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Rassemblement national

FN: les provocations de Jean-Marie Le Pen peuvent-elles servir sa fille?

Marine et Jean-Marie Le Pen, le 22 septembre 2012.

Marine et Jean-Marie Le Pen, le 22 septembre 2012. - Alain Jocard - AFP

Les saillies du président d’honneur du Front national profitent-elles à Marine Le Pen en lui permettant de réaffirmer sa stratégie de dédiabolisation, et de prouver que c’est bien elle qui tient désormais les rênes? Sont-elles un gage donné à des militants déroutés par la normalisation du parti? L’analyse de spécialistes du FN.

La rupture est désormais consommée. Après l’interview donnée par Jean-Marie Le Pen au journal d’extrême droite Rivarol, la présidente du Front national Marine Le Pen - précédée par plusieurs cadres du parti - a dépassé ce mercredi la simple condamnation des propos de son père en annonçant s’opposer à sa candidature pour la présidence de la région Paca. Une première.

Pour autant, Marine Le Pen ne bénéficie-t-elle pas de ces dérapages, qui lui permettent de dire que le Front national a changé depuis qu’elle est à sa tête, tout en laissant son père s’adresser aux militants historiques du parti? Eléments de réponse avec plusieurs spécialistes du FN.

"Elle apparaît par contraste au-dessus de tout soupçon"

Pour Cécile Alduy, co-auteure du livre Marine Le Pen prise aux mots, cela ne fait aucun doute: la patronne du FN bénéficie "au niveau personnel" des dérapages de son père. "De fait, quand Jean-Marie Le Pen fait une sortie", en la condamnant, la présidente du parti "apparaît par contraste au-dessus de tout soupçon quant aux accusations de racisme et d’antisémitisme qui sont les taches historiques du FN". Mais selon elle, le parti dans son ensemble en pâtit. "Ces sorties ramènent un peu de tabou sur le Front national alors qu’on est dans un processus de déshinibition des électeurs frontistes", explique la professeure de littérature, qui a analysé quelque 500 discours prononcés par Jean-Marie et Marine Le Pen.

Le communicant Matthias Leridon, président de l’agence Tilder, est lui aussi partagé. "Oui, elle se désolidarise. Mais pour l’instant, il n’y a pas de sanctions. Cela montre qu’un élément à changé la communication est claire. Mais c’est la décision institutionnelle de l’exclure qui permettrait de clore une période dans l’histoire du FN", estime-t-il.

L’ancien secrétaire général du FN, Carl Lang, juge de son côté que Marine Le Pen vient tout simplement de tuer le père ce mercredi. En condamnant ses propos et en le menaçant de sanctions, "elle pratique l’acte d’euthanasie politique, C’est le reniement officiel de son père, une fois qu’elle a eu son héritage", accuse-t-il. En cause selon lui? La stratégie de "normalisation" du parti de Marine Le Pen, qui impose "son lissage complet pour accéder aux responsabilités". Car la présidente du FN, aux commandes du parti depuis 2011, a entrepris de dédiaboliser le parti et de lui donner une image plus respectable pour conquérir le pouvoir, élection après élection.

Et il y a encore des marges de progression, note le politologue Jean-Yves Camus. "Les résultats électoraux ont montré aux élections départementales que même si ces élections étaient un succès pour le FN, il lui fallait quand même encore progresser. Notamment gagner sur les abstentionnistes, mais aussi sur les électeurs qui pour l’instant se portent sur l’UMP, qui sont plutôt d’accord avec le FN sur l’immigration, la loi et ordre, l'identité nationale, mais qui trouvent que le Front national est encore un peu infréquentable”, indique ce spécialiste de l’extrême droite, interrogé mercredi sur BFMTV.

"Jean-Marie Le Pen n’est pas uniquement un boulet"

Mais si Marine Le Pen cherche à normaliser le parti pour élargir son électorat, Jean-Marie Le Pen, avec ses dérapages, peut-il remobiliser les militants historiques du FN? C’est l’analyse que fait Matthias Leridon. "Avec Jean-Marie Le Pen, la branche dure s’exprime. L’utilité c’est de parler à ceux que le côté policé pourrait faire partir. La difficulté, c’est de trouver comment maintenir ce qui constitue le canal historique de FN et faire venir les électeurs de la droite classique", explique le communicant.

"Jean-Marie Le Pen n’est pas uniquement un boulet", commente en écho Jean-Yves Camus, "il parle à une fraction de l’électorat et aussi aux militants parce qu’il a quand même une cote de popularité, une cote d’amour à l’intérieur du parti".

Est-ce là une stratégie établie? "Ce n’est pas un jeu de rôle intentionnel, concerté à l’avance entre les deux", selon Cécile Alduy, qui juge d’ailleurs que ce double discours peut être contre-productif. "Les nouveaux électeurs peuvent souffrir d’une ambivalence du discours officiel du Front national qui ne décide pas entre la ligne de Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen car les deux coexistent", dit-elle. Et Matthias Leridon de résumer: "La décision de prendre ou non une sanction institutionnelle nous le dira: s’il est exclu, ça voudra dire que c’était un problème pour le FN, sinon, ça voudra dire que c’était une stratégie".