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Extrême droite

Après deux mois de crise sanitaire, le RN se cherche son espace

Marine Le Pen le 19 février 2020 à l'Assemblée nationale.

Marine Le Pen le 19 février 2020 à l'Assemblée nationale. - Alain Jocard / AFP

Initialement très offensive vis-à-vis du gouvernement et de sa gestion de la crise sanitaire, Marine Le Pen a dû moduler son discours, parcourant une ligne de crête délicate entre opposition frontale à Emmanuel Macron et responsabilité face aux circonstances.

Crise sanitaire oblige, le Rassemblement national dû adapter l'un de ses vieux rites aux circonstances. Comme le faisait Jean-Marie Le Pen chaque 1er mai depuis 1988, les dirigeants du RN sont venus rendre hommage à Jeanne d'Arc en déposant une gerbe devant sa statue à Paris, en silence. Sa présidente Marine Le Pen, flanquée de son vice-président Jordan Bardella, n'a pas manqué au rendez-vous, ce qu'elle ne faisait pas sur cette place parisienne depuis 2015. Ni éludé la nécessité de porter un masque. 

Ce détail, symbolique de l'épidémie due au coronavirus qu'affronte le pays, illustre bien l'entre-deux dans lequel se trouve la patronne du RN. Incarner coûte que coûte l'opposition à Emmanuel Macron, tout en adoptant une attitude de leader politique responsable. Une ligne de crête difficile à parcourir tout en demeurant audible, la crise sanitaire ayant chamboulé pour un temps les règles classiques de la joute politique. 

"Le gouvernement a menti"

À l'occasion de ce 1er mai 2020 donc, Marine Le Pen a dénoncé la "faillite" de l'État et de l'Union européenne face à la pandémie. Dans un discours diffusé sur sa chaîne YouTube, la députée du Pas-de-Calais a prévenu que "le monde d'après" ne pourrait "pas se faire avec ceux qui se sont tant trompés" dans cette crise. 

Et celle qui a déjà déclaré sa candidature à la prochaine élection présidentielle de constater que cette défaillance appelait le pays, selon elle, "à une grande alternance" politique. 

Car depuis le début du confinement, Marine Le Pen et ses proches n'affichent aucune intention d'être conciliants avec Emmanuel Macron. "Le gouvernement a menti sur le niveau de préparation du pays", déclarait-elle sur France 2 le 1er avril. C'était en amont de l'audition du Premier ministre Édouard Philippe à l'Assemblée nationale, par la mission d'information d'information parlementaire dédiée à la gestion de la crise. 

La veille, la présidente du RN déclarait sur France Info "que des gens s’interrogent pour savoir si ce virus est d’origine naturelle ou s’il ne peut pas avoir échappé d’un laboratoire est une question de bon sens". 

Stratégie offensive, stratégie perdante?

Loin de Marine Le Pen d'envisager, donc, de participer à une quelconque "union nationale", au plan politique s'entend. Sauf que cette approche initiale, offensive et consistant à relayer certaines théories du complot, ne s'est pas avérée payante dans les études d'opinion. Dans le baromètre Elabe publié le 2 avril dans Les Échos, la députée du Pas-de-Calais était créditée de 23% d'opinions positives, accusant ainsi une perte de 3 points par rapport au mois précédent. 

Le vice-président du RN Jordan Bardella a alors changé de ton, promettant d'être "constructif". Le conseiller et beau-frère de Marine Le Pen, Philippe Olivier, a assuré piloter une "cellule" de veille sur l'épidémie, épaulé par le mystérieux club de hauts fonctionnaires des Horaces.

Comme elle s'échine à le faire depuis la refondation de son parti au printemps 2018, la dirigeante populiste veut arborer un visage professionnel. Contrairement à ses homologues européens, Marine Le Pen n'appelle pas ses concitoyens à sortir du confinement. Elle ne conteste pas cette mesure, pourtant drastique et tancée par son allié allemand de l'AfD. Ou même, dans la galaxie de l'extrême droite française, par quelqu'un comme Carl Lang, ex-cadre du FN qui a fondé le Parti de la France, et qui compare le confinement à une "séquestration". 

Respect des consignes

A contrario, Marine Le Pen appelle même à respecter les consignes du gouvernement, "qui gouverne". Ce vendredi, elle a déclaré que "tout le monde" devrait selon elle "porter un masque dans l'espace public".

À l'Assemblée nationale mardi, la cheffe du RN et ses cadres n'ont pas tant dénoncé le fond des propositions d'Édouard Philippe sur le déconfinement, que la forme, celle d'un vote sans conséquence et sur tout un ensemble d'annonces. Logiquement toutefois, les députés RN (non-inscrits) ont voté contre le plan. 

Marine Le Pen est allée jusqu'à se réjouir que le gouvernement ait "changé de doctrine", louant le triptyque "protéger, tester, isoler" énoncé par le Premier ministre. Elle a même donné son satisfecit sur la méthode consistant à suivre l'évolution de la pandémie en différenciant par département. Une stratégie "assez bonne", a-t-elle dit. 

"Position inconfortable"

La position de la députée du Pas-de-Calais est rendue d'autant plus délicate qu'Emmanuel Macron, depuis le début de la crise, emprunte au lexique (au sens large) du souverainisme et de la protection. Les Français étant en quête d'apaisement dans une période aussi troublée, difficile par ailleurs de faire des propositions trop radicales. 

Interrogé par l'AFP, Hans-Georg Betz, chercheur au Centre for Analysis of the Radical Right (CARR), juge que Marine Le Pen se trouve dans "une position inconfortable". 

Devenir une "force pertinente" dépendra "beaucoup de sa capacité et de sa volonté à relever le défi des demandes grandissantes d'égalité, de justice sociale et de solidarité" dans l'après-crise, selon l'analyste.
Jules Pecnard avec AFP