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Politique

De Villepin : « Sur le bon chemin »

Dominique de Villepin était chez Jean-Jacques Bourdin, mercredi 17 octobre

Dominique de Villepin était chez Jean-Jacques Bourdin, mercredi 17 octobre - -

L'ancien premier Ministre considère l’action du Gouvernement comme une chance pour la France. Même s’il s’accorde quelques libertés de pensée.

J-J B : Cette grève sur la réforme des régimes spéciaux de retraite est-elle justifiée ou injustifiée ?
D d V : C’est un mauvais moment à passer. Mais je pense que la réforme est nécessaire.

J-J B : Donc la grève est injustifiée ?
D d V : La grève marque une mauvaise humeur, elle cale les bases d’une négociation mais je pense que la réforme est véritablement nécessaire et que c’est l’intérêt de tous. Donc cet alignement sur plusieurs années, sur 5 ans, pour passer de 37.5 à 40 annuités, je crois que cela s’impose absolument.

J-J B : Donc grève injustifiée demain, même si vous ne voulez pas vraiment le dire… Est ce qu’il n’y a pas derrière la grève le problème de fond qui est le problème du pouvoir d’achat ?
D d V : Je crois que c’est effectivement tout l’enjeu aujourd’hui, c’est l’enjeu de la réforme. Beaucoup de réformes sont engagées dans différents domaines. La question est de savoir comment c’est efficace, suffisamment rapidement pour répondre aux aspirations des français. Les français ont une attente à savoir : plus de croissance et donc plus de pouvoir d’achat. Il faut que nous évitions de nous disperser, il faut que nous nous concentrions sur les réformes les plus importantes, celles qui rassemblent les français. Je vois que sur les régimes spéciaux il y a une très large majorité des français de tous bords qui sont d’accord pour avancer. Concentrons nous sur l’essentiel de la réforme c’est à dire la réforme économique et sociale, en essayant de dégager très vite les points de consensus pour pouvoir obtenir plus de compétitivité, plus de croissance et donc plus de pouvoir d’achat. Veillons aussi à ne pas nous diviser sur les principes qui doivent fonder la réforme, par exemple sur le cas des tests ADN. Je vois aussi ceux qui veulent bousculer notre politique étrangère ou lancer de grands chantiers institutionnels. Tout ceci ne me paraît pas la priorité, il faut se concentrer sur l’essentiel pour que les français puissent voir, dans leur assiette et dans leur porte-monnaie, la différence.

J-J B : Le Président de la République et le Gouvernement font fausse route actuellement ?
D d V : Je crois que certains sont encore dans le temps de la campagne électorale.

J-J B : Qui ?
D d V : La majorité. Certains pensent encore que tout est possible. Je crois qu’en politique il faut atterrir. Il y a un moment où il faut faire face aux réalités. Nous sommes dans une conjoncture internationale difficile, nous sommes dans une situation de croissance difficile, plus difficile sans doute que ce que pensaient Nicolas Sarkozy et François Fillon en arrivant aux affaires. Lorsqu’ils font un paquet fiscal de 15 milliards d’euros en arrivant, ils espèrent que la croissance sera au rendez-vous, ce n’est pas le cas. Dans ce contexte difficile, il faut cibler les réformes sur l’essentiel. Quand l’Allemagne s’est engagé à améliorer la compétitivité, quand elle a amélioré sa capacité exportatrice à travers des produits de haute technologie, notamment dans les PME, l’Allemagne a fait cette révolution économique totalement indispensable. Faisons la même chose. Concentrons-nous sur ce qui peut rassembler les français et surtout sur ce qui peut donner des résultats rapides.

J-J B : Le budget 2008 en discussion à l’Assemblée Nationale, il favorise le pouvoir d’achat ? Il réduit la dette de l’Etat ?
D d V : Le budget est en discussion. C’est vrai qu’à mon sens il ne prend pas suffisamment en compte ce double objectif. Parce qu’aujourd’hui il y a ces deux objectifs plus un troisième. Le premier objectif c’est effectivement tout ce qui touche à la compétitivité ; il y a un effort qui est fait dans le domaine de l’innovation et de la recherche, notamment pour aider les chercheurs. Je crois qu’il faut aller très loin dans ce domaine, y compris sur le plan de la réforme sur l’université dont on a lancé une étape qui est l’autonomie, mais là aussi il faut plus d’ambition. Il faut rassembler les universités, il faut leur donner les moyens véritablement d’être performantes pour que nos jeunes n’aient pas peur du monde, pas peur de la mondialisation et s’engagent dans ce monde.
Le deuxième élément très important, c’est que, sans tomber dans une politique de rigueur aveugle et absurde, il est nécessaire de continuer à se battre pour réduire les déficits.

J-J B : On ne le fait pas ?
D d V : Pas suffisamment. En 2 ans, j’avais réduit le déficit de 13 milliards et nous étions passés sous la barre des 3%. Je crois que de ce point de vue, là il faut écouter les européens qui nous disent d’être plus attentionnés sur cette exigence de déficit, plus attentionnés pour ce qui concerne le désendettement, parce que c’est l’avenir de nos enfants.
Le troisième élément très important, c’est tout ce qui peut encourager l’emploi. De ce point de vue je crois qu’il ne faut pas hésiter à prendre des mesures innovantes pour ce qui concerne les femmes et les jeunes. Parce qu’on voit bien que c’est là qu’il y a un vrai problème. Trop de jeunes encore n’arrivent pas à trouver un emploi sur le marché du travail. Il faut assouplir le marché du travail, il faut avancer plus vite dans la négociation sur les perspectives des réformes du ou des contrats de travail. Parce que je ne suis pas sûr qu’un contrat de travail unique soit la solution. Je crois que de ce point de vue là, l’enjeu est lourd.

J-J B : Vous avez mis l’Etat en faillite ?
D d V : Vous savez, c’est une situation de plusieurs décennies. Je ne crois pas que l’Etat soit en faillite. Je crois que l’Etat a beaucoup trop dépenser au fil des années et qu’il faut qu’on en tire les conclusions. Mais c’est un travail que nous avons commencé. J’ai lancé les conférences sur les finances publiques en attirant l’attention sur le fait que ce n’est pas uniquement l’Etat qui pose problème sur le plan financier. Je pense même que l’Etat a pris un certain nombre de mesures. C’est aussi le budget de la Sécurité Sociale, et c’est aussi le budget des collectivités locales. Il faut avoir une approche comptable de l’ensemble de ces questions. Là encore, en documentant la réduction, c’est-à-dire en essayant de voir là où on peut dégager des économies, là où on peut éventuellement réduire le nombre de fonctionnaires, là où il faut au contraire l’augmenter. Il y a donc un travail de rationalité, un travail intelligent et fin à faire qui est indispensable.

J-J B : Mais qui êtes-vous Dominique de Villepin ? Vous êtes quoi, vous êtes le premier opposant à ce Gouvernement ?
D d V : C’est ce qu’on dit un peu facilement. Je suis quelqu’un qui a eu la chance d’avoir une expérience auprès du Gouvernement, Affaires étrangères, Intérieur, premier Ministre et qui estime aujourd’hui en conscience que nous n’avons pas le droit de rater cette opportunité.

J-J B : Nous sommes sur le bon chemin ?
D d V : Oui nous sommes sur le bon chemin. Nous avons Nicolas Sarkozy et François Fillon et c’est une chance pour notre pays car ils ont tous les deux une ambition de réforme.

J-J B : Vous avez confiance en Nicolas Sarkozy ?
D d V : Je fais confiance à Nicolas Sarkozy à condition que nous soyons vigilants. Si j’émets un certain nombre de propositions voire de critiques c’est parce que je pense que cette occasion ne se représentera pas et qu’il faut partir du bon pied. Je dis que nous avons cru que la croissance serait peut être plus forte qu’elle ne l’est. Tirons-en vite les conséquences, n’attendons pas comme à chaque fois plusieurs années pour changer de cap alors qu’il faut s’adapter en permanence. Dans ce monde, il faut être mobile, pragmatique et audacieux. Sur l’audace je pense que le Gouvernement et le Président de la République ne sont pas en reste. Mais il faut être vigilant c'est-à-dire, en permanence, s’adapter à une conjoncture qui change.

J-J B : Le Gouvernement doit il retirer l’amendement sur les tests ADN ?
D d V : Oui, ce n’est pas dans la tradition française. Ce n’est pas la mesure de notre pays, de ses valeurs humanistes et universalistes. Je crois que c’est un très mauvais signal que d’établir une distinction entre les nationaux et les étrangers. C’est aussi une très mauvaise idée de vouloir mêler la bioéthique, la génétique et l’immigration. Le risque d’instrumentalisation, en tous cas de donner l’impression d’instrumentaliser l’immigration, je crois que c’est un élément dangereux.

J-J B : Les franchises médicales, est-ce une bonne idée ?
D d V : C’est une vraie question, qu’il ne faut pas aborder sur un seul plan comptable. S’il s’agit de trouver 800 millions d’euros pour combler le trou passager de la Sécurité Sociale je crois que ce n’est pas la bonne solution. Ça peut être une réponse mais alors il faut en faire une réponse structurelle, c’est à dire dans le cadre d’une vraie vision, d’un nouveau financement de la Sécurité Sociale. En tout état de cause, c’est quelque chose qui mérite d’être expliqué aux français ; s’ils doivent participer désormais à leurs dépenses de santé, il faut en fixer clairement les règles. Expliquer ceux qui y échapperont et pour quelles raisons, compte tenu de situations particulières à cette franchise. Mais je crois que c’est un débat qui ne peut pas être traité simplement comme une mesure pour résoudre le déficit.

J-J B : EADS, vous serez auditionné le 30 octobre par la Commission des Finances du Sénat : est ce qu’Arnaud Lagardère vous a dit qu’il voulait céder ses titres EADS ?
D d V : L’information a été faite auprès de mes services, Arnaud Lagardère est venu voir mon directeur de cabinet et à cette occasion je lui ai indiqué très clairement la position de l’Etat, qui était la position du Ministère de Finances, de Matignon et de l’Elysée. Nous n’entendions pas vendre ou céder notre participation, nous ne voulions rien changer. Je distingue cette information préalable sur un projet qui était la cession d’une part des titres EADS du groupe Lagardère, de l’instruction du dossier. Cette dernière est une instruction technique qui appartient au Ministère de l’Economie et des Finances, bien évidemment Matignon n’est pas associé à cette instruction.

J-J B : Est ce que vous saviez qu’une partie de ces titres Lagardère allait être achetée par la caisse des dépôts ?
D d V : Non, de ce point de vue là nous savons aujourd’hui ce qui s’est passé. Le groupe Lagardère est venu déposé au service de Bercy comme au service de Matignon une note dans laquelle était évoqué l’éventualité de cette cession d’actifs et le fait que des investisseurs de long terme pourraient être intéressés, dont la caisse des dépôts et consignations. Ça c’est le tour de table habituel. Ça n’indique pas pour autant que la caisse des dépôts était engagée, qu’elle allait se porter acquéreuse.

J-J B : Elle a acheté sans vous prévenir ?
D d V : A aucun moment la caisse des dépôts de nous a informés et à aucun moment nous n’avons été associés.

J-J B : Le Ministère des Finances non plus de savait rien ?
D d V : Selon les indications que nous avons, c’est ce qui a été indiqué par Thierry Breton. C’est ce qu’a apporté comme réponse l’inspection générale des finances sollicitée par Mme Lagarde. Nous n’avons pas été informés. Ce qu’il faut souligné, c’est que ce n’est pas une anomalie. La gouvernance de la caisse des dépôts a été établie justement pour éviter les interférences de l’Etat. C’est un établissement public industriel, il s’agit de protéger historiquement l’épargne des français et donc éviter dans les choix qui sont faits par la caisse des dépôts que l’Etat puisse être juge et parti.

J-J B : Vous sentez qu’on cherche à vous viser peut être ?
D d V : Que certains puissent espérer ou estimer que la responsabilité serait engagée dans cette affaire, ça c’est le jeu politique. La réalité c’est que je n’ai rencontré à aucun moment les représentants de la caisse des dépôts sur ce dossier, que je n’ai rencontré à aucun moment personnellement et directement les représentants du groupe Lagardère. Hormis M. Lagardère qui avait rendez vous à mon cabinet pour lui indiquer la position de l’Etat. Donc on aura bien du mal d’une quelconque façon à suggérer que notre responsabilité puisse être engagée. Par contre, ce qui est vrai c’est que se pose la question de gouvernance d’EADS comme de la gouvernance de la caisse des dépôts. On ne peut pas dans notre pays, avoir le beurre et l’argent du beurre. On a bâti une gouvernance pour EADS qui ne donne pas à l’Etat droit aux chapitres. L’Etat n’est pas actionnaire direct, il ne participe pas aux conseils d’administration, c’est comme ça qu’ont été établis les statuts d’EADS. C’est un accord, c’est ce qu’a décidé le Gouvernement de Lionel Jospin. On ne peut pas aujourd’hui considérer que ce n’est pas normal. Je crois qu’il faut être logique et responsable. Si l’on estime que les choses doivent changer alors changeons-les. Mais on ne peut pas porter grief à l’Etat de ne pas avoir fait ce qu’il aurait peut être dû faire… Dès lors qu’il n’en avait pas les moyens.

J-J B : Est-ce que vous pourriez crée un parti politique un jour ?
D d V : La question ne se pose pas aujourd’hui. On a, au sein de la majorité, une UMP qui à mon sens n’est pas assez présente. Le choix qui a été fait d’une direction collégiale ne me parait pas adapté à la conduite d’un parti moderne. Il faut un responsable, il faut quelqu’un qui prenne la responsabilité et des risques.

J-J B : Quelqu’un qui sache dire non au Président de la République ?
D d V : En tout cas qui soit capable de trouver des alternatives et proposer des solutions. L’UMP a fortement existé ces dernières années sous Nicolas Sarkozy. Je ne comprends pas pourquoi nous n’avons pas choisit de maintenir cette UMP forte, capable d’afficher sa différence c'est-à-dire d’avoir une distance par rapport au Gouvernement, une distance par rapport à l’équipe en place et pas simplement d’être une machine. Je crois qu’un parti politique moderne ça doit être davantage que cela.

La rédaction-Bourdin & Co