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Confidences de François Hollande: peut-on parler de suicide politique?

François Hollande, le 15 septembre 2016.

François Hollande, le 15 septembre 2016. - Yoan Valat - Pool - AFP

L'expression est omniprésente depuis la sortie de Un président ne devrait pas dire ça de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, livre d'entretiens avec François Hollande: "suicide politique".

Depuis la sortie de Un président ne devrait pas dire ça de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, la logique politique poursuivie par François Hollande n’en finit plus d’interroger. Et ce jusque dans son propre camp, où, à l’instar de Claude Bartolone, on doute du désir du chef de l’Etat de concourir à sa réélection. Chez les observateurs, une même expression revient: "suicide politique". François Hollande a-t-il pulvérisé ses dernières chances de passer outre l’impopularité de l’exécutif, avant d’être désigné à la primaire et de gagner le scrutin présidentiel de 2017?

Descendu en flamme en place publique

C’est vers l’opinion publique qu’il faut se tourner en premier lieu pour évaluer les dommages que la parole de l’homme politique a infligé à sa propre carrière. Et force est de constater que l’opération "transparence" ou "sincérité" du président ne s’avère pas payante. Selon un sondage Ifop, réalisé les 13 et 14 octobre auprès de 1.501 personnes, 78% des Français estiment après la publication du brûlot des enquêteurs du Monde que François Hollande a eu tort de "s’exprimer autant" devant des journalistes. 86% d’entre eux ne veulent même pas qu’il soit sur la ligne de départ en 2017.

Comme un écho, le juriste Renaud Bouchard écrit pour "le média citoyen" Agoravox dans un article intitulé "François Hollande, le suicidé politique de la république":

"La France toute entière lui serait à coup sûr reconnaissante de choisir une porte de sortie honorable plutôt que de laisser l'image de celui qui aura pressé sur le détonateur d'une crise politique, économique, sociale et désormais constitutionnelle évidente au point qu'un proche de l'entourage présidentiel aurait déclaré: "Il va falloir s'en débarrasser".

Personne ne l'a forcé

Dressant un constat souvent voisin, la presse varie sur ce même thème du suicide. Dans cet éditorial publié par le site de L’Obs, Serge Raffy opte lui pour le terme de "Hara Kiri" politique avant de tracer un parallèle avec l’affaire DSK, sur fond d’analyse psychanalytique: "Un peu comme DSK l’avait fait dans une chambre de Sofitel de New York, en 2011, sabordant sa carrière presque avec délice. Dans une forme de refus du passage à l’acte. François Hollande n’est pas loin de cette posture, dans un autre registre."

Mais pour qu’il y ait suicide, fût-il politique, il faut qu’il y ait volonté d’en finir. Le même journaliste s’en remet au bon sens pour faire la démonstration du libre-arbitre de François Hollande au moment d’ouvrir cette séquence autodestructrice: "Ceux qui imaginent qu’il s’est fait piéger par ses deux confesseurs se trompent. On ne se laisse pas 'torturer' à plus de soixante reprises, pendant cinq ans, sans savoir qu’il y aura un prix politique à payer pour un tel dévoilement."

C'est aussi cette temporalité qui retient l'attention de Paul Bacot, professeur émérite de science politique, qui s'exprime pour BFMTV.com. Pour lui, c'est surtout la collision de deux chronologies différentes qui pose problème: 

"Ce livre est très particulier, en cela que c'est François Hollande qui parle, mais qu'il n'est pas pour autant l'auteur de l'ouvrage. Et surtout, les propos rapportés, dont l'authenticité n'est mise en doute par personne, ont été prononcés à des dates différentes s’étalant sur une période de cinq ans. On n'est donc pas dans le cas de citations plus ou moins anciennes, ressorties de la mémoire ou des notes d'amis ou de collaborateurs, en quelque sorte après la bataille, après la descente de charge, voire après la sortie de la vie politique, si ce n'est de la vie tout court. Mais on n'est pas non plus, à l'inverse, dans la citation immédiate rendant compte d'une réaction à chaud."

Cette ambivalence invite moins à l'analyse historique qu'à une confusion profonde, possiblement dommageable pour l'émetteur de ces propos, selon Paul Bacot: "Le passé est en quelque sorte projeté sur le présent, sur lequel il se fracasse en étant déformé: on lit ces déclarations d’il y a deux, trois ou quatre ans, comme si elles venaient d’être prononcées. Ce sont des réactions à chaud, mais refroidies. Autant dire que leur auteur ne peut en attendre que de sérieux ennuis." 

Des erreurs criantes

De ces "sérieux ennuis" à la mort symbolique, il y a tout de même un sacré pas. AInsi, pour faire de François Hollande un "suicidé", il faut établir qu’il a mis au service de sa résolution que des moyens en eux-mêmes fatales. En se penchant sur la méthodologie employée lors des entretiens préparatoires au livre, il apparaît justement, souligne le journal espagnol (catalan) La Vanguardia, que la catastrophe était en germe dès le premier rendez-vous entre François Hollande et ces journalistes:

"Pourquoi suicidaire? Par sa franchise et sa sincérité idiote incompatibles avec la fonction qu’il occupe. Hollande a accepté des conditions suicidaires avec les deux journalistes, Davet et Lhomme: des entretiens enregistrés au long de cinq années, complètement sincères, sans conseillers de presse présents ni droit de correction ou de relecture. C’est un format raisonnable pour un ex-président, mais absolument incompatible avec la fonction présidentielle qui présuppose omission, mensonge et comédie."

"Lazare n'est pas mort, il dort"

Il manque un dernier élément au tableau pour répondre définitivement à la question qui nous occupe. Le suicide sera effectif si François Hollande décide de ne pas participer à la joute de 2017 (il vient de réaffirmer qu’il comptait patienter jusqu’en décembre pour se prononcer), perd la primaire de la gauche ou échoue au premier tour du suffrage présidentiel en avril 2017, sans avoir jamais pu rattraper le retard qu’il a encore aggravé en ce mois d’octobre.

Si, contre toutes attentes, il évite ces écueils, il reviendra d’entre les morts. Il deviendrait alors le "Lazare de la politique". Mais, comme Lazare, François Hollande aurait bien besoin d’un miracle.

Robin Verner