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Rassemblement national

Effacée après la présidentielle, Marine Le Pen est revenue en force pour 2027

Marine Le Pen, au soir des résultats des élections législatives, dimanche 19 juin 2022

Marine Le Pen, au soir des résultats des élections législatives, dimanche 19 juin 2022 - Denis Charlet - AFP

La tête du RN est apparue impeccable avec ses 89 députés sur les marches du Palais-Bourbon. Une stratégie de dédiabolisation et un souci de professionnalisation amorcés post-2017 qu'elle compte maintenir pour les cinq ans à venir.

Le LR Gérard Larcher lui donnerait la tête de la commission des Finances, la députée macroniste Céline Calvez assume de vouloir aller séduire ses troupes... Après un nouvel échec aux portes de l'Élysée en avril dernier, Marine Le Pen revient en force après les législatives de dimanche, au point de faire "sauter les digues", ce que déplore Fabien Roussel. Au sein du parti, on évoque la surprise après ces résultats:

"Très honnêtement, après une présidentielle aux alentours de 42%, on s'attendait à 40 députés, pas plus. Les plus optimistes disaient 50", relate à BFMTV.com Philippe Olivier, conseiller spécial de Marine Le Pen.

Même la principale concernée n'y croyait pas. Lundi soir, en félicitant ses 89 élus, elle confie ainsi son étonnement, rapporte Libération: "Bon bah voilà, on ne pensait pas que vous seriez aussi nombreux". Les sondages eux-mêmes sous-évaluaient quasiment de moitié leur nombre d'élus. Certains les plaçants en quatrième position, derrière les LR, quelques heures seulement avant le premier tour.

Après une campagne présidentielle et législative relativement discrètes, la patronne du RN campe désormais une candidate 2027 dans une posture présidentiable inédite. La faute ou grâce à une stratégie de "dédiabolisation" efficace, des échecs assimilés et un duo Zemmour-Mélenchon accapareur de médias.

Une campagne législative à bas bruit, néanmoins efficace

On l'avait connue plus offensive. Pendant la présidentielle, Marine Le Pen a fait preuve d'une certaine discrétion. Tout juste une déclaration assumée sur le fait de choisir ses médias et un happening du collectif Ibiza dénonçant sa relation avec le Kremlin pendant une de ses conférences de presse sur sa politique étrangère ont émaillé négativement sa campagne. Avant le débat de l'entre-deux tours, elle avait même disparu des radars, en partant s'isoler quelques jours avant le grand duel avec son opposant.

Aux législatives, Marine Le Pen a continué sur sa lancée. Peu de grandes déclarations -si ce n'est pour étriller la gestion par l'Intérieur du fiasco du Stade de France- mais un repli dans son fief des Hauts-de-France et une circonscription du Pas-de-Calais arpentée en long, en large et en travers. Une campagne d'une discrétion telle que certains médias la disait "sans élan et sans ressort". Pourtant cette stratégie a payé. "Comme Chirac en 95", compare la politologue Anne-Charlène Bezzina.

"Elle a laissé ses élus travailler de leur côté sur le terrain. Face à une image saturée du paysage politique chargée des couleurs fortes dégagées par les Insoumis et Zemmour, elle fait le choix de la parole politique, rare mais efficace", analyse la maître de conférence à l'université de Rouen.

Philippe Olivier, son conseiller s'en félicite: "Si on a été discret, c'est parce qu'on a labouré 577 campagnes!".

Triés autant qu'ils ont pu l'être par le parti pour éviter au maximum les dérapages, les candidats RN ont vu leur activité sur les réseaux sociaux scannés. Chaque jeudi soir de mai et juin une visioconférence les réunissait durant laquelle les mêmes directives circulaient: "Faites un travail sérieux", "gardez-vous de jouer les matadors", "surtout pas de déclaration tonitruante". "On n'a pas fanfaronné, ni vendu la peau de l'ours avant de l'avoir tué. On a été sobre", résume le stratége lepéniste.

Un groupe parlementaire tiré à quatre épingles

Ce matin, pour la rentrée de ses brebis, la bergère a distribué des consignes claires: "des cravates pour les messieurs, des vestes pour les femmes". L'objectif: jouer le contraste avec "le cirque" des 72 députés LFI. "La culture 'paquet de nouilles' et 'tee-shirt de foot', non merci!", s'est exclamée la patronne.

"On est pas là pour faire notre cinéma", déclarent des cadres du parti. "Pas mettre de cravate pour combattre le mâle blanc et la patriarcat, toutes ces conneries... Non! Nous on travaille, on respecte les institutions", appuie Philippe Olivier, fustigeant un groupe "LFI qui joue à la foire à la Brocante".

La formation politique affiche une aspiration claire: gagner en respectabilité et montrer du professionnalisme. "On va être une opposition ferme, mais responsable" a martelé Marine Le Pen. "On va abattre un travail de grande importance avec grande compétence et beaucoup de sérieux", assure-t-elle devant le Palais Bourbon.

Les moyens donnés par l'Assemblée nationale devraient largement permettre au groupe de gagner en assise, pourvu qu'il s'entoure des bonnes personnes. D'un secrétaire général capable de souder et de maintenir ses 89 députés hétéroclites, mais aussi de collaborateurs pertinents. En difficulté sur ce point, le parti qui doit trouver entre 300 et 350 profils n'exclut pas les CV zemmouristes. L'expert du parti, Jean-Yves Camus relativise cet obstacle: "Autant de députés va attirer des collaborateurs compétents, sans nul doute. C'est la loi de l'offre et la demande de l'Assemblée".

"Des jeunes gens au CV très sérieux pourraient tout à fait se dire que rejoindre ce groupe un temps serait un plan de carrière pertinent", prédit le politologue.

Une figure dédiabolisée

"On s'est trompé post-présidentielle parce qu'avec ce parti, on se trompe depuis le début en pensant qu'il va rester marginal", cingle le spécialiste d'extrême-droite qui évoque un parti "extrêmement résilient". "Marine Le Pen sait se relever et apprendre de ses échecs" pointe en ce sens Anne-Charlène Bezzina.

Le travail du parti pour se rendre plus acceptable, en apparence du moins, débute en 2011 lorsque Marine Le Pen est élue à la présidence du parti. En juillet 2017, une réunion du bureau politique donne le cap de l'adoucissement: inflexion sur la sortie de l'Europe, sur l'euro, changement de nom... Le Front national devient "le Rassemblement national".

L'entourage de la candidate de 2022 n'est plus exactement le même qu'en 2017 et des figures déçues du nouveau ton rejoignent Zemmour. Selon son entourage, elle a réussi à se libérer des "carcans idéologiques imposés par le mouvement" de son père.

Pendant la campagne, elle confie la présidence du parti au fidèle Jordan Bardella et peut ainsi "diriger sa communication différemment qu'une porte-parole du RN l'aurait fait, elle était plus libre, plus elle-même (...) moins raide", constate son conseiller spécial.

Aidée par Zemmour

Des baisers distribués sur les marchés, des enfants dans les bras, Marine Le Pen joue les mamans pendant la campagne de 2022 là où le candidat Reconquête attire à lui les extrêmes et les divisions. "Elle a joué la carte droite populiste plutôt que la droite nationaliste", analyse Anne-Charlène Bezzina.

"Éric Zemmour a renforcé malgré lui la figure d'empathie de la candidate RN et l'admiration des électeurs. Au milieu de la tempête des départs chez son concurrent, elle a su se montrer droite", ajoute-t-elle.

Face au 15% de Reconquête au premier tour, aux LR affaisés et à un barrage républicain "qui lasse et ne convainc plus parce qu'il ne propose pas d'alternative concrète", selon la politologue, Marine Le Pen gagne presque dix points de plus qu'à la présidentielle précédente. Et offre un groupe parlementaire inédit à son parti. "Le système ne peut pas avoir deux ennemis en même temps", expliquait pour BFMTV Bruno Gollnish pendant la présidentielle, prédisant son succès face à Zemmour.

En route vers 2027

Désormais, "il n'y a aucune raison qu'elle veuille décrocher pour 2027", assure Jean-Yves Camus, malgré les mots que la candidate d'alors avait eu fin mars pour Le JDD selon lesquels "elle se représenterait pas", "a priori".

Pour la prochaine présidentielle, la route est droite et tracée, "mais pleine d'embûches" signale le co-directeur de l'Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès. Plus forte que jamais, Marine Le Pen devra toutefois continuer son travail de dédiabolisation et tenir son groupe à l'Assemblée.

"Il est évident qu'un Julien Odoul devra éviter de refaire dans l'hémicycle ce qu'il a fait au conseil régional de France-Comté", prévient l'expert au sujet de la polémique créée par l'élu RN qui avait tancé une accompagnatrice scolaire voilée.

Au-delà des annonces de sérieux et l'apparence scrutée des candidats, la tête des 89 élus devra veiller à déposer des propositions de loi crédibles, aux définitions juridiques correctes, "en particulier lorsque le groupe déposera son texte contre l'idéologie islamique", souligne le politologue. "Elle devra veiller à ce que ses troupes s'investissent en commission, la fiabilité en ligne de mire", conclut-il.

Hortense de Montalivet