BFMTV
Élysée

Macron "face aux Français" pour expliquer sa réforme des retraites: le risque du déjà-vu

Le président Emmanuel Macron à Strasbourg, le 1er octobre 2019

Le président Emmanuel Macron à Strasbourg, le 1er octobre 2019 - AFP - Patrick Seeger

En reproduisant le format du grand débat national, le chef de l'État se remet de facto au centre du jeu médiatique et politique, sans pour autant renouveler ses méthodes de communication. Il prend ainsi le risque de subir la loi des rendements décroissants.

C'était il y a six mois, d'aucuns diront hier. Le 4 avril, Emmanuel Macron effectuait son ultime déplacement dans le cadre du grand débat national. À Cozzano, en Corse, le chef de l'État s'est livré, comme les Français avaient fini par s'y habituer, à un exercice de pédagogie et de questions-réponses de plus de cinq heures. Le 16ème du genre.

En l'espace de deux mois et demi, le président a consacré l'équivalent de quatre journées entières, cumulées et sans interruption, à ces sessions d'échanges avec des publics variés. À l'issue de cet étrange épisode politique, inédit dans l'histoire de la Ve République, le président et son gouvernement ont mis sur pied un nouveau narratif. Celui d'un "acte II" du quinquennat, où le dialogue patient et la pédagogie, à l'aune des leçons tirées du mouvement des gilets jaunes et du grand débat national, seraient des valeurs cardinales. Au point de réitérer l'exercice au détail près?

Face aux lecteurs de La Dépêche du Midi

Ce jeudi, à partir de 19 heures, Emmanuel Macron réinvestit la scène. Au départ, ce retour devait avoir lieu le 26 septembre, mais le décès de Jacques Chirac a chamboulé les priorités. Après la violente agression perpétrée à la Préfecture de police de Paris, ce 3 octobre, le chef de l'État aurait pu se contraindre de décaler à nouveau. 

L'intéressé a toutefois décidé de maintenir le déplacement. À Rodez, le président doit prendre le micro pour parler de sa réforme des retraites devant au moins 500 lecteurs du groupe La Dépêche du Midi. Le modus operandi est le même: horizontalité, discussion, descendre "à portée de baffes" des Français, selon l'expression déjà galvaudée. 

Pour l'Elysée, mais pas uniquement, il s'agit de rester fidèle à la ligne de conduite édictée après le déclenchement de la crise des gilets jaunes. Ne donner aucune prise au procès en déconnexion intenté à l'exécutif durant les deux premières années du mandat. 

"Il faut qu'on aille sur le terrain"

Au Parlement, où raisonne désormais la mise en garde d'Emmanuel Macron à ses troupes contre la tentation de devenir un "parti bourgeois", des initiatives similaires à celle du président pourraient éclore au fil de l'eau. Dans l'Eure par exemple, le député La République en marche Bruno Questel compte organiser une dizaine de réunions publiques consacrées à la réforme des retraites, "sous forme d'ateliers", dit-il à BFMTV.com, avant de poursuivre:

"Il faut qu'on aille sur le terrain, qu'on explique la réforme; que le système actuel, en l'état, n'est pas tenable, et surtout pourquoi il ne l'est pas. Il ne faut pas qu'on se laisse surprendre. Le travail réalisé en amont par Jean-Paul Delevoye (haut-commissaire à la réforme des retraites, ndlr) a été important, mais désormais il faut que nous, nous allions parler aux vrais gens."

"Ne pas mépriser les gens"

Le défi reste de taille, dans la mesure où cette réforme, annoncée comme étant la plus ambitieuse du quinquennat, a déjà fait l'objet de quelques correctifs après la révélation de ses grandes lignes. Âge pivot, annuités de cotisation, valeur du point... Toute une série de sujets inflammables ou embrouillés qu'Emmanuel Macron aura pour objectif de clarifier et, surtout, de dépassionner, conscient qu'il a voulu se montrer du niveau d'inquiétude des Français, resté élevé selon lui. La catastrophe qui s'est récemment produite à l'usine Lubrizol de Rouen, à laquelle le gouvernement a tardé à donner une réponse convaincante, ne facilite pas la tâche du locataire de l'Elysée.

"Évidemment que c'est la bonne approche", nous disait récemment un député issu de l'aile gauche de LaREM, interrogé sur la méthode de la "concertation" voulue par le gouvernement. "On ne peut pas se contenter de mettre nos adversaires au tapis à chaque réforme. Il ne faut pas mépriser les gens. Les grévistes de la RATP par exemple, je les comprends. Tant qu'on n'aura pas de vision d'ensemble, les boutiquiers seront de sortie à chaque occasion pour défendre leur régime." 

Au-delà des problèmes de fond de la réforme, il y a la manière de la vulgariser. D'autant qu'elle est extrêmement complexe, d'où la nécessité de l'expliquer aux "vrais gens", pour reprendre l'expression citée plus haut. Les Français ne vont-ils pas se lasser, toutefois, de voir se jouer peu ou prou la même pièce qu'il y a six mois sous leurs yeux? Emmanuel Macron peut s'appuyer sur une différence majeure entre les deux périodes: au début de l'année, il s'agissait de renouer le fil avec ses concitoyens. Il s'agit cette fois de le démêler.

Jules Pecnard