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Élysée

"Fainéants", le choix d'un mot très symbolique

Emmanuel Macron s'en est pris au "fainéants" qui s'opposent à ses réformes.

Emmanuel Macron s'en est pris au "fainéants" qui s'opposent à ses réformes. - Eric Feferberg - AFP

Emmanuel Macron a suscité la polémique en qualifiant ses prédécesseurs et les opposants à sa réforme du code du travail de fainéants. Un choix lexical assumé par le président qui veut réaffirmer sa figure "jupitérienne".

Ce sera le mot placardé en gros sur toutes les banderoles des manifestants de ce mardi qui vont battre le pavé pour protester contre la réforme du code du travail. Vendredi dernier, Emmanuel Macron, en déplacement à Athènes, s'en prenait aux adversaires de cette loi assurant qu'il ne "céderait rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes". Le mot assassin était lâché et la colère est rapidement monté parmi les opposants au président parlant de "mépris".

"Abrutis, cyniques, fainéants, tous dans la rue les 12 et 23 septembre", réagissait immédiatement sur Twitter Jean-Luc Mélenchon, le leader et député de la France insoumise. "De qui parle le président lorsqu'il dit qu'il ne cédera rien aux fainéants? De ces millions de privés d'emplois et de précaires?", s'est offusqué dimanche le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez dans Le Parisien. Du côté de l'Elysée, on avançait alors une autre explication. Emmanuel Macron, qui assume, voulait parler de l'inaction de ses prédécesseurs à la tête de l'Etat.

"Le paresseux, l'inutile"

Le mot "fainéant" est apparu dans le langage médiéval. Il est le résultat de la contraction de la forme verbale "fait" et "néant". Littéralement, le fainéant est celui qui fait le néant. "Il désigne le paresseux, l'inutile", confirme à BFMTV.com Jean-Pierre Colignon, ancien chef du service correction du Monde et grand organisateur de dictées dans toute la France. Plus tard, le mot s'est aussi transformé en "feignant", variante "plus dynamique et plus populaire", selon le spécialiste de la langue française. L'écrivain Céline le faisait entrer dans la littérature avec l'utilisation de "feignasse".

Le terme se réfère également au verbe "feindre". "Il y a cette double étymologie qui donne le sens de ne rien faire mais également faire semblant de faire", détaille Mariette Darrigrand, sémiologue. Loin de l'image de sensualité associée à la paresse, le mot "fainéant" a toujours cette connotation négative qui lui est attachée.

"Le fainéant est un personnage du théâtre populaire, c'est une façon de critiquer l'aristocratie, poursuit la sémiologue. Seul le roi a le droit de ne pas travailler."

L'exemple le plus célèbre restant celui des rois fainéants, ces monarques mérovingiens qui abandonnèrent leurs charges aux maires du palais, leurs intendants.

Terme tabou et méprisant

Le choix d'Emmanuel Macron d'utiliser "fainéant" n'a donc rien d'anodin, au vu de sa maîtrise de la communication et son affection pour la littérature.

"Le président reprend cette vielle histoire, décrypte Mariette Darrigrand. Il fait la distinction entre ceux qui agissent et ceux qui sont fainéants, dont le synonyme est aussi 'assis', donc qui n'agissent pas pour le progrès."

Là, le chef de l'Etat crée ainsi les conditions de son bras de fer avec Jean-Luc Mélenchon et les adversaires à ses réformes. Il s'en prend ainsi à ceux qui ne respectent pas "la morale élémentaire de l'éducation". Avec les risques que cela comporte. "En politique, le terme 'fainéant' reste le plus souvent dans l'intimité des partis", estime Jean-Pierre Colignon. 

Seul Nicolas Sarkozy l'avait repris à son compte pour se justifier des critiques qui lui étaient adressées sur son "omniprésidence".

"Je préfère qu'on dise ça plutôt que roi fainéant. On en a connu", lançait en 2009 l'ancien chef de l'Etat.

Cette fois, Emmanuel Macron provoque en attribuant le qualificatif à ces adversaires. "Il y a trois niveaux de discours, analyse Christophe Barbier, éditorialiste politique de BFMTV. C’est le président qui appelle un chat, un chat (...). C’est aussi le président qui sait qu’il y a des Français vraiment fainéants et que donc il faut les appeler ainsi et chacun culpabilise (...). Mais ça peut être pris aussi pour quelque chose de méprisant de la part de quelqu’un qui ne veut comprendre la dureté de la vie au travail (...)." Avant de se questionner:

"Lequel l’emportera aujourd’hui dans les manifs, le troisième évidemment. A court terme, peut-être, à long terme, peut-être moins."

Justine Chevalier