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Élysée

Comment Emmanuel Macron est devenu la cible de toutes les haines

Sur les Champs-Elysées, le 24 novembre 2018.

Sur les Champs-Elysées, le 24 novembre 2018. - Bertrand Guay - AFP

Depuis le début de la mobilisation des gilets jaunes, la colère autour de la personne du chef de l'Etat s'est démultipliée. La démission d'Emmanuel Macron est aujourd'hui devenue l'une des plus fortes revendications du mouvement.

Jamais un président français n'avait cristallisé autour de lui une telle haine. Si Emmanuel Macron s'est attiré des reproches depuis son arrivée à l'Elysée, le phénomène s'est considérablement amplifié depuis le début de la mobilisation des gilets jaunes. Et ce qui n'était, au départ, qu'une mobilisation pour protester contre la hausse des taxes sur le carburant, s'est rapidement transformé en un mouvement anti-Macron.

Insultes et appels au meurtre

Au-delà des revendications des manifestants sur le pouvoir d'achat s'ajoute désormais, sur les pancartes, dans les slogans, mais aussi et surtout sur les réseaux sociaux, où est né et s'est structuré le mouvement, un appel à la démission pure et simple d'Emmanuel Macron. Parfois, des références au meurtre se glissent au milieu des insultes.

Dimanche, à peine le pied posé en France à son retour de Buenos Aires, où il se trouvait pour le G20, Emmanuel Macron s'est rendu dans le quartier de l'Arc de Triomphe, pour constater les dégâts de la veille. Quelques heures plus tôt, le célèbre monument du haut des Champs-Elysées avait été recouvert de tags visant le président: des insultes violentes, parfois obscènes, qui témoignaient d'une haine viscérale contre lui.

Christophe Castaner devant l'Arc de Triomphe tagué, le 2 décembre.
Christophe Castaner devant l'Arc de Triomphe tagué, le 2 décembre. © Geoffroy Van Der Hasselt - AFP

Hué à chaque sortie

Au moment de sa venue, en milieu de matinée, les employés de la mairie n'avaient pas encore eu le temps d'effacer ces messages haineux. Sur plusieurs images, le président de la République apparaît donc devant ces graffitis qui l’interpellent directement. Un symbole fort. Son déplacement dans les rues alentours, pour rencontrer forces de l’ordre et commerçants, est ponctué de huées.

Depuis le 1er décembre, la détestation du chef de l’Etat est encore montée d’un cran, à tel point que le locataire de l’Elysée ne peut plus quitter son palais présidentiel sans se faire siffler ou insulter. Un climat qui oblige son entourage à ne plus annoncer ses sorties.

C’est ce qu’il s’est passé le 4 décembre, lors de son déplacement tenu secret au Puy-en-Velay, où la préfecture avait été incendiée pendant le week-end. Venu pour témoigner son soutien au préfet et ses équipes, Emmanuel Macron a été copieusement sifflé en quittant les lieux, par une foule de manifestants qui s’étaient rapidement rassemblés après avoir entendu que le chef de l’Etat se trouvait sur place. Selon L’Opinion, l’incident a été vécu comme un “électrochoc” au palais.

"Les gilets jaunes veulent son scalp"

Depuis, plusieurs gilets jaunes ont dit vouloir “entrer dans l’Elysée” ce samedi, lors de l’acte 4 de la mobilisation. "Les gilets jaunes veulent son scalp. Il y a une telle haine contre Emmanuel Macron", résume un conseiller de l'exécutif cité par l’AFP.

Cette tension n’avait encore jamais été observée sous la Ve République, et va plus loin que la détestation que pouvaient susciter Nicolas Sarkozy ou François Hollande. Cette différence peut s’expliquer par la structure même du mouvement des gilets jaunes, complètement inédite.

“Les formes de contestation sociale contre les précédents présidents restaient dans le cadre de structures organisées, comme des syndicats, des partis, ou encore l’Eglise catholique dans le cas de la Manif pour tous. Il y avait un minimum d'encadrement de la parole, qui ne poussait pas au bout la logique de haine”, analyse pour BFMTV.com Arnaud Mercier, professeur d'information et de communication à l’université Paris II-Assas.

La parole libérée des réseaux sociaux

“C'est un mouvement qui porte la parole des réseaux sociaux, qui ne présente pas d'encadrement de la parole manifestante. Donc cette parole de rue correspond en partie aux excès sur les réseaux sociaux”, fait valoir Arnaud Mercier.

“On le sait, les règles ordinaires de la civilité peuvent être abolies sur les réseaux sociaux. C'est une parole qui libère l'agressivité. L''ensauvagement' du web devient l''ensauvagement' du discours de rue. Il y a une transposition de ce qu'on lit sur Internet depuis des années”, explique encore le spécialiste.

Un personnage qui cristallise la détestation

Mais à cette structure inédite du mouvement s’agrège une détestation désormais installée du personnage d’Emmanuel Macron, considéré comme arrogant par de très nombreux partisans des gilets jaunes. Ses petites phrases distillées depuis son arrivée au pouvoir (“Les gens qui ne sont rien”, “Je traverse la rue, je vous trouve du travail”, “On met un pognon de dingue dans les minima sociaux”, etc…) ont été vécues comme autant de situations de mépris chez certains Français.

“C’est là toute la violence du retour de boomerang. Il paye au prix extrêmement fort tout ce qui a été perçu au sein des classes populaires comme des traces de mépris”, explique Arnaud Mercier.

Et ses sorties sont aujourd’hui détournées contre lui, comme en témoigne le tag “Ok Manu, on traverse”, observé boulevard Haussman à Paris samedi, référence directe au recadrage en direct d’un adolescent par le chef de l’Etat, en juin dernier.

S’ajoute à cela une image de président des riches, qui, à l’instar de Nicolas Sarkozy, colle à la peau d’Emmanuel Macron. La réforme de l’ISF, l’une des premières mesures du président élu en mai 2017, y a contribué pour beaucoup.

“Au sentiment de mépris se mêle un sentiment d’injustice. Or ce sont les deux mécanismes les plus importants dans le déclenchement de la colère”, souligne Arnaud Mercier.

Brigitte Macron pas épargnée

Brigitte Macron n’échappe pas à la haine que s’attire son époux. “La première dame se met en avant depuis le début du quinquennat sur un mode ‘paillettes’, notamment dans les pages de Paris Match, et revendique incarner l'élégance à la française. Elle renvoie une image de première dame riche”, fait valoir Arnaud Mercier.

Chez les manifestants, le couple présidentiel est de plus en plus perçu comme un couple royal. Et les récentes dépenses pour refaire la décoration de l’Elysée n’aident pas à atténuer cette perception.

“Chez les gilets jaunes, il y a globalement une appropriation du vocabulaire révolutionnaire”, conclut Arnaud Mercier. “Brigitte Macron, c'est Marie-Antoinette, qui vit dans sa bulle, tandis que l'on veut la guillotine pour Emmanuel Macron”.

Un tag visant Brigitte Macron à Paris le 1er décembre.
Un tag visant Brigitte Macron à Paris le 1er décembre. © François Guillot - AFP