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Élysée

Hollande a validé une quarantaine d'assassinats ciblés contre des jihadistes depuis 2013

Dans un livre paru mercredi, le journaliste d'investigation Vincent Nouzille raconte comment Paris a ordonné depuis 2013 l'exécution à l'étranger d'une quarantaine d'individus considérés comme dangereux pour la France, hors cadre légal de la guerre.

Des exécutions extrajudiciaires, validées par le président de la République. Dans son livre Erreurs fatales, paru mercredi, et dont Le Monde publie les bonnes feuilles, le journaliste d'investigation Vincent Nouzille raconte comment Paris cible et ordonne sur le terrain l'assassinat de jihadistes présumés dangereux pour la France, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. L'ambiguïté de ces opérations réside dans le fait qu'elles se situent dans une "zone grise", c'est-à-dire en dehors du cadre légal des conflits armés, et sont menées par la DGSE et les services spéciaux.

Quarante exécutions ciblées depuis 2013

François Hollande avait déjà abordé le sujet face aux journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme, dans leur ouvrage Un président ne devrait pas dire ça, sorti en octobre dernier. "L'armée, la DGSE, ont une liste de gens dont on peut penser qu'ils ont été responsables de prises d'otages ou d'actes contre nos intérêts. On m'a interrogé. J'ai dit: 'si vous les appréhendez, bien sûr...'", y expliquait ainsi le chef de l'Etat, confiant avoir approuvé au moins quatre assassinats ciblés de terroristes à l'étranger. 

Mais selon Vincent Nouzille, le chiffre est très minimisé. Ce serait en réalité une quarantaine de jihadistes considérés comme des menaces pour la France, qui auraient été ciblés et exécutés selon ce procédé, entre 2013 et 2016, soit une opération par mois environ. Un rythme soutenu, et jamais vu depuis les années 1950, selon le journaliste. "De ce point de vue, François Hollande marque une vraie rupture dans l'usage de la force, alors que Nicolas Sarkozy et surtout Jacques Chirac étaient plus prudents sur ces sujets régaliens", écrit-il. 

Feu vert pour tuer

Dans les faits, le processus est simple, et direct: le président de la République a donné son aval aux états-major militaires et à la DGSE, la Direction Générale de la Sécurité Extérieure, pour éliminer à l'étranger, et notamment de façon clandestine, des ennemis présumés de la France, ce qui implique des chefs terroristes. 

Ces actions, appelées "opérations homo" (pour "opérations homicides") sont ainsi menées de façon illégale, soit par un agent spécial agissant seul, soit par une équipe restreinte. Les agents passent alors à l'action sur ordre, non écrit, du chef de l'Etat. "Les renseignements proposent des objectifs. Comme il s'agit d'opérations spéciales, ces propositions sont faites à l'échelon politique, qui valide ou pas", résume au micro de BFMTV Gilles Sacaze, ancien cadre du service action de la DGSE.

Des exécutions extrajudiciaires 

Les responsables militaires préfèrent le terme "d'objectifs stratégiques" ou de "cibles ennemies" à celui d'"exécutions ciblées", pour évoquer ces opérations. Car le flou juridique qui les entoure est assez important. En effet, dans le cadre d'un conflit militaire reconnu et déclaré comme tel, passé par l'aval parlementaire, ce genre d'opération spéciale est assimilé à un acte de guerre, explique Vincent Nouzille. L'élimination d'une "cible ennemie" rentre donc logiquement dans ce cadre. 

Mais la situation apparaît plus ambiguë lorsque les agents des forces spéciales ou de la DGSE interviennent pour viser une cible dans une zone "grise", le terme militaire pour évoquer une zone d'instabilité, de non droit, ou bien en marge d'une opération militaire classique. Leur action, menée dans la plus grande discrétion, s'apparente alors davantage à une vengeance après un acte terroriste ou une prise d'otages impliquant des Français, ou à une exécution extrajudiciaire. 

Comment les cibles sont-elles déterminées et visées?

Une liste de High Value Targets (HVT) ou High Value Individuals (HVI) rassemble ainsi les noms des individus à cibler sur le terrain. Comme l'explique Vincent Nouzille, la traque est préparée avec la plus grande minutie par les services spéciaux, qui affinent les cibles à l'aide de l'étude de renseignements électroniques, d'interrogatoires de prisonniers, et d'analyses d'imagerie.

Objectif: affiner au maximum les informations permettant d'identifier et de localiser la cible humaine en question, avant de lancer toute opération. Une fois repérée, la cible est suivie jusqu'au moment jugé le plus opportun pour déclencher l'exécution. 

"On recevait une cible, sur laquelle on avait un minimum de renseignements. Quelques fois on avait une photo, une adresse. A partir de là, il fallait monter tout un dossier action", se remémore pour BFMTV Pierre Martinet, un ancien clandestin des renseignements français. "Cela pouvait prendre énormément de temps, un an et demi ou plus. A partir d'un petit renseignement, on obtenait un dossier énorme, qui était utilisé à un moment donné pour neutraliser, ou pas, cet ennemi". 

Adrienne Sigel