BFMTV
Gouvernement

"Un discours très dur à entendre": face à la sécheresse, le gouvernement hésite sur la marche à suivre

Une photo prise le 19 mai 2022 à Saint-Gilles, dans le sud de la France, montre une plante sauvage sur un sol craquelé par la sécheresse lors d'un épisode de chaleur exceptionnel en France. (Photo d'illustration)

Une photo prise le 19 mai 2022 à Saint-Gilles, dans le sud de la France, montre une plante sauvage sur un sol craquelé par la sécheresse lors d'un épisode de chaleur exceptionnel en France. (Photo d'illustration) - NICOLAS TUCAT / AFP

Face à une sécheresse inédite en plein hiver, l'exécutif hésite à mettre en place des limitations de consommation d'eau. Le sujet est inflammable tant pour les agriculteurs, qui en sont les premiers consommateurs que pour les Français, habitués à l'abondance de cette précieuse ressource.

Les restrictions de trop ? Christophe Béchu, le ministre de la Transition énergétique, a annoncé mercredi envisager des mesures de restrictions d'eau "softs" "dès le mois de mars" avant de réunir ce jeudi un comité d’anticipation et de suivi hydrologique. Dans un contexte de sécheresse inédite, pas question cependant d'exiger des efforts trop importants, au risque de braquer les Français.

"La France est en état d’alerte. C’est l’hiver le plus sec depuis 1959. Les nappes phréatiques ont deux mois de retard en termes de remplissage", a annoncé, cash, l'ex-maire d'Angers ce mercredi sur France info.

Un appel à "la responsabilité"

Avant d'annoncer, dans la même phrase, vouloir avant tout "responsabiliser les Français" en leur "indiquant les gestes à adopter". Autant dire que les préfets, avec qui le ministre fera un point lundi, devraient principalement passer un message de pédagogie.

Pour l'instant, 4 départements sont concernés par une restriction qui entraîne notamment des limitations en" matière d’arrosage, de remplissage et de vidange des piscines ou du lavage de véhicules".

Les agriculteurs ne devraient pas non plus être pour l'instant fortement sollicités. Sur les presque 6 milliards de mètres cubes d'eau de consommations annuelles dans l'Hexagone, 43% sont pourtant consommés par les exploitations agricoles.

"Il n'y a pas d’agriculture sans eau. Ce serait hypocrite d’empêcher les agriculteurs de produire si c’est pour importer", a avancé le ministre de la Transition écologique.

"La restriction à toutes les sauces ne résout pas les problèmes"

À deux jours du salon de l'agriculture, pas question pour l'exécutif d'ouvrir un nouveau front de contestation. Des exploitants ont déjà exprimé leur colère en venant manifester à Paris en tracteur contre l'interdiction de plusieurs pesticides comme les néonicotinoïdes.

"La restriction à toutes les sauces ne résout pas les problèmes. Ça créé de l'anxiété et ça empêche souvent de se projeter dans des solutions de long terme", juge ainsi Jean-Marc Zulesi, député Renaissance et président de la commission du développement durable à l'Assemblée nationale auprès de BFMTV.com.

Parmi les pistes envisagées par Christophe Béchu, toutes prennent d'ailleurs du temps alors que les hydrologues appellent à agir de toute urgence. Le ministre a déjà annoncé vouloir mettre le paquet sur le retraitement des eaux usées en équipant mieux les stations d'épuration et ainsi permettre, grâce à un changement de législation, de permettre l'usage de l'eau non-potable pour alimenter les toilettes.

"Un discours très dur à dire pour un ministre"

Autre source d'économie: la chasse aux fuites dans les conduits qui représentent à elles seules la perte de 20 % d'eau potable. Mais l'état des canalisations est entre les mains des collectivités qui traînent des pieds pour faire des travaux d'ampleur sur fond d'inflation.

Autant dire que le principal levier pour réduire la consommation d'eau est celle de demander des efforts aux particuliers. Chaque jour, un Français consomme en moyenne 150 litres d'eau, dont une dizaine à peine pour boire et s'alimenter.

"C'est un discours très dur à dire pour un ministre et à entendre pour les consommateurs qui sont habitué à ouvrir leur robinet et à pouvoir avoir de l'eau sans limite", décrypte François de Rugy, ex-ministre de la Transition écologique pendant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron.

"Et puis, on sent bien que tout discours anxiogène est vite reproché aux politiques", ajoute encore l'ancien président de l'Assemblée nationale.

"Donner l'impression de faire peur aux Français pour rien"

Le contexte ne joue pas non plus en faveur de mesures coercitives, après des mois de port du masque obligatoire et une très forte incitation à la vaccination contre le Covid-19, couplé à l'épisode plus récent des appels à la sobriété énergétique.

Après avoir poussé les Français à réduire leur consommation électrique avec la crainte d'un black-out, le risque de coupures d'électricité est désormais jugée peu probable. Au risque d'avoir donné le sentiment d'en avoir peut-être trop fait.

"On a beaucoup de chance sur l'électricité. On n'a pas eu de grosse vague de froid au pire moment et les réacteurs de centrales nucléaires qui étaient en panne sont repartis. On a évité le pire mais ça a pu donner l'impression de faire peur aux Français pour rien", confie un conseiller ministériel.

"Ne pas braquer"

Le défi est d'autant plus élevé que la sécheresse touche des régions qui n'ont pas l'habitude de manquer d'eau - à l'instar du Finistère qui possède généralement l'une des pluviométries les plus importantes de France métropolitaine.

"Ce sont des endroits où vous ne pouvez pas dire du jour au lendemain 'on va vous restreindre l'eau, débrouillez-vous'. On doit aider à trouver des solutions pour moins consommer. C'est de cette façon qu'on ne braque pas pas les gens", assure encore Philippe Mouiller, sénateur LR et auteur d'un rapport sur la sécheresse.

"Pas le choix"

Suffisant pour répondre au défi à l'asséchement des réserves d'eau qui devraient se faire de plus en plus pressant ces prochaines années face à l'accélération du réchauffement climatique? Non, répond Bettina Laville, qui avait lancé Transition écologique en marche, le comité écologique de Renaissance, désormais disparu.

"Oui, c'est l'horreur de devoir affronter autant de crises en ce moment, couplés à de restrictions", s'énerve celle qui a été l'ancienne conseillère environnementale de François Mitterrand à l'Élysée.

"Mais on n'a pas le choix. On empêche les gens de comprendre l'ampleur des efforts à faire en refusant de les contraindre à voir la sécheresse à venir dans les yeux", ajoute-t-elle encore.

Le déficit des nappes phréatiques est, lui, jugé, "rattrapable" d'ici à cet été, pour Christophe Béchu qui concède que la France "a besoin d'un mois de mars pluvieux"; Les premières prévisions n'en prennent pas pour l'instant la direction.

Marie-Pierre Bourgeois