Élections européennes
Elections européennes

Technicienne, raide, libérale... Qui est Nathalie Loiseau, tête de liste de LaREM aux européennes?

PORTRAIT - Passée à plusieurs reprises par le cabinet d'Alain Juppé au Quai d'Orsay, la tête de liste de LaREM aux européennes fait l'unanimité au plan des compétences. Certains regrettent néanmoins son manque de flamboyance.

Le coup d'envoi augurait d'une campagne difficile. À mille lieux de ce dont Emmanuel Macron avait besoin pour s'offrir une nouvelle légitimité. Le jeudi 14 mars, France 2 consacre un numéro de L'Émission politique à Marine Le Pen. Pour lui porter la contradiction, le gouvernement missionne sa ministre des Affaires européennes, Nathalie Loiseau, que la rumeur positionne en potentielle tête de liste pour La République en marche. Une rumeur que l'intéressée nie en bloc auprès des médias, y compris en arrivant sur le plateau de France Télévisions.

Entre les deux femmes politiques, aux styles résolument contraires, le duel tourne vite à la cacophonie et ne produit aucune séquence digne d'être archivée par l'INA. Sauf une, mais pas pour les raisons escomptées. Dans un moment télévisuel rare, Nathalie Loiseau fait mine de décider, de manière spontanée, d'être candidate à la direction de la liste présidentielle pour les élections européennes. 

"Plus une 'techno' qu'autre chose"

De la droite à la gauche, en passant par LaREM et ses alliés centristes, le constat est quasi unanime: on a vu meilleure entrée en campagne. "Loiseau y a perdu des plumes", raille-t-on ici et là. Par sa raideur et son manque de naturel, la déclaration de candidature de la ministre semble illustrer ce qui ferait défaut à celle-ci en cas d'adoubement par le mouvement macroniste.

"Loiseau, c'est plus une 'techno' qu'autre chose. Elle peut cartonner les députés de l'opposition à l'Assemblée avec des répliques bien senties, mais sinon, elle est dans un ministère qu'elle aime bien, où on lui fout la paix et qui ne suscite jamais de manifestations", décrivait auprès de BFMTV.com un pilier du groupe LaREM quelques jours avant L'Émission politique

À l'époque, une grande partie de la majorité parlementaire pense que c'est Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, qui tient plus solidement la corde pour chapeauter la liste. 

Libérale et progressiste

"Techno", au sens de technocrate, technicienne, femme de dossiers... Nathalie Loiseau en a effectivement le profil. Directrice de l'ENA pendant près de cinq ans, cette diplomate de carrière est passée à plusieurs reprises par le cabinet d'Alain Juppé, lorsque celui-ci était ministre des Affaires étrangères. Une première fois en tant que conseillère de 1993 à 1995, une seconde en tant que directrice générale de l’administration du Quai d'Orsay, de 2011 à 2012. Elle a par ailleurs soutenu l'ancien Premier ministre de Jacques Chirac durant la primaire de la droite en 2016.

De quoi la lester, aux yeux de certains, d'une étiquette franchement libérale ou, a minima, de centre-droit. Un label juppéiste tinté de convictions féministes qu'elle brandit régulièrement, en s'appuyant sur l'ouvrage qu'elle a consacré au sujet en 2014, Choisissez tout. Une case importante du "progressisme" défendu par la macronie se trouve ainsi cochée. Durant son temps au sein du gouvernement, Nathalie Loiseau est même allée jusqu'à défendre le concept de "GPA éthique". 

"Je suis contre la marchandisation des corps. Mais je ne vois pas pourquoi on se préoccupe de la marchandisation des corps quand il s'agit de GPA et qu'on ne se demande pas dans quelles conditions travaille une ouvrière du Bangladesh qui a 12 ans", déclarait-elle au Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI début février.

Défense du voile islamique

Fin mars, une fois confirmée par LaREM pour diriger sa liste, l'ex-ministre devient la cible d'une polémique nourrie par la droite et le Rassemblement national, qui lui reprochent d'avoir comparé, dans son livre, le voile islamique à celui de mère Theresa. Certains y voient la marque d'un multiculturalisme à l'anglo-saxonne. 

L'intéressée, elle, s'en défend, affirmant quelques jours plus tard sur notre antenne qu'à "partir du moment où une femme n'est pas soumise à l'oppression, où une femme n'est pas dans la soumission", elle "respecte son choix".

"En revanche, quand une femme n'est pas libre de faire ce qu'elle veut, de s'habiller comme elle veut, de sortir, d'être scolarisée, de travailler, (...) elle me trouvera toujours à ses côtés", ajoute-t-elle alors.

Au fond, Nathalie Loiseau incarne bien le socle idéologique initial du macronisme, à savoir l'alliance entre le centre-gauche et le centre-droit. "J’ai des convictions sociétales de gauche mais suis aussi de droite modérée", résume-t-elle auprès du Monde.

"Pas une bête de scène"

Désormais au cœur de l'arène, sans filet de sécurité ministériel, bombardée tête de liste d'un parti accusé de favoriser les "gagnants" de la mondialisation, Nathalie Loiseau a mis de l'eau dans son vin libéral. Elle défend l'instauration d'un Smic à l'échelle européenne, fustige le dumping social et fiscal, et dit vouloir durcir davantage encore les conditions du travail détaché. "L'Europe sociale", en somme, slogan qui a le défaut d'avoir été agité à de trop nombreuses reprises aux yeux des Français.

Et malgré ce volontarisme, les retours médiatiques sur ses meetings sont pour le moins sceptiques. Avec, souvent, les mêmes bémols: "poussif", "peu flamboyant", "maladroit"... 

Son entourage, de manière prévisible, est beaucoup plus optimiste: "C'est une vraie meneuse d'équipe, qui sera au rendez-vous dans les moments de vérité. Les retours sont très positifs. Et puis la campagne des européennes, c'est une campagne très vive, très courte, où tout se joue dans les deux dernières semaines." 

"Après oui, ce n'est pas une bête de scène, ce n'est pas une habituée des plateaux télé. L'Émission politique, c'était comme démarrer l'Everest par la face nord. Il fallait du courage pour aller affronter, pour sa première presta', une politicienne chevronnée comme Marine Le Pen. À chaque débat, elle subit les attaques de ceux qui veulent taper Macron, c'est-à-dire tout le monde", développe le même proche auprès de BFMTV.com. 

Errements de jeunesse

Sa première incursion en politique, qui date de l'époque où elle étudiait à Sciences Po Paris, a pourtant été à la racine de sa première vraie polémique de campagne. Le 22 avril, Mediapart a révélé la présence de Nathalie Ducoulombier (son nom de jeune fille, NDLR) sur une liste de l'UED (Union des étudiants de droite) lors d'élections de délégués étudiants en janvier 1984. Ce syndicat étudiant, sorte d'excroissance du sulfureux GUD (Groupe Union Défense), comptait des membres notoirement situés à l'extrême droite de l'échiquier. 

Assurant dans un premier temps n'avoir jamais "milité, tracté" ou "fait campagne" pour cette liste et n'en avoir pas "perçu" la couleur politique véritable à l'époque, l'ex-ministre a ensuite reconnu - auprès de franceinfo - avoir commis "une vraie connerie".

"Vouloir faire de moi quelqu'un qui soit proche de l'extrême droite... C'est scandaleux! C'est blessant. Cela va complètement à l'encontre des valeurs que je porte et des valeurs que porte la liste", a-t-elle plaidé.

Attachement au projet européen

Encore plus discrètement, Nathalie Loiseau s'est également impliquée dans les élections européennes de 1989. Comme l'a repéré le HuffPost, la jeune diplomate avait 25 ans lorsqu'elle a accepté d'être 49e d'une liste fédéraliste obscure, "Initiative pour une démocratie européenne", qui n'a recueilli que 0,17% des voix. 

30 ans plus tard, après avoir arpenté les coulisses de Bruxelles régulièrement en tant que ministre, Nathalie Loiseau s'apprête, si l'on en croit les sondages, à s'y implanter durablement. La continuité logique, au fond, d'un parcours marqué par l'attachement au projet européen. Avec tout ce que cela implique.

Jules Pecnard