et je pense que le gouvernement aurait du trouver les moyens de convaincre chacun que c’était nécessaire. Nous assistons donc à un tassement de la baisse du chômage, je le regrette et ça m’inquiète. Il faut faire en sorte que nous prenions de nouvelles dispositions pour faire en sorte que le chômage continue de baisser. Je ne donne pas de leçon mais je mets en garde et je dis que si nous voulons que les choses aillent mieux, il faut prendre des décisions tout de suite. Ces décisions doivent être fortes, soutenues collectivement par la Nation. Essayons d’être humble en regardant aussi ce qui se passe dans d’autres pays tel que l’Allemagne.

J-J B : La TVA Sociale a été mise de coté, vous trouvez que c’est une bonne idée ?

D d V : Moi j’étais réservé sur la TVA Sociale, et je le suis toujours même si je pense que toutes les idées sont bonnes à être explorée donc le fait de réfléchir à la TVA Sociale me parait une bonne idée. En revanche, j’ai toujours eu une inquiétude, à savoir comment fait on avec la TVA Sociale pour que la hausse des prix à la consommation ne s’en suive pas. Il y danger d’un contre-signal sur le pouvoir d’achat des Français et ça personne ne le souhaite. Je crois qu’il faut être prudent ; si la réflexion conduit à un avantage avec certitude alors il faut faire ce qu’il faut.

J-J B : Est-ce que le rôle du Premier Ministre est dévalorisé en ce moment ?

D d V : Je ne crois pas que la fonction soit dévalorisée car elle est là institutionnellement. La fonction est reconfigurée, parce que nous avons un Président de la République qui est très présent.

J-J B : Vous le regrettez ?

D d V : Non, je dis qu’à partir du moment où nous avons un Président de la République qui a une certaine conception de sa fonction, il faut que l’ensemble de nos institutions s’adapte. J’ai donc le sentiment que tout doit monter d’un cran. Il faut donc que le Gouvernement soit encore plus présent, que les Ministres soient encore plus présents et ça implique un travail de coordination indispensable pour éviter les problèmes qui peuvent venir.

J-J B : C’est Claude Guéant qui est très présent ?

D d V : Oui mais Claude Guéant est dans son rôle aussi quand il coordonne, quand il fait le lien entre le Président de la République et le Gouvernement. C’est ça la fonction d’un secrétaire général. Je pense que Francois Fillon qui est un homme de qualité et d’expériences, qui a fait des réformes importantes, doit pouvoir assumer pleinement sa responsabilité gouvernementale.

J-J B : Est-ce que vous avez voté pour Nicolas Sarkozy ?

D d V : J’ai déjà répondu à cette question et j’en fais une question de principe. Dans ce pays on veut tout mettre sur la table et tout banaliser. Moi je crois que les consciences doivent être respectées. Le vote est un acte individuel et on n’a pas à s’étaler sur le sujet. Il est bien évident que je fais parti d’une famille politique, que je suis un homme de fidélité politique, un homme d’engagement, donc vous pourrez en tirer les conclusions que vous voulez.

J-J B : Clearstream, rendez vous chez le juge le 13 septembre, une caution de 200 000 euros, vous avez déjà versé 50000 euros, Est-ce que vous êtes victime d’un procès d’intention politique, est-ce que vous êtes victime d’une machination dans cette affaire ?

D d V : Je l’ai dit je ne crois pas à la théorie du complot, mais dans cette affaire compliquée, il y a tout de même une injustice. Je pense que dans la vie publique, il y a des pentes, il y a des réactions, qui peuvent conduire à des injustices sans pour autant que cela ait été voulu. Il y a dans l’affaire Clearstream une très grande injustice qui a été commise vis-à-vis de centaine de victimes, qui ont été injustement mis sur liste, dont des personnalités politiques de Droite et de Gauche, dont Nicolas Sarkozy.

J-J B : Est-ce qu’à un moment ou à un autre vous avez pu penser que Nicolas Sarkozy été impliqué dans la dissimulation d’argent et dans la possession de comptes occultes ?

D d V : Je n’ai jamais été saisi de cette question là, c’est là où l’on refait l’histoire et je prouverai le 13 septembre qu’il ne s’agit pas là d’une affaire politique.

J-J B : Vous avez des éléments ?

D d V : Bien sur que j’ai des nouveaux éléments, j’ai travaillé, j’ai lu 27 volumes d’un dossier judiciaire, et maintenant je sais interpréter des pièces. A partir de là, il ressort du travail que j’ai établi qu’il y a eu un déraillage dans ce dossier, une affaire internationale et industrielle qui devient une affaire politique sans raison dans le cadre de l’instruction. Je donnerai donc des éléments et j’apporterai ce que je sais de nouveaux à partir des dossiers d’instructions qui montrent qu’il n’y a pas d’affaire politique. Je sais qu’il y a des victimes, Nicolas Sarkozy a été injustement attaqué.

J-J B : Nicolas Sarkozy est partie civile ?

D d V : Le fait qu’il soit partie civile est tout à fait légitime. Quand on est partie civile et qu’on est en même temps Président de la République, et que l’on peut donner des instructions à la chancellerie et au parquet, il faut être vigilant pour que ne se crée pas un certain nombre de mécanismes vicieux qui évidemment ont tendance à la facilité.

J-J B : En temps que Ministre des Affaires Etrangères, est-ce que vous seriez aller à Bagdad ?

D d V : C’est une question difficile car je ne mets pas en doute les intentions de Bernard Kouchner, qui est quelqu’un que j’estime, et sa volonté de marquer la solidarité avec le peuple Irakien. La vraie question pour moi c’est l’efficacité d’une telle démarche et le risque d’un contre signal. Pour que ce soit efficace, il y a à mon sens deux conditions nécessaires : il faut un gouvernement irakien crédible de réconciliation nationale, et je ne crois pas que ce soit encore le cas. Il faut aussi que les américains comprennent, que rien ne sera possible en Irak tant qu’ils n’auront pas annoncé le retrait des troupes américaines. Nous savons tous qu’il y a derrière le dossier Irakien un autre grand dossier qui est le dossier Iranien. Je souhaiterais que la diplomatie mondiale prenne ce dossier à bras le corps. J’ai été très heureux du discours de Nicolas Sarkozy lors de la conférence des Ambassadeurs, indiquant le double risque que nous avons : un bombardement de l’Iran ou la bombe nucléaire iranienne. Il faut, pour éviter ce double risque, pousser plus loin la négociation, que j’avais initié avec nos amis britanniques et allemands en direction des iraniens, pour qu’elle puisse aboutir.

J-J B : Vous accepteriez que Nicolas Sarkozy vous confie une mission sur l’Iran ?

D d V : Je suis convaincu en matière politique, que la responsabilité est difficilement partageable. Il y un Ministre qui est chargé de ces affaires. On peut donner ses avis, faire partager ses expériences mais ce n’est pas à moi de prendre les bonnes décisions.

J-J B : Votre livre, c’est une période de la vie de Bonaparte puis de Napoléon, 1796-1807, période de révélation de Napoléon, celle où il passe de général à empereur, celle où il passe de tacticien à stratège, celle aussi où on commence à sentir qu’il va se brûler les ailes et que tout finira mal.

D d V : C’est la conviction qui est la mienne, que dès le début de l’aventure, il y a inscrit dans ses gênes ce soleil noir, cette inquiétude, ce doute qui peu à peu va grandir, cette ivresse de la puissance qui va conduire à une chute inéluctable. Ce qui m’a interessé c’est cette logique tragique du pouvoir et d’un destin individuel. Bonaparte et Napoléon ont vécu des épreuves qui les ont fortifiés, qui les ont portés à l’incandescence. Napoléon va être pris dans une course folle que rien ne peut arrêter

J-J B : Ca me rappelle quelqu’un non…

D d V : Dans l’histoire, toute comparaison peut être dangereuse.

La rédaction-Bourdin & Co