BFMTV
Élysée

Hollande pris en tenaille entre l'aile libérale et l'aile gauche de sa majorité

François Hollande, le 26 avril 2016.

François Hollande, le 26 avril 2016. - Stéphane de Sakutin - AFP

Alors que les dissensions au sein du PS semblent plus fortes que jamais, François Hollande est pris en tenaille entre l'aile libérale et l'aile gauche de sa majorité. Ce qui lui laisse bien peu de marge de manoeuvre à un an de la présidentielle, explique Eddy Fougier, politologue et chercheur associé à l'IRIS.

Entre Manuel Valls et Emmanuel Macron qui cherchent à se démarquer, et les frondeurs du PS qui ont tenté de renverser le gouvernement et ne manquent pas une occasion de dire tout le mal qu'ils pensent de sa politique, François Hollande est-il plus isolé que jamais ?

Eddy Fougier : Ce qui est certain c’est qu’il n’a pas une marge de manoeuvre ni des soutiens très importants. Hier il rendait hommage à Christiane Taubira, cela montre sans doute que ça ne se passe pas très bien avec ses camarades. A l’approche de la présidentielle et compte-tenu de ce qui s’est passé autour de la déchéance de nationalité, puis la loi El Khomri, il ne s’est pas fait que des amis.

Pour les frondeurs, un certain nombre de lignes rouges ont été franchies. La tribune publiée par Martine Aubry dans le journal Le Monde ("Trop, c'est trop") en février était d’ailleurs déjà un symptôme de ces dissensions très profondes. De l’autre côté, on sent l’odeur de la présidentielle, les ambitions s’aiguisent, Manuel Valls attend en embuscade au cas où Hollande ne se présenterait pas en 2017. Il n’y a pas là de dissensions de fond mais des ambitions. Entre querelles idéologiques et querelles d’ego, cela laisse peu d’espace.

François Hollande peut-il encore rassembler la gauche ?

Eddy Fougier : La rassemblement, la synthèse, c’est son ADN. On l’a vu au Congrès de Poitiers l’an dernier, avec le soutien de Martine Aubry à Jean-Christophe Cambadélis. Mais, encore une fois, la question de la déchéance de nationalité et la loi El Khomri ont laissé des traces très fortes. Mercredi, on était à deux doigts d’avoir une motion de censure de gauche, ce qui est hallucinant, de voir des députés de la majorité prêts à voter le renversement d’un gouvernement. Je ne sais pas si la rupture est consommée mais elle est en tout cas très forte.

La tentative de motion de censure de la gauche va-t-elle laisser des traces dans l’avenir du PS ?

Eddy Fougier : Ce qui va laisser des traces c’est, du point de vue des frondeurs, les reniements par rapport à “l’esprit du Bourget”. Il y a chez eux un sentiment de trahison. De l’autre coté, quand on voit les déclarations de Bruno Le Roux ou Stéphane Le Foll, il a un ras-le-bol par rapport à ces députés peu nombreux (20% des députés socialistes) qui bloquent les décisions. Ce qui s’est passé mercredi donne avant-goût de ce qui se passerait en cas défaite du PS à la présidentielle.

François Hollande a défendu jeudi la loi travail, “un texte de progrès” selon lui. Mais il est resté relativement silencieux face aux frondeurs. Comment interpréter sa posture ?

Eddy Fougier : Il y a ceux, droits dans leurs bottes, qui sont contre les frondeurs, comme Stéphane Le Foll. François Hollande, lui, est au-dessus des partis et essaye d’être plus souple. Mais sur le fond il ne l’est pas, car il n’est revenu ni sur la loi travail ni sur le 49.3. Les convictions de François Hollande sont difficiles à sonder. Dans les semaines à venir, il va falloir refermer les parenthèses loi El Khomri, loi Macron, mettre des rustines partout alors que le bateau coule. Il va falloir calmer le jeu, se concentrer sur les attaques contre l’opposition. La séquence de divisions de la gauche va se terminer, on va passer aux divisions de la droite en perspective de la primaire: c’est un moyen pour la gauche de se ressouder.

Entre Manuel Valls, critiqué pour son libéralisme, Emmanuel Macron, qui affiche ses propres ambitions, ou les frondeurs, de qui François Hollande doit-il se soucier le plus ?

Eddy Fougier : De lui-même! Il est persuadé qu’il peut gagner, et c’est problématique. Par rapport à 2017, Macron ou Valls ne sont pas nécessairement empêcheurs de tourner en rond car ils se positionnent au cas où Hollande ne se présenterait pas. C’est lui le chef de l’exécutif, il l’a réaffirmé, il a rappelé récemment ce que Macron lui devait. Le risque, c’est que les ambitions de Manuel Valls se heurtent à celles d’Emmanuel Macron et que cela nuise à l’image du gouvernement. Je ne suis pas certain que les frondeurs soient un problème par rapport à 2017: ils vont payer la motion de censure, ils seront incités à rentrer dans le rang car après la présidentielle viendront les investitures pour les législatives, qui empêcheront les critiques ouvertes. En revanche, ils vont devoir faire profil bas pendant la campagne.

François Hollande table sur des déchirements à droite, et sur le fait d’apparaître calme par contraste avec Les Républicains. Je ne suis pas certain que le président ait son destin entre les mains, et son scénario est risqué. Le gros risque, pour lui, c’est qu’il génère un rejet massif, au-delà des frondeurs. Que l’offre politique apparaisse déconnectée des attentes de la société.

Alain Tourret (Parti radical de gauche) a déclaré jeudi à l’Assemblée nationale : “Deux gauches irréconciliables viennent de naître sous nos yeux”. Que peut répondre François Hollande à ce constat ?

Eddy Fougier : Ces deux gauches existent depuis un moment déjà. Mais le reconnaître, pour François Hollande, serait difficile, ce serait l’aveu d’un échec. Ce serait se renier soi-même. Les frondeurs représentent ce que j’appelle la gauche complexée, par opposition à la droite décomplexée. C’est la gauche qui n’assume pas son tournant libéral. Il y a la gauche du Bourget et la gauche du pouvoir, les frondeurs sont le symbole de cette difficile acceptation de la gauche au pouvoir.

Charlie Vandekerkhove