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Gouvernement

Droit du sol à Mayotte: quand Darmanin jugeait qu'il ne pouvait pas y avoir "deux catégories de territoires"

Le ministre de l'Intérieur qui a annoncé une révision constitutionnelle pour supprimer le droit du sol sur l'île de l'océan Indien tenait un autre discours il y a 6 ans. A l'époque, Gérald Darmanin jugeait qu'il ne pouvait pas y avoir "deux catégories de Français" qui pourraient acquérir de façon différente la nationalité française selon leur lieu de naissance.

Une petite phrase qui pourrait mettre mal à l'aise Gérald Darmanin. En visite à Mayotte dimanche, le ministre de l'Intérieur a annoncé "la fin du droit du sol" pour stopper net l'immigration illégale venue des Comores. Problème: le locataire de la place Beauvau tenait des propos différents il y a 6 ans.

"Il y a beaucoup de travail à Mayotte, comme il y en a d'ailleurs en Guyane, pour instaurer la loi de République. Parce qu'il n'y pas deux catégories de Français et pas deux catégories de territoires", assénait Gérald Darmanin en 2018 sur France 2 lors d'un débat face à Jean-Marie Le Pen.

Le droit du sol, "un facteur d'attractivité"

Département le plus pauvre de France, Mayotte est peuplé de 310.000 habitants, selon l'Insee - probablement beaucoup plus selon la Chambre régionale des comptes - dont 48% d'immigrés comoriens ou d'autres pays d'Afrique, souvent sans-papiers.

Ces dernières années, le nombre d'accouchements a bondi dans l'archipel, s'expliquant notamment par le fait que des femmes Comoriennes viennent y accoucher, dans l'espoir d'obtenir la nationalité française pour leur enfant.

Cette situation est considérée par Gérald Darmanin comme "un facteur d'attractivité", comme il l'a expliqué lors de sa visite dimanche sur l'île.

Des difficultés "aussi" liées à "la sécurité, l'éducation, la santé"

Pour tenter de juguler ce phénomène, la loi a déjà évolué à Mayotte en 2018. Dans l'Hexagone, si un enfant naît de parents étrangers, il peut obtenir la nationalité française à ses 18 ans s'il a vécu au moins 5 ans en France depuis ses 11 ans.

À Mayotte, il faut également que l’un des parents ait été légalement sur le territoire français depuis au moins trois mois au moment de sa naissance. Le gouvernement veut donc aller considérablement plus loin aujourd'hui.

"Il ne sera plus possible de devenir Français si on n'est pas soi-même enfant de parent français" à Mayotte, a avancé le ministère de l'Intérieur dimanche.

De quoi promouvoir une mesure "extrêmement forte, nette, radicale" qui pourrait changer la donne sur place. En 2018, il refusait cependant de résumer les problèmes de Mayotte, gangrenée par l'insécurité mais aussi par une très grave crise de l'eau, à l'immigration comorienne.

"La grande difficulté de Mayotte, c'est une question d'immigration clandestine qui vient des Comores. Mais c'est aussi une question de sécurité, d'éducation, de santé publique", jugeait ainsi celui qui était à l'époque ministre de l'Action et des comptes publics.

Darmanin promet une mesure qui ferait baisser de 90% le nombre de titres de séjour

Avec cette nouvelle mesure, qui doit encore passer par une délicate révision constitutionnelle pour s'appliquer, et le durcissement du regroupement familial permis par la récente loi immigration, le nombre de titres de séjours émis à Mayotte diminuerait de 90%, a ainsi expliqué l'entourage du ministre de l'Intérieur.

La fin du droit du sol à Mayotte permettrait notamment de supprimer les titres de séjour territorialisés, un dispositif empêchant les détenteurs d'un titre de séjour mahorais de venir dans l'Hexagone et dont les collectifs d'habitants en colère demandent la suppression.

Ce dispositif avait été lancé par Édouard Philippe alors que Gérald Darmanin n'était pas encore ministre de l'Intérieur. Régulièrement remise sur la table, la question de la fin du droit du sol est éminemment complexe, expliquant les préventions du gouvernement en 2018.

"Une brèche dans l'ensemble du droit de la nationalité"

Et pour cause: la Constitution spécifie dans son article premier que "la République est une et indivisible", rendant très compliqué de distinguer d'un territoire à l'autre l'accès à la nationalité française.

La Constitution prévoit certes bien dans son article 73, que dans les départements ultramarins, les lois "peuvent faire l'objet d'adaptations" tenant à leurs "caractéristiques et contraintes particulières". Mais ces règles "ne peuvent porter sur la nationalité", ajoute l'article.

De quoi nécessiter une révision constitutionnelle donc qui inquiète fortement à gauche. La députée européenne et tête de liste La France insoumise Manon Aubry s'est inquiétée que "la macronie attaque la conception même de la nationalité, fondement de la République".

Le constitutionnaliste Serge Slama y voit, lui, "une brèche dans l'ensemble du droit de la nationalité tant on sait que les Outre-mer servent de laboratoire" au gouvernement.

Marie-Pierre Bourgeois