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Jamais élu, Macron peut-il prétendre à l'Elysée?

Emmanuel Macron et François Hollande lors d'une visite d'une entreprise à Chartres le 21 avril 2016.

Emmanuel Macron et François Hollande lors d'une visite d'une entreprise à Chartres le 21 avril 2016. - Guillaume Souvant - AFP

Le jeune ministre poursuit sa montée dans les sondages. Mais le fait de n’avoir jamais été élu risque de perturber ses ambitions personnelles. Décryptage avec Yves-Marie Cann, directeur des études politiques à l‘institut Elabe.

En un mois, Emmanuel Macron a fait un bond spectaculaire dans les sondages. Le ministre de l’Economie a lancé son propre mouvement, "En marche", et ne cesse de multiplier les sorties iconoclastes à contre-temps de l’exécutif. Dans une interview donnée mercredi au journal Le Soir, il ne s’en cache plus: son mouvement est destiné à "nourrir un projet présidentiel".

Mais pour qui? Pour l’instant, cet ancien secrétaire général de l’Elysée reste ambigu quant à ses ambitions personnelles. A un an de la présidentielle, Emmanuel Macron est-il prêt à se lancer dans la course à l’Elysée? Le ministre n’est pas adhérent du PS mais surtout, il n’a jamais été élu. La route pourrait donc s’annoncer complexe. Entretien avec Yves-Marie Cann, directeur des études politiques de l’institut Elabe.

Le passage devant le suffrage universel est-il obligatoire pour les prétendants à l'Elysée?

En France, le nombre de personnalités qui ont réalisé une carrière nationale sans avoir été confronté au suffrage universel se compte sur les doigts d’une main. C’est quasiment un passage obligé. L’onction du suffrage universel est un facteur important pour quiconque s’engage au niveau national. Le mandat local confère une légitimité via l’expérience qu’il permet d’accumuler, et un grand nombre de responsables politiques l’ont compris: Ségolène Royal à Melle, Jean-Louis Borloo à Valenciennes, Alain Juppé à Bordeaux… Ce qu’ils ont fait dans leur ville conforte leur stature. C’est un gage d’efficacité pour le travail au niveau national.

Emmanuel Macron est très populaire, mais pas encore élu. Cela constitue-t-il un handicap pour son avenir?

Cela peut être une réelle faiblesse pour lui. C’est l’une des personnalités les plus populaires du moment, et ce mois-ci il a fait un bond dans les sondages. Deux facteurs le conduisent à sa popularité actuelle: il incarne le renouvellement à un moment où les Français sont lassés de la politique, et il incarne également la faculté de se placer au-dessus des clivages gauche/droite.

Mais il y a encore deux ans, personne dans le grand public ne le connaissait. La popularité mesurée aujourd’hui est donc encore fragile. Pour s’implanter sur le long terme, il lui faudra donc consolider sa place. D’ailleurs, il a montré des signes récemment: la création de son mouvement indique qu’il souhaite aller plus loin. Et la deuxième étape, c’est devenir un professionnel de la politique en se confrontant au suffrage universel

Ne court-il pas le risque d’être vu comme un parisien "parachuté" ?

Pour quelqu’un qui cherche à incarner le renouveau, c’est vrai que le parachutage fait très "politique à l’ancienne". Mais Emmanuel Macron a besoin de se constituer un fief. La question délicate sera celle de l’endroit choisi: il vient d’Amiens, c’est là où il a lancé son mouvement "En marche", il a donc une légitimité pour s’y présenter.

Mais la sociologie de la ville et sa région ne lui sont pas favorable: dans les sondages, il réalise de mauvais résultats auprès des classes populaires. Aujourd’hui, ce qui le tire vers le haut dans les études d’opinion sont les réponses venues d’Ile-de-France. C’est là qu’il réalise ses meilleurs scores, notamment auprès des cadres supérieurs, plutôt aisés et qui s’intéressent à la vie politique.

La solution la plus simple pour Macron serait donc de choisir une circonscription de gauche en Ile-de-France, à Paris ou en petite couronne, là où un élu ne souhaite pas se représenter. Sur le long terme, s’installer en dehors d’Ile-de-France, dans une région où la situation économique est plus difficile, est plus risqué mais aussi plus valorisant. Cela lui permettrait de rattraper son retard auprès des classes populaires et s’il parvient à être élu, à renforcer sa popularité.

Le parachutage fonctionne-t-il encore aujourd'hui ?

Oui, et il a déjà très bien fonctionné dans le passé: François Hollande en Corrèze, Ségolène Royal à Melle, etc. Mais pour la ministre, cela n’a pas marché à tous les coups: en 2012, elle a perdu à la Rochelle aux législatives face à Olivier Falorni. Et dans un contexte de défiance du public vis-à-vis des politiques, ce type de parachutage peut être mal vu. Mais paradoxalement, l’installation d’une personnalité à rayonnement national dans une région peut aussi être accueillie comme un espoir pour le développement de cette région.

Emmanuel Macron peut-il tenter de se lancer vers l'Elysée sans être élu?

Il peut tenter d’y aller mais au bout d’un moment, il risque de se faire rattraper. Le coup de poker, je n’y crois pas vraiment. Aujourd’hui, si Emmanuel Macron souhaite s’installer aux plus hautes fonctions, l’onction du suffrage universel reste un passage obligé, de préférence pour un mandat local – municipal, départemental ou régional. Il a besoin de se constituer un fief, une sorte de laboratoire qui lui permettre de montrer ce qu’il est capable de faire. L’ancrage local joue sur la crédibilité.

S’il a 2017 en vue, il doit aussi disposer de moyens humains et matériels pour mailler l’ensemble du territoire. La plupart du temps, c’est un parti politique qui peut aider dans cette tâche - et il n'est pas adhérent du PS. Mais il aura tout de même la nécessité de fédérer, d'organiser ses troupes et de mailler le territoire. Il lui faudra se constituer un réseau d’élus qui seront ses porte-voix sur le terrain. Pour l’instant, Emmanuel Macron est dépourvu de cet atout, mais il a l’avantage de la jeunesse, il n’a même pas 40 ans. Ce handicap n’est donc pas insurmontable: il a le temps.
https://twitter.com/ariane_k Ariane Kujawski Journaliste BFMTV