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Élysée

Comment la pomme a changé le destin présidentiel de Jacques Chirac

En 1995, la pomme n'est plus un fruit comme les autres. Jacques Chirac en fait un instrument de communication au service de sa campagne. Une idée née par hasard, qui contribuera à la victoire finale.

"Mangez des pommes." Tout le monde connaît cette petite phrase que prononçait souvent Jacques Chirac lors de sa campagne victorieuse de 1995. A tel point qu'avec le temps elle est devenue, dans l'imaginaire collectif, le slogan de sa campagne. Au point d'éclipser le véritable slogan du candidat Chirac, "La France pour tous".

Pourquoi la pomme? Le fruit préféré des Français (ils en consommaient à l'époque 16 kilos par an) s'est imposé un peu par accident. Tout démarre à la fin de l'automne 1994. Jacques Chirac est alors en perdition dans les sondages (15% d'intention de vote). Le candidat qui a fait part de son intention de se présenter est largement distancé par le socialiste Jacques Delors (qui ne se présentera finalement pas) et son "ami de 30 ans" Edouard Balladur.

Pour renouer le contact avec les Français, il publie alors un petit livre programmatique, La France pour tous, dont le titre deviendra son slogan officiel quelques semaines plus tard. Le président y détaille sa vision de la France avec sa célèbre fracture sociale. Mais c'est un petit symbole qui attire l'attention sur la couverture et qui fera la renommée du livre: un dessin de petit pommier au dessus du mot "France".

Chirac
Chirac © DR

C'est l'éditrice Nicole Lattès qui, la première, a mis cette idée lors d'un brainstorming. Une idée en rupture avec les habitudes. Privilégiant des fonds blancs sans fioritures, les couvertures des essais en France ne se singularisent pas sur les étals des libraires. D'ailleurs, respectant la tradition, le premier tome de son livre programme, "Une nouvelle France", était passé un peu inaperçu.

Il est donc d'autant plus impératif d'attirer clairement l'attention avec "La France pour tous". En 2009, Nicole Lattès raconte à Challenges comment la pomme s'est imposée: "Avec Jacques Chirac, sa fille Claude, Jacques Pilhan, le publicitaire inspiré qui avait peaufiné l'image de Mitterrand, et Yves Setton, directeur artistique, on cherchait un symbole de cette "France pour tous", quelque chose qui parle à tout le monde. J'ai pensé à la pomme, Yves a dessiné le pommier". Pour ce dernier, le pommier est un symbole parfait. "Il fallait que ce soit le premier arbre auquel on pense", confiait Yves Setton en 1995 au Journal du dimanche.

Jacques Chirac qui aime ce fruit (comme tout le monde) valide l'idée et le livre part à l'impression. Dès la sortie de l'ouvrage, ce petit logo focalise l'attention. "Pourquoi un pommier?", "Monsieur Chirac vous aimez les pommes?", "Quel est le sens caché de ce pommier?"... Les réseaux sociaux n'existent pas mais la pomme commence à faire parler d'elle. 

Le rôle clé des Guignols de l'info

Un buzz qui prendra une ampleur encore plus grande avec les Guignols de l'info sur Canal+. Les auteurs de cette émission satirique font de Jacques Chirac un fanatique des pommes. Et ce sont eux qui vont inventer le slogan "Mangez des pommes" dans un sketch diffusé au cours de l'hiver 1995 alors que Chirac plafonne toujours dans les sondages.

Le slogan plaît, la marionnette de Chirac le répète à chaque diffusion, les Français commencent à se l'approprier et les passants dans la rue commencent à interpeller le candidat dans la rue avec ce slogan. Les sondages d'opinion décollent enfin pour le candidat Chirac. Grâce à la sympathie qu'il suscite. En avril 1995, 30% des Français considèrent que l'image de Jacques Chirac est rendue "positive" par les Guignols de l'Info, contre seulement 13% pour Edouard Balladur et 14% pour Lionel Jospin.

Sceptique au début, l'équipe de campagne adopte vite la pomme attitude. 

"Que l'on ait mesuré l'ampleur du phénomène de la pomme dans les campagnes, dans les provinces dans les banlieues, dans les meetings, il faut reconnaître que non, reconnaît à l'époque le porte-parole du candidat François Baroin dans un reportage de France 2. Mais au fond c'est un produit de terroir pour un homme de terrain et que la pomme donne la pêche c'est pas si mal comme message politique politique."

Le petit pommier du livre fait même son apparition sur l'affiche de campagne officielle.

Chirac
Chirac © Jacques Chirac

Pas de publicité, la pomme devient le message

Les militants apportent alors des palanquées de pommes lors des meetings, les équipes de campagnes en charge de l'organisation en distribuent aux passants et aux curieux. "C'était au printemps, à un tournant de la campagne, décryptait Roland Cayrol dans Challenges. Face à Balladur, donné gagnant mais jugé ennuyeux, Chirac paraissait sympa. L'"effet pomme" a permis de cristalliser ce changement de perception. Parce que la pomme, c'est la nature, la bouffe, en un mot, la France! L'irruption des fruits dans la campagne, c'était rafraîchissant." 

Face à un Balladur qui vante la désinflation compétitive et Jospin celle de l'extension de la CSG aux revenus du capital, Chirac lui transforme son siège de campagne en grand marché aux fruits. Les militants découvrent aussi pour la première fois les goodies. Porte-clés "pomme", t-shirts "pomme"... la distribution de gadgets s'impose aussi dans cette campagne.

Pas de bond de la consommation de pommes

Alors qu'à la différence de la campagne de 1988, les candidats sont cette fois limités dans leurs frais de campagne (fini par exemple les affiches 4x3), les candidats ont besoin de trouver de nouvelles formules pour communiquer.

"Le rôle des symboles est très important. C'est la première élection qui doit se faire sans recourir à la publicité traditionnelle. La pomme de Chirac a réintroduit une technique publicitaire dans l'espace rédactionnel. C'est le symbole du désir (Adam et Eve), de la distribution et de la richesse", analyse en 1995 dans les Echos un publicitaire proche de Lionel Jospin. La pomme devient une icône dans cette campagne d'hyper-communication et d'image.

En 1995, la consommation de ce fruit dont la France n'est que le troisième producteur européen ne fera pas un bond particulier dans l'Hexagone. Mais de ce Malus, le nom botanique de la pomme, Jacques Chirac aura fait un bonus, ayant clairement contribué à une victoire dont il rêvait depuis plus de vingt ans.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco