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Avec ou sans Édouard Philippe? Les pistes d'Emmanuel Macron pour "l'après-coronavirus"

La crise sanitaire met le couple exécutif à rude épreuve. En pleine réflexion sur la dernière phase du quinquennat, Emmanuel Macron veut avancer sur le social et l'écologie. Trop à rebours, estiment certains, du logiciel politique d'Édouard Philippe.

En France, les grandes crises n'ont pas toujours raison d'un Premier ministre. Toute crise, en revanche, met à rude épreuve l'entente entre celui-ci et le président de la République en exercice. Emmanuel Macron et Édouard Philippe, plongés depuis plus d'un mois dans la plus grave crise sanitaire qu'ait connu le pays depuis un siècle, n'échappent pas à cette règle, immuable sous la Ve République. 

Cela est d'autant plus vrai à l'heure actuelle que le chef de l'État, en pleine réflexion sur la phase d'après, consulte à tout-va pour donner du sens à sa fin de quinquennat. C'est dans ces moments-là que les frictions entre les deux têtes de l'exécutif se font le plus voir ou se trouvent accentuées par les divers entourages. Suffisamment pour entraîner un changement de Premier ministre? Beaucoup dépendra de la capacité d'Édouard Philippe à se mettre au diapason d'Emmanuel Macron. Récit des dernières péripéties. 

Premières frictions lors des municipales

Les premières frictions remontent aux élections municipales. Initialement, le chef de l'État veut les annuler, contrairement au Premier ministre. Le premier tour est maintenu, accompagné des lourdes polémiques que l'on sait. Depuis, certains cadres du groupe La République en marche à l'Assemblée nationale se font l'écho de tensions au sommet de l'exécutif. 

"La suite ne pourra pas se faire avec le Premier ministre selon moi. Il a défendu le maintien du premier tour des municipales, cela a laissé des traces... D’ailleurs, si le président ne l’a pas cité lundi soir, c’est un signe qui ne trompe pas", souligne un ponte de la majorité auprès de BFMTV. 

Un proche d'Édouard Philippe croit savoir qu'Emmanuel Macron "regrette de ne pas avoir suivi son instinct pour le premier tour".

"Mais je ne crois pas qu'il en veuille au Premier ministre", ajoute-t-il. 

Lorsque la crise démarre vraiment, une répartition des rôles plutôt claire semble émerger: au chef de l'État le discours volontariste et symbolique, au Premier ministre le concret, le cambouis et les points-presse pointus sur l'évolution de la pandémie de Covid-19 sur le territoire. Avec ce dispositif, Édouard Philippe est davantage dans la lumière.

"Le président peut être agacé par le fait que beaucoup lui disent que le Premier ministre est bon", rétorque un de ses proches. Un vieux compagnon de route du chef de l'Etat taquine même ce dernier à ce sujet: "Edouard Philippe est bon, toi tu fais président des riches."

Si la pression est maximale sur les épaules de l'ex-lieutenant d'Alain Juppé, ses proches répondent que "l'ambiance est très studieuse et coordonnée". 

"Le Premier ministre fait un boulot de gestion de crise exceptionnel, le pays, les hôpitaux, ça tient. Et c'est déjà pas si mal", juge une ministre, admirative. 

De Cazeneuve à Jadot, Macron consulte

Emmanuel Macron a ouvert lui-même la réflexion sur la suite en évoquant "l'après", notamment durant son intervention télévisée du 13 avril. Pour bâtir cette fin de quinquennat et, éventuellement, remanier une équipe gouvernementale durement éprouvée, il consulte.

Dans un tel contexte de flottement, chacun voit midi à sa porte. La remuante aile gauche de LaREM veut croire à une "recomposition politique" tandis qu'à Matignon, on se borne à annoncer une "nouvelle initiative politique".

Non seulement le président de la République consulte, mais il consulte beaucoup, des profils différents, qui vont de l'ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve à Yannick Jadot, l'ex-tête de liste écologiste aux élections européennes. 

"Le constat, c'est qu’il a donné quelques pistes: rien ne sera comme avant, il va falloir se réinventer, on va changer l'agenda politique", résume un proche d'Emmanuel Macron. 

"On voit que le président imprime dans la période, et c’est important. Il faut relancer une forme de reconstruction politique. Il incarne quelque chose, il n’est pas démonétisé", veut-on croire dans son entourage.

Un virage écologique et social 

Depuis le début de la crise, le gouvernement semble avoir fait sien le nouveau leitmotiv présidentiel: sauver les Français, "quoi qu'il en coûte". Quitte à alourdir la dette et creuser les déficits. Des décisions qui, sur le papier, vont à rebours du logiciel libéral d'Emmanuel Macron... et d'Édouard Philippe. "Est-ce que Philippe incarne cette volonté de se réinventer, ne pas uniquement expliquer que nos recettes du passé sont celles de l’avenir", s'interroge un proche du président de la République.

"Il faudra que le président se débarrasse de cette étiquette de 'président des riches', il faudra faire de la répartition des richesses une priorité", abonde un proche du Premier ministre, longtemps fidèle du rigoriste Alain Juppé. "À ce stade on est parti vers beaucoup plus d’étatisme", poursuit cette source.

Sur quel levier faut-il appuyer, toutefois? Est-ce qu’on utilise le plan de relance, le "Green Deal" européen? Miser sur la flexibilité des entreprises?

"Il est en train de réfléchir. Il y a moyen de renverser un certain nombre de choses, faire jouer les corps intermédiaires, les syndicats, les associations, faire jouer la première et la deuxième ligne pour faire reconnaître un certain nombre" de citoyen, affirme un cadre de la majorité, d'après qui Emmanuel Macron veut réévaluer "notre rapport à la mondialisation". 

D'autant qu'avec le succès d'Europe Écologie-Les Verts au premier tour des municipales, qui reste certes à transformer au second (dont la date reste inconnue), le changement de braquet de l'exécutif devra se confirmer. Se confirmer, car le "tournant écolo" du quinquennat avait déjà été amorcé en 2019, au sortir de la crise des gilets jaunes. Il faudra faire la synthèse de "on a compris la crise des gilets jaunes et les leçons du Covid" résume un initié du pouvoir. 

Ce tournant, "le président a l'opportunité de le faire et il va le faire, c'est pas un scoop", estime une ministre. "Il va y avoir un fort besoin de social et d'écologie", ajoute-t-elle.

Avec ou sans Philippe?

Pour donner de la perspective et de la cohérence aux Français, au cœur de l'épreuve, le président préparerait un grand discours. Il prévoirait de le prononcer au mitan de juillet, devant le Parlement réuni en Congrès, pour présenter son nouveau projet politique. Rien n'est toutefois confirmé à ce stade.

En attendant, dans la basse-cour, les couteaux s'aiguisent. Aile droite et aile gauche de LaREM se tirent la bourre pour souffler leurs bonnes idées de mesures d'avenir à l'oreille du Premier ministre. Tous sont d'accord pour craindre un nouveau duel entre leur champion et Marine Le Pen en 2022. Ils s'accordent également à dire que la politique à suivre devra être plus sociale, plus solidaire, tendre vers une meilleure répartition des richesses et avoir une inflexion très écologiste. 

Le Premier ministre peut-il incarner ce virage? Beaucoup en doutent, jusque dans son propre camp. Selon un proche d'Édouard Philippe, tout va dépendre de l'orientation que choisira de prendre Emmanuel Macron: 

"Qu'il veuille à partir de juillet prendre une initiative politique, c’est évident. Il va définir ce qu’il va faire, et avec qui, il voudra élargir. Avec Édouard Philippe il a trouvé un bon fonctionnement. Il aura une discussion avec Édouard sur le fond. C’est tout à fait possible que ce soit un autre (pour diriger le gouvernement). Et ce n'est pas un problème pour Édouard. Est ce que c’est certain qu’il va partir? Ce n’est pas sûr non plus."

Pour ce conseiller de Matignon, il ne s'agit pas d'un problème de personne, mais bien d'incarnation dans le projet à redéfinir.

"Le Premier ministre ne sera pas écarté de la réflexion, ce n'est pas un sujet de personne, c'est un sujet d'idée", dit-il.

"Une tête doit tomber"

Dans ce "nouveau monde" voulu par le chef de l'État, les doutes sur la capacité d'Édouard Philippe à incarner ce nouvel élan sont nombreux. Selon un parlementaire, le premier à se poser des questions serait le président lui-même:

"Le président de la République sait qu’il ne peut pas faire le grand virage écologique avec son Premier ministre."

Le collaborateur d'un proche d'Édouard Philippe évoque même le fait "qu'une tête doit tomber" pour tirer un trait sur la mauvaise gestion initiale de la crise:

"Macron ne fait que parler de changement politique, il faut une nouvelle tête, une nouvelle incarnation, et il faut qu'une tête tombe pour 'punir' le début difficile de la gestion de crise"

Qui pour incarner la suite?

Dans la continuité de ce qui, là encore, avait été amorcé en 2019 après la crise des gilets jaunes, Emmanuel Macron entend consolider ses liens avec ce que la Macronie appelle les "territoires". Une appellation qui, d'ailleurs, commence à irriter certains députés LaREM qui labourent le terrain.

Pour la suite, "ça va beaucoup se tourner vers les maires", croit savoir le proche d'un édile influent.

Du côté de l'entourage du chef de l'État, on assure que ce sont les idées qui primeront. Les noms importent peu et viendront dans un second temps, nous assure-t-on. 

Des maires, notamment étiquetés socialistes, feront-ils néanmoins leur entrée au gouvernement?

"Peut-être les maires de Nantes, de Rennes, des femmes de gauche" évoque le proche d'un maire, lui aussi bien placé dans la course au portefeuille. 

Comme "il faut des stars dans un gouvernement" selon cette même source, et si le nom de Manuel Valls est définitivement rayé par les proches d'Emmanuel Macron, celui de Gérald Darmanin revient beaucoup pour l'Intérieur. Yannick Jadot également est régulièrement cité par des proches du couple exécutif, de droite comme de gauche, pour prendre les commandes d'un grand ministère de l'écologie.

Et pour Matignon? Certains évoquent la possibilité d'une droite plus "sociale" avec l'arrivée de Xavier Bertrand, président de la région des Hauts-de-France, ancien ministre de la Santé de Nicolas Sarkozy. Mais d'autres jugent cette hypothèse compliquée, et évoquent plutôt la carte Jean Yves Le Drian.

Enfin certains, au sommet de l'État, parlent d'un Bernard Cazeneuve qui, jusqu'à il y a peu, échangeait beaucoup avec le locataire de l'Elysée. Reste à savoir jusqu'où le "en même temps" pourra, une nouvelle fois, tenter de renverser l'échiquier politique. Et par là même, préparer au mieux Emmanuel Macron à affronter 2022. 

Perrine Vasque et Camille Langlade avec Jules Pecnard