Élections européennes
Elections européennes

Européennes: une élection aux conséquences politiques surévaluées?

Les 12 candidats du débat

Les 12 candidats du débat - Bertrand GUAY / AFP

Unique scrutin proportionnel à un tour que compte notre arsenal institutionnel, les élections européennes entraînent traditionnellement en France des effets à court terme, mais pas toujours suivis d'effets lors des échéances électorales suivantes.

Ils ont voulu en faire le scrutin des scrutins. Dimanche, les Français se sont mobilisés pour élire leur délégation au Parlement européen. Conformément à ce que prédisaient la totalité des sondages, le Rassemblement national a réédité - de façon moins éclatante - sa victoire des élections européennes de 2014. Ce lundi à la mi-journée, son score s'élève à 23,3% des suffrages exprimés.

La République en marche, malgré l'usure du pouvoir et six mois de mobilisation des gilets jaunes, a limité la casse en arrivant deuxième avec 22,4%. Les formations qui ont gouverné la France pendant des décennies, à savoir Les Républicains et le Parti socialiste, ont obtenu de piètres résultats, la palme revenant à LR, qui a chuté de 20% à la présidentielle à 8,5% dimanche. Le parti de Laurent Wauquiez, désormais entré en crise, a été largement devancé par les écologistes, crédités de 13,5% des voix.

Pour la France, un scrutin particulier

Cette mise à jour de l'échiquier politique a-t-il pour autant la valeur que lui ont assignée les candidats tout au long de la campagne? Dans les institutions françaises, les élections européennes font figure d'exception. Il s'agit de notre seul scrutin proportionnel à un tour. À cet égard, l'enjeu est non pas d'y faire émerger un quelconque "gagnant", comme par exemple à l'occasion d'une présidentielle, mais de répartir des sièges au Parlement européen. En théorie, les électeurs se prononcent donc par ajout (d'élus) selon leur affinité idéologique et non pas par élimination.

Dans les faits, certains candidats aiment y voir un sondage en temps réel, aux projections indiscutables. A fortiori lorsque la participation est en forte hausse par rapport aux précédents scrutins, comme ce fut le cas dimanche.

"Ce n’est même pas un bon sondage, car il ne recense que la moitié du corps électoral, avec d’énormes écarts en termes d’âge et de catégories socio-professionnelles", rappelle néanmoins le politologue Jérôme Sainte-Marie auprès de BFMTV.com. 

1999, la vraie-fausse domination du PS

Traditionnellement, l'impact des élections européennes sur le jeu politique est relativement éphémère. Plusieurs exemples en attestent, le plus probant étant probablement celui de 1999.

À l'époque, la droite (dont le RPR est alors le parti hégémonique) est au fond du trou, toujours en convalescence deux ans après la dissolution ratée décidée par Jacques Chirac. Concurrencée par une liste dissidente menée par Charles Pasqua et Philippe de Villiers, celle de Nicolas Sarkozy n'obtient que 12,8% des voix. Un naufrage qui contraint le maire de Neuilly à quitter son poste de président du RPR quelques mois plus tard. Le Parti socialiste, lui, arrive en tête des européennes malgré deux années de cohabitation dans les pattes.

Ce succès ponctuel du PS n'empêche pas celui-ci, trois ans plus tard, de subir l'éclatement de la "gauche plurielle" lors de l'élection présidentielle de 2002 et de voir son candidat, Lionel Jospin, exclu du second tour malgré un bilan défendable. 

Inversement, le Front national traverse en 1999 une crise sans précédent. La scission avec le "félon" Bruno Mégret, ex-lieutenant de Jean-Marie Le Pen, a gravement affaibli le parti à la flamme - tant sur le plan des ressources humaines que de la force de frappe électorale. Conséquence logique à cet instant T: la liste FN recueille 5,7%. Un instantané dans lequel les commentateurs croient voir les germes d'un effacement durable du frontisme. Pourtant, le 21 avril 2002 à 20 heures, c'est bien le visage de Jean-Marie Le Pen qui s'affiche au côté de celui de Jacques Chirac. 

2009, l'éphémère percée écologiste

Sept ans plus tard, en 2009, les élections européennes marquent les esprits pour deux raisons. D'abord, l'apparente résistance de l'UMP à l'épreuve du pouvoir, malgré la crise financière qui ébranle sévèrement la présidence de Nicolas Sarkozy. Ensuite, la percée historique des écologistes, dont la principale liste, menée par un Daniel Cohn-Bendit au summum de sa popularité, affiche le score de 16,28% le jour du scrutin. 

Sur le papier, tout semble possible à ce moment-là, à la fois pour la droite sarkozyste (27,88%, plus de dix points devant le PS) et pour les Verts. Pour ces derniers, les observateurs prédisent un véritable renouveau. La tendance se confirme aux régionales de 2010, lors desquelles les écologistes nouent des alliances (avec les socialistes) qui leur permettent d'obtenir près de 300 sièges de conseillers régionaux. Une montée en puissance annihilée par l'élection présidentielle de 2012, qui voit la candidature d'Eva Joly ne recueillir que 2,31% des suffrages.

Pour l'UMP, en revanche, les régionales de 2010 déboulonnent le leurre qu'auront été les européennes de 2009. La gauche rafle la quasi totalité des 22 régions de métropole et renforce ainsi son implantation dans les territoires (ce que ne permettent en rien les européennes). Une étape cruciale dans le parcours censé ramener le PS au pouvoir. C'est ce qui se produit en 2012, par le truchement de l'élection de François Hollande à la présidence de la République.

Espoirs déçus

Certaines européennes ont été l'occasion de percées individuelles sans lendemain. En 1994, le souverainiste Philippe de Villiers crée la surprise et arrive en troisième position (12,34%), grâce à une campagne efficace pilotée en partie par l'ex-journaliste de Minute Patrick Buisson. Ce succès ne l'empêche pas d'arriver sous la barre des 5% à la présidentielle de l'année suivante. Idem pour la candidature de Bernard Tapie sous la bannière du Parti radical de gauche.

Jérôme Sainte-Marie évoque toutefois certains effets non négligeables de ce scrutin sur la vie politique hexagonale:

"En 2014, Marine Le Pen fait près de 25% dans un scrutin qui lui est sociologiquement et démographiquement défavorable. Ça lui assure quasiment une présence au second tour de la présidentielle de 2017. Et de fait, les stratégies politiques de ses adversaires s'en trouvent modifiées."

"Désintégration du système politique"

Et cette fois-ci? Ayant renouvelé son succès d'il y a cinq ans, Marine Le Pen s'appuiera sur le vote de dimanche pour consolider son rebond, après le débat raté de l'entre-deux tours de la présidentielle.

Quant à Emmanuel Macron, son entourage a annoncé qu'il allait "intensifier l'acte II de son quinquennat" et qu'il n'y aurait "pas de changement de cap". Le score honorable de la liste LaREM lui permet de garder le nez dans le guidon, tout en amorçant le fameux "changement de méthode" annoncé durant sa conférence de presse du 25 avril.

Beaucoup l'ont déjà souligné, ces européennes de 2019 ne font qu'entériner les bouleversements de la dernière présidentielle. 

"Les LR s'effondrent, le PS ne remonte pas. C'est la fin d'une époque. La poursuite de la désintégration du système politique", constatait dimanche un pilier du groupe LaREM à l'Assemblée nationale auprès de BFMTV.com.

Reste à savoir ce que feront les écologistes de leur sursaut, en grande partie tributaire des inquiétudes environnementales qui submergent l'Europe depuis des mois. La présidentielle est lointaine et l'espace politique d'EELV dépendra en grande partie de la place qu'accordera le gouvernement à la transition écologique. Pour la droite, qui se prépare déjà à une de ces guerres internes dont elle a le secret, les mois à venir s'annoncent cruciaux. Si les européennes sont pour LR un signal d'alarme, sans conséquence réelle sur l'ancrage territorial, les municipales de 2020 seront, elles, un véritable couperet.

Jules Pecnard