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Politique

Fabius : « Déséquilibré, injuste ! »

laurent Fabius, invité de Jean-Jacques Bourdin, le vendredi 19 octobre

laurent Fabius, invité de Jean-Jacques Bourdin, le vendredi 19 octobre - -

Réformes, budget, traité européen… Laurent Fabius, député socialiste de Seine-Maritime, déroule la longue liste de ses désaccords de méthode avec le Gouvernement.

J-J B : Cette grève qui se poursuit avec plus d’ampleur qu’on ne le pensait, c’est justifié ou pas ?
L F : Tous les usagers protestent et c’est normal puisque ça bloque. Mais enfin c’est le principe de la grève. Moi je pense qu’il faut réformer les régimes spéciaux. Simplement ce qui n’a pas collé jusque ici c’est que la négociation n’a pas été honnête et complète. Quand on négocie, il faut tout mettre sur la table. Je crois que pour sortir de ça il faut que le Gouvernement accepte de négocier et les syndicats aussi.

J-J B : Mais négocier quoi ?
L F : Je crois qu’il faut qu’on aille vers une harmonisation. Le problème, c’est le montant, les cotisations, et à qui ça s’applique. Parce que le problème c’est que si maintenant on fait appliquer autre chose, ça n’ira pas. La question est de savoir à qui on applique tout ça. Je pense qu’on peut en sortir, mais il faut négocier honnêtement.

J-J B : Comment mesurer la pénibilité au travail ?
L F : C’est compliqué. Je pense qu’il n’y a pas seulement la pénibilité mais aussi l’espérance de vie. On sait que dans le bâtiment par exemple on meurt plus jeune que quand on est cadre ou ingénieur. Je pense qu’il faut prendre en compte l’espérance de vie et c’est normal. Il est normal de prendre en compte le temps qu’il reste après la retraite pour pouvoir en profiter. En ce qui concerne la pénibilité, il y a eu des travaux dessus, il faut peut être les accélérer. On comprend bien que si on fait votre métier ou le mien il ne s’agit pas d’un métier pénible. Si vous êtes sur les chantiers ou sur chaînes ce sont des métiers pénibles.

J-J B : Parlons du sommet européen de Lisbonne avec cet accord trouvé entre les 27 de l’Union Européenne sur un nouveau traité éventuel qui remplace la défunte constitution. La France s’est engagée à ne pas soumettre ce nouveau traité à référendum pour obtenir l’accord de ses partenaires, vous le regrettez ?
L F : Il y a eu un engagement du Président de la République disant qu’il n’y aurait pas de référendum. Ce n’est pas ça qui a permis l’accord, mais c’est une décision du Président. Nous, socialistes, nous avons dit de manière unanime, qu’il fallait faire attention. Il faut se rappeler que la constitution avait été soumise à un référendum, il y a eu une majorité de non. Des gens ont voté oui, mais le peuple a voté. Et nous avons dit attention, un texte qui a été décidé et rejeté par référendum, si vous voulez le représenter il faut procéder à un nouveau référendum. M. Sarkozy n’a pas souhaité ça, ce qui fait que maintenant on est devant une difficulté.

J-J B : Ce texte sera présenté devant le Parlement ?
L F : Oui, mais le peuple s’est prononcé. Comment voulez vous que nous, députés, nous revenions sur ce qu’a décidé le peuple sans passer par le peuple. ? C’est le problème de fond. Il y a une difficulté. Sur le texte lui-même il faut regarder plus précisément parce que vous savez souvent le diable est dans les détails, mais le fait qu’il n’y ait pas de référendum pose une difficulté évidente.

J-J B : On a le texte : à partir de 2017, sur les prises de décisions, il faudra une majorité de 55% représentant 65% de la population européenne. C’est acquis, sauf que ce sera applicable à partir de 2017. Sinon ce texte ressemble à celui de la Constitution ?
L F : Oui et non. Vous vous souvenez peut-être que dans la Constitution il y avait quatre parties. La troisième partie, qui reprenait le contenu politique a sauté, elle n’existe plus. Il y a donc sûrement des avancées sur le plan institutionnel mais il demeure que ce n’est pas ça qui va relancer les politiques européennes. Ce qui compte en Europe c’est quand même qu’on ait des politiques en matière de recherche, d’innovations, d’environnement. Le texte ne débloque pas cet aspect là.

J-J B : Il y a une position commune du PS face à ça ?
L F : J’espère que oui et je vais y travailler.

J-J B : Vous espérez parce qu’apparemment non pour l’instant ?
L F : Je n’en suis pas sûr, on ne s’est pas encore vraiment prononcé. Notre position commune c’est de dire que ce qui a été soumis à un référendum doit y être de nouveau soumis, ça nous sommes tous d’accord là-dessus.

J-J B : Troisième sujet, le divorce entre Nicolas et Cécilia Sarkozy. Vous auriez été aux commandes du journal de 20H hier soir, est ce que vous auriez ouvert votre journal avec les grèves ou avec le divorce officialisé du Président de la République et de sa femme ?
L F : J’aurais ouvert le journal avec les grèves parce que c’est quand même ça qui concerne la vie quotidienne des français et ensuite j’aurais malheureusement traité aussi le divorce.

J-J B : Pourquoi malheureusement ?
L F : Parce que j’ai des conceptions un peu particulière des choses. Je pense qu’on ne peut pas mélanger la vie privée et la vie publique que les circonstances soient bonnes ou mauvaises. Lorsqu’on nous a présenté, il y a quelques mois de ça, le couple en disant qu’ils étaient magnifiques, moi je n’ai pas commenté. Parce que je pense que nous sommes des personnages publics et on n’est pas censé mettre notre vie privée en avant. De la même façon, lorsqu’il y a des difficultés, et un divorce en fait partie, je pense qu’on n’a pas à entrer dans le sujet. En même temps, c’est le Président de la République, donc on comprend bien que les gens en parlent. Je ne commenterais pas parce que ce n’est pas une situation facile, un divorce est toujours un constat de malheur. Mais la leçon que j’en tire, et j’aimerai bien qu’un maximum de responsables politiques en tirent les mêmes conclusions, c’est qu’il ne faut pas confondre vie publique et vie privée.

J-J B : Est-ce que selon vous la date de l’annonce a été choisie volontairement, le 18 octobre, jour de grève ?
L F : J’ai vu que certains en faisaient le reproche ; sur le moment je me suis dit que ce serait un peu gros. Et en réfléchissant, il est vrai qu’on est dans un tel monde médiatique qu’on ne sait plus vraiment quoi en penser.

J-J B : Comment avez-vous vécu, avec le recul, la vie privée de François Mitterrand, à qui on avait reproché d’en avoir caché une partie ?
L B : C’est vrai mais c’était une époque un peu différente. Peut être qu’il y avait moins de pressions des médias sur cet aspect là. Je pense que les hommes publics doivent avoir une vie privée mais ils ne doivent ni être prudes ni en même temps être trop démonstratifs.

J-J B : Vous n’accepteriez jamais être photographié avec vos proches dans Paris Match par exemple ?
L B : Quand j’étais très jeune je pouvais l’accepter et c’est pour ça que j’en tire des leçons, avec le recul. Je pense qu’à l’époque j’ai eu tort et maintenant depuis plusieurs années je ne le fais plus. Ça représente quelques inconvénients d’ailleurs parce que les gens se demandent pourquoi on ne me voit pas. Mais ça présente aussi un avantage : vous êtes jugé sur vous-même et pas sur autre chose. D’ailleurs, c’est un peu la même chose dans le monde du showbiz, vous avez des chanteurs qui sont tout à fait extraordinaires et qui ne mettent pas en permanence leur vie privée en premier plan.

J-J B : Que faire de l’argent de l’UIMM ?
L B : La première chose c’est qu’on sache ce qui s’est passé. Donc il va falloir nommer un juge, une procédure. Si je comprends bien, cet argent a été prélevé sur les entreprises et, après, étalé à des objectifs qu’on ne connaît pas. Il faut qu’il y ait une enquête très précise.

J-J B : Vous croyez au financement des syndicats et même de certains hommes ou partis politiques ?
L F : J’ai entendu que l’on disait ça. Je crois que pour l’UIMM, en tout cas en ce qui concerne la Gauche, il y a peu de risque. Je pense aussi que dans la dernière période, à partir du moment où il y a eu des lois sur le financement des politiques, les choses doivent être transparentes. Ce que je ne voudrais pas, c’est qu’on passe ce scandale majeur UIMM et que tout d’un coup on mette en accusation les politiques. Il faut déjà qu’on fasse la lumière et après qu’on en tire les leçons. S’il y a un problème du financement des syndicats, alors qu’on le traite !

J-J B : EADS, Arnaud Lagardère qui déclare « ou je suis incompétent ou je suis malhonnête » qu’en pensez-vous ?
L F : Je pense qu’on se moque vraiment beaucoup de nous. Il parait qu’il y avait 1200 cadres d’EADS qui étaient au courant des difficultés financières d’EADS, la direction des Airbus elle-même et le seul qui n’aurait pas été au courant, c’est le patron. Qu’on fasse la lumière, mais ça m’étonnerait énormément que Arnaud Lagardère n’ait rien su. Que l’AMF fasse son travail et si quelqu’un a joué contre l’entreprise qu’il y ait des conséquences. Pendant ce même temps, vous avez dix mille suppressions d’emplois, des salariés qui ont fait un boulot extraordinaire et un groupe qui est magnifique parce que c’est quand même le deuxième groupe du monde en matière d’aéronautique. Donc ça ne va pas ! Les gens sont prêts à faire des efforts, à condition qu’il n’y ait pas cette montagne d’argent.

J-J B : Est-ce que le budget est, ou parait sincère ? Il parait que ça a été le budget de 2002 lorsque vous étiez aux commandes : révision de croissance : 2.5%, et finalement ça a été 1%.
L F : Oui, entre temps il y a eu l’élection de M. Chirac, donc ce n’est pas moi qui ai exécuté le budget, ça fait une sacré différence. Pour essayer d’équilibrer les comptes, vu qu’on a un déficit énorme, l’hypothèse prise pour cette année du prix du pétrole est de 73 dollars alors qu’il est à 90 dollars. Au nom de quoi le pétrole se mettrait tout à coup à descendre. Autre exemple, j’entends l’euro à 1.43 en dollars, et dans le budget 1.37. Donc ça veut dire que déjà ce budget qui est injuste et qui aura beaucoup de conséquences, va être très déséquilibré.

J-J B : Vous pensez qu’il va y avoir des augmentations de la TVA, de la CSG… ?
L F : Je le crains et en tout cas je pose la question au Gouvernement. Le budget est déséquilibré, les déficits sont massifs, le budget ne permet pas de relancer l‘économie et notamment la compétitivité des entreprises. Est-ce qu’il y a dans les cartons, une augmentation des impôts ?

J-J B : Pour finir, cette fameuse lettre de Guy Moquet, vous serriez professeur, est ce que vous liriez la lettre lundi prochain ?
L F : C’est un jeune extraordinaire. Mais ce qui me gêne c’est que j’ai l’impression qu’on instrumentalise ça. Je ne suis pas sûr que je lirais la lettre, je parlerais à mes élèves de la résistance, je leur dirais à quel point il y a eu des milliers de gens qui ont été admirables. Mais être comme ça au garde à vous parce que le Président l’a souhaité, en disant à la même heure on va faire un acte politique, ça me gêne un peu. Je crois que le rôle de prof est un rôle magnifique mais il ne faut pas mêler ce rôle et le message politique actuel. Je parlerais sans doute de Guy Moquet mais pas le jour où l’on me dit de le faire.

La rédaction-Bourdin & Co