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Coronavirus: le défi du gouvernement face à la prolifération des "fake news"

La page Facebook de l'événement "Stop confinement"

La page Facebook de l'événement "Stop confinement" - Facebook

Collaborant avec les grandes plateformes numériques, mais pas uniquement, le Service d'information du gouvernement tente de contenir la propagation fulgurante des fausses informations. Un enjeu crucial en période de crise sanitaire.

"Rien ne bouge en une seconde." L'aveu provient d'un agent du SIG, le Service d'information du gouvernement. Il s'agit de l'administration chargée, entre autres, de traquer l'un des fléaux de notre temps, dont le délai de propagation se compte pourtant en secondes: pas le coronavirus, mais les "fake news", ces informations détournées, falsifiées ou décontextualisées qui pullulent sur la toile.

L'enjeu est crucial en période de crise sanitaire, car on ne peut plus concret. "Les gens se sentent en dangers, donc ils réagissent", nous résume-t-on au sein de l'exécutif. Certains mensonges massivement diffusés, notamment via les réseaux sociaux, peuvent entraîner ce que le SIG qualifie pudiquement de "comportements irrationnels", voire "brutaux". Lesquels peuvent avoir, en bout de course, de graves conséquences sur la vie des gens. 

Certaines de ces fausses informations, en particulier relayées par ces Français qui s'opposent aux mesures de confinement, ont récemment fait l'objet d'une enquête de BFMTV.com

Les leçons du drame de Lubrizol

Du côté du gouvernement, on fait au mieux. "C'est une histoire sans fin, il y a des 'fake news' qui apparaissent tous les jours", y constate-t-on. Une cellule dédiée du SIG se charge donc de faire de "l'analyse média", de scruter les réseaux sociaux pour y dénicher les informations inexactes ou mensongères et, surtout, quantifier les interactions qu'elles suscitent, afin de pouvoir décider si "c’est un sujet auquel il faut s’attaquer". En termes de capacité de nuisance pour la sécurité sanitaire de nos concitoyens, le SIG s'appuie sur un précédent.

"Durant la crise qui a suivi l'explosion de l'usine Lubrizol, la problématique de l'émergence d’une information officielle est rapidement devenue un enjeu", nous explique son directeur, Michaël Nathan. "Ça nous a appris un certain nombre de choses et incités à allouer nos moyens différemment", précise-t-il.

À l'époque, en septembre 2019, le gouvernement a mesuré l'extraordinaire difficulté qu'il y avait à faire vivre cette information officielle en présence de ces contenus dits "alternatifs". Non pas ceux émanant de médias classiques et certifiés bien sûr, mais des réseaux sociaux ou des moteurs de recherche, notamment Google. 

"Très compliqué de rattraper la comète"

Aujourd'hui, l'ampleur du défi est autrement moins saisissable. À titre d'exemple, le SIG évoque cette vidéo promouvant un supposé traitement miracle contre le Covid-19, à base d'antibiotiques de la famille des macrolides. Vue 1,2 million de fois sur YouTube, elle a généré plus de 120.000 "interactions" sur Facebook - à savoir les réactions, les "likes" ou les partages.

Dans la foulée, le site de fact-checking de Libération, CheckNews, a mené une enquête approfondie sur le sujet, concluant qu'aucune étude scientifique ne permettait d'étayer l'efficacité de ce traitement. Inutile de préciser que cette publication a fait infiniment moins d'interactions sur le réseau social, quelques milliers tout au plus. Il en va de même pour les informations "officielles" émanant du gouvernement, dont l'action est constamment l'objet de soupçons.

"Le volume global de 'fake news' est en augmentation partout, sur tous les réseaux sociaux et dans tous les pays. Et une fois qu'une fausse info est partie, c'est très compliqué de rattraper la comète, même si elle est 'débunkée' (démystifiée, NDLR) rapidement", reconnaît-on au SIG. 

Autre exemple, celui de la fausse carte du déconfinement par région, à laquelle l'émission Touche pas à mon poste a donné une incroyable force de propulsion en la diffusant. Une carte dont la trame provenait effectivement du gouvernement, mais qui a été ensuite modifiée frauduleusement, comme l'a rapidement expliqué BFMTV. Mais qu'importe, la fausse carte a longuement continué à circuler sur les réseaux sociaux.

Collaboration avec les géants du numérique

Face à ce phénomène, la collaboration active avec des géants comme Twitter ou Facebook joue un rôle essentiel. Souvent accusées d'être imperméables au moindre contrôle étatique, ces plateformes numériques semblent évoluer dans leur comportement. 

"Il y a une mobilisation des plateformes que je n’avais pas vue à ce niveau auparavant. Une prise de conscience réelle de la nature singulière de la crise et de ses enjeux", assure Michaël Nathan, de part son expérience passée dans le secteur privé. "Après il y a, du côté des États, une volonté politique de s’emparer de ce sujet, de dire à ces plateformes qu'elles ont, elles aussi, une responsabilité", ajoute-t-il. 

Tristan Mendès-France, blogueur spécialisé dans la culture numérique et maître de conférence associé à l'Université de Paris, abonde dans ce sens: 

"Le SIG et d’autres structures de l’État sont en contact continu avec un représentant de Facebook. Comme partout ailleurs. Le problème, c’est qu'il s'agit d'une dynamique; il n'y a rien de carré, c’est du débat, de la conversation, sauf pour ce qui relève du judiciaire."

L'enseignant rappelle aussi que ces "fake news" et leurs conséquences néfastes ont un impact sur l'opinion publique; son regard sur les réseaux sociaux et ce qu'ils incarnent. "Et puis ces sociétés font un chiffre d’affaires, ici. Elles ont maille à partir avec tous les services de l’État", ajoute-t-il. 

Twitter a récemment accepté de supprimer les publications appelant à détruire des antennes 5G. Le tout afin d'éviter que les théories reliant le déploiement de la 5G à la propagation du Covid-19 ne prennent encore davantage d'ampleur.

L'angle mort des messageries chiffrées

Il y a toutefois des obstacles infranchissables qui, dans les faits, sont inhérents à des réseaux sociaux comme Facebook.

"Il faut réussir à court-circuiter l’enfermement algorithmique dans lequel les gens sont. Si l’horizon informationnel d'un utilisateur est uniquement Facebook, alors il n’est pas atteignable par le 'debunking'", prévient Tristan Mendès-France. 

Par conséquent, le gouvernement est contraint de tâtonner avec les moyens qu'il a. Le personnel du SIG ne se compte pas en dizaines d'employés ("quelques équivalents temps plein"), mais leurs moyens sont alloués plus efficacement qu'auparavant, nous assure-t-on.

Comment toutefois pénétrer un angle mort tel que les messageries chiffrées comme WhatsApp et Telegram, par exemple? Il s'agit là de points de passages idoines pour des messages, largement diffusés, envoyés par telle "cousine aide-soignante" ou tel "oncle qui travaille à la Défense", supposément détenteur d'une information hautement sensible liée à la pandémie de Covid-19. Un univers par définition clos, mais qui n'est pas le seul: l'application Messenger de Facebook offre également la possibilité de rendre ses "boucles" totalement privées. 

"Si quelqu'un crack WhatsApp ou Messenger, il fait la une internationale de toute la planète. Ils sont sur-blindés, tellement blindés que la justice ne peut pas les pénétrer", rappelle Tristan Mendès-France.

Manque de moyens

Dès lors, la France est-elle bien équipée? Comparer les moyens alloués par telle ou telle puissance au combat contre la désinformation est, par essence, difficilement quantifiable.

"Il y a des pays qui ont effectivement plus de moyens, plus de composantes technologiques et plus de ressources. Mais il y en a aussi qui en ont moins. Ce n'est pas la panacée, loin s’en faut, mais le gouvernement s’y intéresse de très près", explique une source bien informée sur le sujet.

Selon Gaspard Gantzer, communicant de François Hollande à l'Elysée pendant trois ans, et candidat lors des dernières municipales, l'État manque clairement de moyens. 

"C'est une conviction personnelle, mais le gouvernement va devoir investir beaucoup plus massivement d’un d'un point de vue technologique et humain pour combattre les 'fake news'. Face à nous, il y a des gens organisés dans d'autres États. En termes informatiques, on a l’impression de se défendre avec un pistolet à eau contre une arme nucléaire", s'alarme-t-il. 

Besoin d'une communication pédagogue

Cette recherche de solutions logistiques, laborieuse, peut contribuer au climat anxiogène, nourri par les incertitudes innombrables qui persistent autour du coronavirus. D'où l'importance d'avoir une communication gouvernementale millimétrée. De ce point de vue, Emmanuel Macron et Édouard Philippe ont encore fort à faire pour restaurer la confiance des Français en leur capacité à gérer la crise sanitaire.

Selon Gaspard Gantzer, "la communication du gouvernement ne peut pas répondre à tout, tout le temps, mais son rôle est de dire la vérité".

"Le plus efficace me semble être le point presse quotidien de Jérôme Salomon. Sa régularité métronomique est rassurante. Les grandes allocutions télévisées de Macron le sont aussi, ça solennise la parole. Après, au sein de l'exécutif, il y a encore beaucoup de gens qui parlent alors qu’ils n’ont pas grand-chose à dire", juge le candidat désormais étiqueté La République en marche aux municipales, dans le VIe arrondissement de Paris.

Le communicant dit ne pas viser une personne en particulier, mais plutôt un problème "systémique".

"On attend que ça soit les sachants qui parlent. Sous Hollande, pendant la période des attentats, les gens attendaient le procureur Molins. Par exemple les annonces de Jean-Michel Blanquer sur la réouverture des école, il y a eu des démentis et des recadrages juste après. Cela crée des brèches."

"Climat de suspicion généralisée"

D'autant que l'horizon n'est pas jouasse. Après la période de confinement viendra celle de la crise économique, doublée de la crainte d'une potentielle deuxième vague d'épidémie du Covid-19. Tout cela est "favorable à cet écosystème de suspicion généralisée", estime Tristan Mendès-France. 

"Je vois mal ce phénomène se tasser gentiment. Il risque d’y avoir un contre-coup, car nous n'avons aucune visibilité sur ce qui va suivre. Plus cette confiance en l'autorité publique faiblira, plus il y aura des opposants au confinement", prévient-il.

Tout cela s'accompagne de dangers sanitaires flagrants. "Si on envisage, par exemple, qu’il faut vacciner massivement la population contre la grippe pour éviter de cumuler les maladies, alors qu'on a une société allergique à tout propos public du gouvernement, avec tout cet écosystème numérique infecté de toutes parts... Ça crée un baril de poudre."

Jules Pecnard