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Extrême droite

Présidentielle 2022: pourquoi Marine Le Pen s'est-elle déclarée si tôt?

Marine Le Pen

Marine Le Pen - Lionel BONAVENTURE / POOL / AFP

La présidente du Rassemblement national s'est lancée dans la course deux ans avant qu'elle ne débute. Une précipitation liée pour partie aux difficultés financières que traverse son parti.

À en croire l'entourage de Marine Le Pen, le timing serait "parfait". La décision n'en demeure pas moins inédite pour une dirigeante politique française de premier plan. Jeudi 16 janvier, soit près de deux ans et demi avant l'élection présidentielle de 2022, la patronne du Rassemblement national s'est pour la troisième fois déclarée candidate à la magistrature suprême. Une décision mûrement "réfléchie", a fait savoir l'intéressée.

Pour l'échéance de 2017, Marine Le Pen s'était lancée en février 2016, deux jours avant Jean-Luc Mélenchon. L'échiquier a évolué depuis. Le clivage entre "progressistes" et populistes, voulu à la fois par la présidente du RN et Emmanuel Macron, s'est installé dans le paysage. L'affrontement entre ces deux courants s'impose à leurs yeux comme une évidence.

"Il nous faut de la crédibilité"

Du moins est-ce le cas dans l'esprit de Marine Le Pen qui, après l'épisode du débat d'entre-deux tours raté de la campagne de 2017, se démène pour se hisser au même niveau que le chef de l'État. La députée du Pas-de-Calais sait toutefois qu'au-delà de ce statut de première opposante - qu'elle et ses proches estiment validé par les urnes lors des dernières élections européennes -, il va falloir se "présidentialiser". Pour de vrai, cette fois.

"Les électeurs donneront les clés au RN pour peu que le vote RN soit crédible", observait en novembre dernier un cadre du parti auprès de BFMTV.com. "Le bulletin Jean-Marie Le Pen, et même à certains égards celui en faveur de Marine en 2012, n'était pas un vote crédible. Il faut de la crédibilité. L'espoir, ça s'incarne. Marine n'a pas été jugée crédible lors du débat de 2017, elle a manqué ce rendez-vous." On saisit l'idée.

D'où l'intérêt d'installer dès maintenant sa candidature pour 2022 et, par là même, d'enjamber les élections municipales de mars prochain. Souffrant de son traditionnel handicap de pénurie de candidats dans des communes où il est pourtant électoralement fort, le RN cultive des ambitions modestes pour ce scrutin. Il parie davantage sur des configurations de second tour avantageuses - triangulaires, quadrangulaires - lui permettant de troubler le jeu et de créer des surprises. Ou mieux, inciter des candidats de droite classique en difficulté à des fusions de liste. Quoi qu'il en soit, ces municipales seront davantage une occasion pour le Parti socialiste et Les Républicains de compter leurs fiefs et mesurer leur capacité de résistance. 

Comme le résume un eurodéputé RN, "la piscine municipale, le financement du conservatoire, c'est important, mais nous ce qu'on veut, c'est contrecarrer Macron". 

"Bâtir une élite politique et administrative"

Contrecarrer le chef de l'État, c'est profiter de ce qu'il traverse une mauvaise passe sur le sujet des retraites pour d'emblée (essayer de) lui porter le fer. Quitte à partir trop tôt, ce qui présente l'avantage de couper l'herbe sous le pied d'autres opposants à la macronie comme Nicolas Dupont-Aignan, voire Marion Maréchal, discrète depuis les retombées médiatiques de la controversée Convention de la droite de septembre dernier. Cela dit, la nièce de Marine Le Pen participera début février à une conférence intitulée "National conservatism", avec le Premier ministre hongrois Viktor Orban et le leader nationaliste italien Matteo Salvini... De quoi saisir à nouveau la lumière?

"Marion, telle qu'elle est aujourd'hui, veut incarner une droite tradi, patriote et libérale. C'est le créneau de François-Xavier Bellamy, qui a fait 8,5% aux européennes, soit 5% auxquels ont ajoute 3,5% de fidèles à LR. Donc Marion, c'est 5% des voix. Ça ne représente pas 50% et à Calais, ça fait zéro", balaie un proche de Marine Le Pen.

L'entourage de la présidente du RN assume par ailleurs cette tactique consistant à se laisser, de façon visible, un an avant le prochain congrès du parti - prévu en 2021 - pour plancher sur les dossiers dits "de fond". Notamment via les Horaces, ce club de hauts fonctionnaires créé en 2016 et qui avait déjà épaulé Marine Le Pen durant la précédente campagne présidentielle. 

"Il faut bâtir une nouvelle élite politique et administrative. Ça prend du temps. Et après le congrès, on aura un an pour faire campagne. Ça évite de faire tout au dernier moment", observe un proche. 

Marine Le Pen l'a elle-même reconnu jeudi face à la presse, "la politique est faite de réussites, d'insuccès, d'erreurs parfois". Pour réparer ces dernières, plusieurs cadres du parti élaborent des "livrets thématiques", y compris sur des sujets sur lesquels le RN est moins "solide", comme la fiscalité, les entreprises, le secteur bancaire, etc. Une énième étape dans la "professionnalisation" du parti, dont les prémices remontent aux années 80, époque où Bruno Mégret secondait Jean-Marie Le Pen.

Mobiliser les troupes

Davantage que les scrutins locaux des deux années à venir - municipales et sénatoriales en 2020, départementales et régionales en 2021 -, la patronne du RN sait qu'elle devra avant tout prouver qu'elle-même est capable de gouverner le pays. En nationalisant ainsi immédiatement les enjeux, elle entend mobiliser ses troupes et son camp, lesté par une baisse des adhésions dans certains fédérations pourtant clés comme celle du Pas-de-Calais. 

Et puis il y a question financière. Comme l'avait expliqué le conseiller régional ex-RN André Murawski à Challenges en janvier 2019, la dette du parti aurait augmenté de 785% en sept ans. Au total, selon L'Opinion, le RN est endetté à hauteur de 25 millions d'euros et attend le délibéré de son procès pour financement illégal de campagnes, qui risque de lui en coûter jusqu'à 12 millions. Plutôt que de laisser ces questions d'argent polluer son calendrier, autant prendre les devants pour ensuite maîtriser l'agenda médiatique et le narratif politique qui en découle. Du moins est-ce l'un des objectifs indicibles derrière cette entrée précoce en campagne.

Le risque, au-delà de voir sa dynamique ébranlée par des contre-performances aux élections locales, est de lasser l'ensemble des électeurs. De connaître, paradoxalement, le même destin que des personnalités comme Édouard Balladur ou Alain Juppé, portés au pinacle par l'emballement sondagier avant d'être renvoyés à leurs chères études. 

Son entourage assure n'y croire aucunement. "Marine Le Pen n'a jamais rêvé d'être présidente de la République. L'apparat, ça ne la fait pas rêver. Elle voit la fonction plutôt comme un sacrifice", décrypte un député RN. Et de poursuivre:

"Il arrive à certains autour d'elle de s'interroger, sur le mode, 'si on arrive aux responsabilités, est-ce qu'on peut réussir à gouverner?' Elle a pour habitude de leur répondre, 'ce ne sera pas un chemin de roses, mais on aura la force du peuple derrière nous'." Encore faut-il que le peuple en question lui accorde sa confiance. 
Jules Pecnard