BFMTV
Politique

François Hollande, les limites d'une présidence "normale"

Un mois après l'élection de François Hollande et trois semaines après son entrée à l'Elysée, la volonté affichée de "faire simple" du chef de l'Etat se heurte dans les faits aux réalités d'une fonction exceptionnelle. /Photo prise le 7 juin 2012/REUTERS/B

Un mois après l'élection de François Hollande et trois semaines après son entrée à l'Elysée, la volonté affichée de "faire simple" du chef de l'Etat se heurte dans les faits aux réalités d'une fonction exceptionnelle. /Photo prise le 7 juin 2012/REUTERS/B - -

par Elizabeth Pineau PARIS (Reuters) - "Normal". Le mot est écrit noir sur blanc sur le premier bulletin de santé du président François Hollande,...

par Elizabeth Pineau

PARIS (Reuters) - "Normal". Le mot est écrit noir sur blanc sur le premier bulletin de santé du président François Hollande, publié mardi. Dans les faits, la volonté affichée de "faire simple" du chef de l'Etat se heurte aux réalités d'une fonction exceptionnelle.

Un mois que l'ancien député de Corrèze est élu, trois semaines qu'il occupe l'Elysée, où la garde républicaine accueille toujours les invités, où les huissiers continuent d'ouvrir les portes et où la voiture écologique du président, une DS5 hybride, vient le chercher chaque soir pour le ramener chez lui, dans le XVe arrondissement de Paris.

De sa descente des Champs-Elysées sous une pluie battante le jour de son investiture aux excès de vitesses constatés par la presse mercredi entre Caen et Paris en passant par les blagues échangées avec Barack Obama à la Maison blanche, ses faits et gestes sont scrutés à la loupe.

Au risque de mettre en lumière le paradoxe entre les intentions de celui qui cultive le contraste avec son prédécesseur Nicolas Sarkozy et une position littéralement hors du commun, détachée de la définition du dictionnaire qui décrit la normalité comme un "état normal des fonctions organiques et psychiques".

"Est-ce qu'on peut jouer à M. Tout le monde quand on est élu au suffrage universel direct, doté de pouvoirs exorbitants, notamment par rapport à la plupart des pays étrangers?", interroge Mariette Sineau, directrice de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS).

"Institutionnellement, c'est un homme extraordinaire, donc il sera vite rattrapé par les normes et les pouvoirs de sa fonction, même s'il va faire en sorte qu'il y ait moins de pompe", ajoute cette spécialiste de la gauche.

Mercredi, le directeur du Mémorial du Caen, à qui il était "arrivé de fermer le musée pour de simples ministres", appréciait d'ouvrir au public malgré la visite présidentielle.

"PLUIE BIENFAITRICE"

Ce même jour, les télévisions ont filmé le bain de foule de François Hollande au sortir d'un cimetière de Ranville sous une nouvelle averse -une "pluie bienfaitrice", a dit le président.

De Louis Philippe à Charles de Gaulle en passant par Barack Obama, "le coup du président qui ne craint pas de se faire tremper jusqu'aux os est un grand classique", tempère Nicolas Mariot, chargé de recherche au CNRS.

"Un président normal sait à la fois aller à la rencontre du peuple et reprendre sa stature de chef d'Etat", note ce spécialiste des déplacements présidentiels.

"Il faut un va-et-vient, un rapprochement physique -je serre des mains, j'embrasse des bébés- puis un pas en arrière pour rester au-dessus, dans la fonction. C'est ce recul qu'a omis de faire Nicolas Sarkozy, au moins au début".

Pour l'heure, la "normalité" de François Hollande se mesure d'abord par comparaison avec son prédécesseur.

"C'est un pouvoir qui est moins dans la flamboyance et la personnalisation extrême qu'avec Nicolas Sarkozy. Mais il est un peu trop tôt pour dire si, au-delà de ce changement évident de style, il y a un processus profond de rééquilibrage des pouvoirs", dit Pascal Perrineau, du Cevipof. "La Ve République, avec le poids de l'institution présidentielle, est toujours là".

A l'orée des élections législatives, François Hollande jouit d'une popularité équivalente à celle de son prédécesseur à pareille époque. Soit 62% d'opinions positives selon un sondage Viavoice publié mardi dans Libération.

"SIMPLICITÉ ET SOLENNITÉ"

"Le président est conforme à ce sur quoi il s'est fait élire", note une conseillère. "Les Français le ressentent, il y a une forme d'apaisement, une volonté d'avancer, de travailler. L'Europe, la crise sont au centre des préoccupations. Il n'y a pas de hiatus avant-après, on est dans la réalité".

Dès son arrivée au pouvoir, François Hollande a multiplié les signaux en direction des Français frappés par la crise.

Comme les ministres, il a accepté de baisser son salaire de 30%. Il s'est passé de vacances, se contentant d'un week-end à La Lanterne, résidence versaillaise naguère réservée au Premier ministre et utilisée par Nicolas Sarkozy.

L'entourage de François Hollande précise que rien n'est gravé dans le marbre sur ce sujet et que Jean-Marc Ayrault peut profiter du château de Rambouillet, toutefois plus éloigné.

A l'orée de ce quinquennat "normal", la conférence de presse de la photo officielle signée Raymond Depardon organisée lundi sous les ors de la salle des fêtes de l'Elysée a surpris par sa majesté, surtout quand deux huissiers ont soulevé le tissu rouge cachant le portrait, traité en toile de maître.

"La simplicité n'empêche pas la solennité", se défend un membre de l'entourage présidentiel. "Cette photo est importante pour les Français, qui la retrouveront dans les lieux publics".

Plus que tout, les déplacements présidentiels sont commentés par une opinion attentive aux symboles.

La foudre a fait faire demi-tour à l'avion du président en route pour Berlin le soir de son investiture. C'est en train que François Hollande est allé au sommet de Bruxelles le 23 mai.

L'ex-"Air Sarko One", l'avion présidentiel acquis par son prédécesseur, a bien entendu été utilisé pour traverser l'Atlantique.

Comme Jacques Chirac en 1995, il a promis de s'arrêter aux feux rouges et de respecter le code de la route, ce qui n'a pas toujours été le cas aux dires de journalistes ayant suivi son cortège, notamment sur l'autoroute de Normandie.

Nicolas Mariot voit dans tout cela bien moins un souci d'économie qu'une volonté présidentielle de "se remettre dans les pas de ses concitoyens" tout en insufflant "un peu de démocratie scandinave" à une République française moins connue pour la modestie de ses pratiques protocolaires.

Une ère nouvelle s'ouvre aussi pour la compagne de François Hollande, Valérie Trierweiler, journaliste dans un grand hebdomadaire déjà soumise au feu des critiques sur son métier, sa personnalité et son rôle auprès du président.

Travailler, être indépendante financièrement pour une mère de trois enfants, "c'est une forme de normalité, si je peux utiliser ce mot qui est devenu très tendance", disait-elle jeudi sur France Inter.

Avec Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse