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Gilets jaunes, loi Travail, retraites... À quoi ont ressemblé les 1er-Mai les années de contestations sociales?

Des manifestants à Paris, le 1er mai 2019.

Des manifestants à Paris, le 1er mai 2019. - ALAIN JOCARD / AFP

Si les syndicats misent beaucoup sur les cortèges ce lundi pour faire céder le gouvernement sur la retraite à 64 ans, les précédents 1er-Mai montrent que le pari est loin d'être gagné. Pendant la loi travail ou la réforme des retraites en 2010, la mobilisation avait été jugée décevante.

Est-ce le "baroud d'honneur" des opposants, comme l'espère un ministre cité par l'AFP? "Ce n'est pas fini", répond au contraire l'intersyndicale, qui a appelé les Français "à déferler dans la rue" ce lundi 1er mai contre la réforme des retraites, désormais promulguée. Cette nouvelle mobilisation intervient à deux jours d'une nouvelle décision du Conseil constitutionnel, qui doit se prononcer sur une seconde demande de référendum d'initiative partagée.

Si les fortes contestations sociales peuvent faire descendre en nombre les manifestants dans la rue le 1er mai, certaines fêtes du travail n'ont pas eu les allures des grands jours, en dépit d'un contexte social parfois très porteur.

• En 2019, gilets jaunes et masques de Benalla

Le dernier cortège d'ampleur lors de la journée internationale des travailleurs a eu lieu cinq mois après la première journée de mobilisation des gilets jaunes. Le 1er mai 2019, la CGT comptabilise 310.000 manifestants dans toute la France, dont de très nombreux porteurs de la chasuble fluo. Le ministère de l'Intérieur recense de son côté 164.500 personnes dans les rues.

Ce jour-là, de nombreux manifestants arborent également des masques à l'effigie d'Alexandre Benalla. Un an plus tôt, l'ancien conseiller de l'Élysée avait molesté des manifestants à Paris à l'issue du défilé du 1er-Mai.

Des manifestants arborent des masques à l'effigie d'Alexandre Benalla, le 1er mai 2019 à Paris.
Des manifestants arborent des masques à l'effigie d'Alexandre Benalla, le 1er mai 2019 à Paris. © Anne-Christine POUJOULAT / AFP

Les cortèges qui ont lieu dans des dizaines de villes en France se déroulent dans une ambiance très tendue. Philippe Martinez, alors numéro 1 de la CGT, est même contraint de quitter temporairement le cortège, après avoir été pris à parti par des manifestants virulents. À Paris, des dizaines de manifestants font brièvement irruption à la Pitié-Salpêtrière.

"Le mouvement des gilets jaunes a bien sûr vu une opportunité à s'intégrer à un cortège qui a une valeur rituelle forte. Mais ça a créé de vrais effets pervers en terme de maintien de l'ordre", décrypte l'historienne Danielle Tartakowsky, spécialiste de l'histoire sociale contemporaine, auprès de BFMTV.com.

Au moment de ce 1er-Mai, "le pouvoir sait aussi que la réforme de la retraite à points arrivera quelques mois plus tard (elle a été abandonnée depuis, NDLR) et risque d'être très contestée", observe encore la spécialiste. "Les deux éléments donnent un cocktail détonnant."

Des policiers lors de la manifestation du 1er mai 2019, à Paris.
Des policiers lors de la manifestation du 1er mai 2019, à Paris. © KENZO TRIBOUILLARD / AFP

• En 2016, un petit cru en plein bras de fer contre la loi Travail

En 2016, le traditionnel défilé a lieu deux jours avant le début de l'examen de la très contestée loi Travail à l'Assemblée nationale. De quoi faire monter la température dans les cortèges après deux mois de forte mobilisation contre un texte qui vise notamment à "flexibiliser" le marché du travail en facilitant les licenciements économiques.

La foule des grands jours est pourtant très loin. Seuls 160.000 manifestants sont présents dans les rues de l'Hexagone, d'après la CGT et 97.300 pour le ministère de l'Intérieur. À Paris, des heurts émaillent la manifestation. La place de la République est également évacuée en fin de soirée, après des incidents avec des casseurs.

Pour justifier ce mauvais millésime, les syndicats pointent du doigt une manifestation qui tombe en plein pendant les vacances scolaires de deux zones.

Un manifestant contre la loi Travail, le 1er mai 2016 à Paris.
Un manifestant contre la loi Travail, le 1er mai 2016 à Paris. © ALAIN JOCARD / AFP

Le sociologue Stéphane Sirot y voit plutôt la cause d'une "désunion syndicale très forte". "Historiquement, le 1er-Mai appartient à la CGT", analyse ce spécialiste du syndicalisme. "FO défile au mur des Fédérés, la CFDT fait un meeting."

"La loi Travail a fortement divisé les centrales et le cortège de la fête des travailleurs a reflété les différences entre les syndicats qu'on observe souvent", poursuit-il.

• En 2011, après une autre réforme des retraites, une faible mobilisation

Malgré une dizaine de journées de grève contre la réforme des retraites, le 1er mai 2011 qui a lieu 5 mois après la promulgation de la loi n'est pas un franc succès. À deux mois de la mise en application du texte, 350.000 manifestants en France défilent selon la CGT, et 195.000 selon le ministère de l'intérieur.

Des manifestants à Paris, le 1er mai 2011.
Des manifestants à Paris, le 1er mai 2011. © JACQUES DEMARTHON / AFP

Présenté au Parlement en septembre 2010, la réforme qui recule l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans, a pourtant fait l'unanimité des centrales contre elle. Le texte a même mobilisé jusqu'à 3,5 millions de manifestants selon les syndicats et 1,23 million suivant la police.

"Les fortes mobilisations n'ont pas fait céder le gouvernement, et donc d'une certaine façon, les gens passent à autre chose", décrypte le politologue Jean-Marie Pernot. "L'échec a été digéré et la dynamique du conflit s'est épuisée."

• En 2003, avant l'annonce de la réforme Fillon, une démonstration en demi-teinte

Au printemps 2003, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin achève ses consultations sur la future réforme qui vise à allonger la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Sans connaissance des contours précis de la future loi portée par François Fillon, alors ministre du Travail, la CGT tente de mobiliser largement.

"C'est un point d'appui pour les prochains rendez-vous", lance ainsi le secrétaire général de la CFDT d'alors Bernard Thibault.

Le syndicaliste voit dans le 1er-Mai un round d'échauffement pour la première journée de mobilisation contre la réforme 2 semaines plus tard. Le ministère de l'Intérieur comptabilise finalement 210.000 manifestants dans toute la France, contre 380.000 pour les syndicats.

Des manifestants défilent à Paris, le 1er mai 2003.
Des manifestants défilent à Paris, le 1er mai 2003. © PIERRE VERDY / AFP

Si la mobilisation est honorable - "c'est un 1er-Mai meilleur que d'habitude", se félicite même François Chérèque, le patron de la CFDT -, elle n'a pas de quoi faire reculer le gouvernement. Quelques jours plus tard, François Fillon lance vouloir "aller jusqu'au bout de la réforme", qu'il juge "incontournable".

"D'une certaine façon, ce 1er-Mai est arrivé un peu trop tôt pour fortement mobiliser les opposants à la réforme des retraites ou un peu trop tard pour rentrer dans un rapport de force avec le gouvernement", décrypte le sociologue François Sirot.

Dix jours après la qualification surprise de Jean-Marie Le Pen et à quatre jours du second tour de la présidentielle, le 1er mai 2002 est historique: 1,3 million de personnes battent le pavé dans le calme, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur.

Des manifestants défilent à Paris, le 1er mai 2002.
Des manifestants défilent à Paris, le 1er mai 2002. © JACK GUEZ / AFP

En transformant cette mobilisation syndicale en rassemblement anti-Front national (l'ancien nom du Rassemblement national, NDLR), les syndicats qui ont porté l'initiative se félicitent d'avoir réussi la plus forte mobilisation des tous les 1er-Mai et l'une des plus importantes de l'histoire contemporaine.

"Les partis politiques de gauche étaient très présents mais la manifestation était bien organisée par les centrales. Ça a créé une vraie légitimité pour une mobilisation qui contestait un résultat démocratique", avance encore l'historienne Danielle Tartakowsky.

Sitôt connus les résultats du premier tour, le 21 avril, des manifestations spontanées avaient déjà eu lieu un peu partout dans le pays.

• En 1996, après l'abandon de la réforme Juppé, la foule des petits jours

Cinq mois après une grève historique en France qui a poussé Alain Juppé à renoncer à réformer les régimes spéciaux de retraites et ceux de la fonction publique, les syndicats font grise mine. Les confédérations organisent le 1er-Mai syndical à Paris chacune dans leur coin. Des manifestations unitaires sont cependant organisées en régions.

Le 1er mai 1996 à Paris
Le 1er mai 1996 à Paris © MANOOCHER DEGHATI / AFP

Cette division est à l'image du mouvement social. Certaines centrales comme la CFDT avaient affiché leur soutien à certains pans du plan Juppé. D'autres comme la CGT et FO s'étaient fortement mobilisées contre.

Au printemps 1996, les tensions, y compris internes, sont toujours très fortes et le débat entre une ligne réformiste et une approche de franche opposition perdure.

"Il est difficile de remobiliser immédiatement", après le mouvement de l'automne 1995, reconnaît d'ailleurs pudiquement Marc Blondel, alors patron de Force ouvrière.

La faible mobilisation redonne même un peu d'air au Premier ministre pourtant très fragilisé politiquement. Alain Juppé évoque publiquement quelques jours plus tard "une fonction publique qui fait de la mauvaise graisse".

Marie-Pierre Bourgeois