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Programme du FN: quelles différences entre Jean-Marie et Marine Le Pen ?

Jean-Marie Le Pen et sa fille Marine Le Pen, le 17 mars 2007.

Jean-Marie Le Pen et sa fille Marine Le Pen, le 17 mars 2007. - Martin Bureau - AFP

Marine Le Pen est en train de "dynamiter" le Front national, a fustigé vendredi Jean-Marie Le Pen après la décision de la présidente du parti de le convoquer en "procédure disciplinaire". Mais au-delà de la guerre personnelle dans laquelle se sont lancés le père et sa fille, s’opposent-ils vraiment sur le fond ? Eléments de réponse.

Le visage du Front national a-t-il vraiment changé avec Marine Le Pen? C’est en tout cas le message que veut adresser la présidente du parti en se montrant très ferme après les dérapages de son père Jean-Marie Le Pen ces derniers jours.

Celle qui a hérité de la formation d’extrême droite en 2011 s’est non seulement désolidarisée de ses propos polémiques, mais a surtout pour la première fois menacé le président d’honneur de sanctions: un bureau politique prévu vendredi 17 avril pourrait statuer sur l'éviction de Jean-Marie Le Pen de la liste du FN en Paca pour les régionales de décembre, et il sera convoqué dans les prochains jours en "procédure disciplinaire" devant le bureau exécutif, une instance qui pourrait décider de son exclusion.

Au-delà du parricide annoncé - y compris par le principal intéressé - et de la querelle de pouvoir, Marine Le Pen est-elle vraiment en train de "dynamiter" le FN, comme l’affirme son fondateur? Qu’est devenu le programme du parti depuis qu’elle le dirige? Tour d’horizon.

> Parti contestataire contre parti normalisé: en opposition frontale sur la stratégie

A l’origine de la brouille entre Le Pen père et Le Pen fille, les récentes saillies du patriarche frontiste. Jean-Marie Le Pen a créé la polémique à deux reprises ces derniers jours: d’abord en réitérant sur BFMTV et RMC ses propos sur les chambres à gaz, "détail de l’histoire" selon lui, puis avec une interview au journal d’extrême droite Rivarol, où il affirme notamment ne "jamais" avoir considéré Pétain "comme un traître".

Des propos que Marine Le Pen a condamnés à chaque fois, à l'instar des cadres du parti. "On peut dire ce que l'on pense, mais le Front national a quand même une ligne, laquelle est portée par sa présidente. Les propos de Jean-Marie Le Pen n'engagent que lui. Il est dans la provocation volontaire et cherche la polémique", a accusé la présidente du Front national après les propos de son père sur les chambres à gaz. "Son statut de président d'honneur ne l'autorise pas à prendre le Front national en otage, à des provocations aussi grossières dont l'objectif semble être de me nuire mais qui, hélas, portent un coup très dur à tout le mouvement, à ses cadres, à ses candidats, à ses adhérents, à ses électeurs", a-t-elle ensuite dénoncé après l’interview à Rivarol.

Marine Le Pen reproche à son père de contrevenir à la ligne du Front national. En clair, de ne pas suivre la ligne de "dédiabolisation" et de "normalisation" à laquelle elle travaille depuis qu’elle a récupéré les clés du parti. Le principe? En finir avec l’image peu respectable que traîne le parti, et notamment avec les "accusations de racisme et d’antisémitisme qui sont les taches historiques du FN", comme l’explique Cécile Alduy, auteure de Marine Le Pen prise aux mots, contactée par BFMTV.com.

La patronne du FN veut élargir sa base électorale et se faire accepter comme un parti comme un autre par les médias pour, finalement, accéder aux responsabilités. La nouvelle direction s’attache donc à muer le Front en parti de gouvernement, une stratégie en rupture avec celle de parti contestataire que menait Jean-Marie Le Pen. Exit, donc, les provocations à répétition chères au fondateur de la formation d’extrême droite pour exister dans les médias.

> "Marine Le Pen n’a jamais tenu de propos antisémites"

"Marine Le Pen ne pouvait pas ne pas condamner. Dans l’interview à Rivarol, il fait de la rediabolisation", estime Cécile Alduy. "Elle, personnellement, n’a jamais tenu de propos antisémites ou ouvertement racistes. Marine Le Pen cible la communauté musulmane, mais elle n’utilise jamais de propos racistes au sens biologique du terme. Ca c’est un changement. Dans Rivarol (un journal condamné pour négationnisme et fondé par d'anciens collaborateurs du régime de Vichy, Ndlr), Jean-Marie Le Pen parle du 'monde blanc'", ajoute la professeure de littérature.

Autre signal fort de ce nouveau virage, Louis Aliot, vice-président du FN et compagnon de Marine Le Pen, a dénoncé de son côté un "entretien parfaitement scandaleux" et "des désaccords irréconciables" après les propos tenus dans l'hebdomadaire, "torchon antisémite".

"Si on peut donner quitus à Marine Le Pen sur le fait que son parti n’est plus antisémite, le Front national reste toutefois altérophobe – c’est-à-dire qui vit dans la peur de la différence, de l’autre", dit de la même façon au Monde l’historien spécialiste du FN Nicolas Lebourg.

> Des changements dans le programme économique

"Elle a aussi fait quelques changements sur le programme économique du Front national", relève d’autre part Cécile Alduy. Dans l’entretien à Rivarol, Jean-Marie Le Pen estime par exemple "ridicule" de demander la retraite à 60 ans. "J’ai essayé d’expliquer à Marine Le Pen et à ses conseillers que c’était une erreur. C’est ridicule de demander la retraite à 60 ans alors que moi, à la tête du FN, pendant des décennies, je l’ai demandée à 65! J’étais en avance", explique-t-il.

En matière d'économie, Marine Le Pen adopte une ligne sociale et étatiste, alors que le Front national de son père était sur un créneau libéral. Si elle réfute le terme d'Etat providence, Marine Le Pen se déclare volontiers pour une intervention de l'Etat dans l'économie. "Nous n’avons jamais été pour des privatisations massives, ça, c’est n’importe quoi, nous sommes pour un Etat stratège", affirmait-elle ainsi en 2013.

Une différence notable avec Jean-Marie Le Pen, selon Nicolas Lebourg. Dans les années 1970-80, le parti était très libéral et anti-fiscaliste: "Cela permet à la fois de faire dans le darwinisme social [le moins d’Etat possible dans l’économie pour assurer la domination des meilleurs, Ndlr] auquel sont attachés nombre de radicaux, et d’affirmer un positionnement poujadiste. On le voit, par exemple, avec une affiche de 1984 qui dénonce le socialisme, le fiscalisme, etc."

> Sur le reste, sensiblement le même programme

Au-delà, le programme actuel du FN version Marine Le Pen est sensiblement le même que celui de son père aux dernières élections présidentielles. "Le programme électoral 2012 du Front national est pratiquement exactement le même que celui de 2007, et de 2002, qui étaient portés par Jean-Marie Le Pen", note Cécile Alduy. "Et notamment les mesures phares: la sortie de l’euro, la priorité nationale qui est la même chose que la préférence nationale, tout ce qui a trait à l’immigration, à la sécurité, à l’armée, à l’école, à la justice, aux syndicats, à la liberté de presse, à la Constitution. Sur tout ça, c’est la même chose".

"Le programme des années 70 n’est pas celui d’aujourd’hui: ils ne parlent plus d’inversion des flux migratoires, d’annuler les naturalisations, ou de thématiques anti-juives", explique de son côté le politologue Jean-Yves Camus dans un entretien au Monde. "Mais est-ce que ça suffit? La boucle ne sera vraiment bouclée que quand le bureau politique du FN – pas simplement Marine Le Pen ou Florian Philippot à titre personnel – dira quelle est la ligne officielle du mouvement, sur le maréchal Pétain ou sur d’autres questions".

V.R.