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Sextennat, régime présidentiel: la Ve République façon Hollande, gadget ou changement salutaire?

François Hollande

François Hollande - Jacques Demarthon - AFP

Dans son dernier ouvrage, Répondre à la crise démocratique, l'ex-chef de l'État préconise une refonte des rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif. Notamment en prolongeant d'un an le mandat présidentiel. Une proposition qui s'accompagnerait d'une américanisation de notre système institutionnel.

C'est l'une des manies françaises de notre temps. Celle qu'ont nos politiques de brandir la réforme des institutions comme potentiel remède à nos maux démocratiques contemporains. François Hollande, qui occupait encore l'Elysée il y a moins de trois ans, ne fait pas exception à cette habitude. Il vient d'ailleurs d'y consacrer un ouvrage, intitulé Répondre à la crise démocratique, auquel plusieurs médias ont eu accès.

Faisant le constat du "malaise" qu'expriment les citoyens de l'Hexagone depuis plusieurs décennies, l'ancien chef de l'État estime, comme d'autres avant lui, qu'une refonte de notre Constitution s'impose. Au menu de ses préconisations, il y a notamment le rééquilibrage des pouvoirs entre le Parlement et l'exécutif. Jugeant exorbitants ceux que détient le président sous la Ve République, le prédécesseur d'Emmanuel Macron souhaite que la France adopte un "véritable régime présidentiel", comparable à celui en vigueur aux États-Unis.

Suppression du droit de dissolution

Un tel changement impliquerait plusieurs choses, l'une des principales étant la disparition du droit de dissolution de l'Assemblée nationale dont dispose aujourd'hui le chef de l'État. Un levier majeur pour résoudre les crises, mais largement altéré par l'usage imprudent qu'en a fait Jacques Chirac en 1997. Cette disparition s'accompagnerait d'une suppression du poste de Premier ministre, à la faveur de la mise en place d'une "équipe" gouvernementale nommée et dirigée directement par le président, au demeurant toujours élu au suffrage universel direct. Ce qui change tout. 

Cette proposition a déjà été formulée à de nombreuses reprises. D'abord par François Hollande lui-même, lors d'une interview accordée à Public Sénat en octobre 2018, à l'occasion des 60 ans de la Constitution rédigée par le général de Gaulle et Michel Debré. François Fillon est également, et depuis longtemps, un fervent défenseur d'une présidentialisation du régime. Là où l'ex-premier secrétaire du Parti socialiste se démarque, c'est dans son souhait de passer du quinquennat au sextennat, ajoutant ainsi un an à la durée actuelle du mandat présidentiel.

"Il est intéressant de voir que François Hollande, figure du PS, revienne sur des éléments sacrés de la gauche en optant pour un régime présidentiel et non parlementaire. On a fait l'expérience du régime présidentiel avec la IIe République (1848-1851) et ça s'est terminé avec un coup d'État. Depuis, la gauche a toujours nourri une peur bleue de l'homme fort", rappelle l'historien Arnaud Teyssier, spécialiste de la Ve République, auprès de BFMTV.com.

Le système américain... ou presque

Selon cet auteur de nombreux ouvrages consacrés à notre régime politique, "le problème du régime présidentiel américain est qu'il est fait pour un système fédéral, qui s'articule autour de rapports spécifiques entre les États et le gouvernement central".

Qui plus est, le locataire de la Maison Blanche est élu au suffrage indirect, là où les Français élisent directement leur président. C'est d'ailleurs l'un des aspects fondamentaux de notre régime, incorporé à notre Constitution via le référendum de 1962. Il confère au chef de l'État une légitimité très forte, bien au-delà de celle dont bénéficient les autres leaders occidentaux. 

Quant à l'extension à six ans de la durée du mandat présidentiel et la réduction à quatre du mandat de député, elles sont censées permettre de décorréler l'action du locataire de l'Elysée de celle des parlementaires. Aujourd'hui, du fait de la mise en place du quinquennat et de l'inversion du calendrier électoral, les élections législatives sont devenues une simple résultante politique de la présidentielle qui les a précédée. Le fait majoritaire étant ce qu'il est, les chances de provoquer une cohabitation ont été réduites quasiment à néant.

Pas de cohabitation mais des compromis

Sur le papier, une telle modification entraînerait une forme de retour à la situation préexistante, celle du septennat, qui devait permettre au chef de l'État de se placer au-dessus des enjeux partisans ou de quotidienneté. À trois reprises, ce système a rendu possible l'émergence, à l'Assemblée nationale, d'une majorité hostile au président. 

Sauf que la relecture hollandaise de la Constitution, en l'absence d'un Premier ministre, exclut un tel cas de figure. Fidèle à son ADN social-démocrate, François Hollande veut obliger le chef de l'État à collaborer avec la nouvelle majorité, quelle qu'en soit l'obédience, et chercher des compromis. La disparition concomitante du fameux article 49-3, outil destiné à contraindre des parlementaires à voter un texte qui ne leur sied pas, est conforme à cette logique. 

Celle-ci comporte toutefois un risque: celui d'être confronté au même écueil que Jacques Chirac et Lionel Jospin en 2002 après cinq ans de cohabitation. À savoir, celui de brouiller les distinctions entre droite et gauche, puisqu'elles ont gouverné ensemble si longuement, donnant le sentiment que leurs affrontements antérieurs n'ont été que de façade. C'est la vieille antienne conceptualisée par le communiste Jacques Duclos en 1969, "bonnet blanc et blanc bonnet". 

C'est pourtant ce sentiment qui, en bout de course, a contribué à hisser Jean-Marie Le Pen au second tour d'une élection présidentielle. Emmanuel Macron a d'ailleurs très bien exploité ce phénomène lors de la campagne de 2017, mais à front renversé, en grappillant à la fois au centre-gauche et au centre-droit. S'ajoute à cela le fait que, étant donné le caractère heurté de la société française, la fonction de "tampon" qu'exerce le Premier ministre entre son président et les citoyens s'avère souvent utile. "Lorsque Matignon a une existence pleine et entière, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui", précise Arnaud Teyssier.

L'oubli du référendum

Pour l'historien, les propositions de François Hollande sont "une façon de tourner autour du sujet pour éviter de dire une chose tout de même majeure: c'est qu'on a laissé tomber le référendum".

"Toute notre Constitution repose sur deux versants: le législatif, à travers le parlementarisme rationalisé, et la démocratie directe. Notre Constitution est mi-présidentielle, mi-parlementaire. Le point d'équilibre, c'est le référendum, qui compense l'élection du président au suffrage universel, mais qui exige une prise de risque politique." 

Or, il faut reconnaître que cette prise de risque ne s'est pas manifestée depuis 14 ans. Qui plus est, le référendum de 2005 sur la Constitution européenne s'est soldé, pour Jacques Chirac et son Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, par un échec retentissant.

Durant ses dix années au pouvoir, le général de Gaulle s'est appuyé à plusieurs reprises sur l'article 11 de la Constitution (quatre fois si l'on exclut la ratification de ladite Constitution). Beaucoup lui ont d'ailleurs reproché cette dimension plébiscitaire du régime. Lorsqu'il a perdu un référendum en 1969, néanmoins, le chef de la France libre en a tiré les conséquences en quittant le pouvoir. En réalité, l'exemple de 2005 est le seul d'un chef d'État perdant une bataille référendaire sans démissionner dans la foulée. 

"Tout est question de codes"

"Beaucoup de gens rendent les institutions responsables des problèmes actuels, mais en réalité c'est leur pratique qui est en cause", reproche Arnaud Teyssier, qui poursuit: 

"La principale qualité de nos institutions, c'est de donner au président les moyens d'agir. Aujourd'hui, elles sont avant tout destinées à protéger le pouvoir, c'est ça le souci. Le présidentialisme, particulièrement prononcé sous Nicolas Sarkozy, est contraire à l'esprit de notre Constitution. Tout est question de codes et de réflexes, car la Constitution de 1958, ce n'est pas seulement un texte politique. C'est une conception de l'État, de la société et de l'administration. Aujourd'hui on la réduit à quelque chose de limité, de politicien." 

Et l'historien de conclure: "Aujourd'hui, on a rétabli la IVe République, mais avec la muraille protectrice de la Ve." D'où le sentiment d'avoir un système qui tourne à vide. Le modifier comme l'entend François Hollande permettrait-il de renouveler la ferveur démocratique des Français? 

Jules Pecnard