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Politique

Bandes : une loi efficace ou dangereuse ?

A Grigny, au sud de Paris fin 2006, des "gangs" de jeunes avaient mis feu à des bus de passagers.

A Grigny, au sud de Paris fin 2006, des "gangs" de jeunes avaient mis feu à des bus de passagers. - -

L'Assemblée examine ce 23 juin, la proposition de loi sur les violences en bandes, présentée par l'UMP Christian Estrosi. Au programme, prison et lourdes amendes pour toute "participation à un groupement violent". Analyse d'un texte sévère qui relance le débat sur nos libertés.

Ce mardi 23 juin, l'Assemblée nationale examine la proposition de loi sur les violences en bandes et à l'école. Un texte présenté par le député UMP et maire de Nice Christian Estrosi. 198 députés UMP ont cosigné cette proposition de loi et après la bagarre qui a fait un mort ce week-end au Blanc-Mesnil en Seine-Saint-Denis, le porte-parole de l'UMP Frédéric Lefebvre a appelé tous les parlementaires à voter « à l'unanimité » ce texte. Si tel était le cas pour les députés de la majorité, le projet de loi pourrait être voté mercredi à l'Assemblée.

Cagoules, attroupements, caméras et compagnie...

Il y a d'abord la proposition sur le port des cagoules : tout moyen de dissimuler volontairement son visage sera considéré comme circonstance aggravante devant le tribunal.
Deuxième point, sur les attroupements armés : ce genre de rassemblement est déjà réprimé par la loi mais le texte est renforcé, avec des peines allant de 3 à 5 ans de prison, et des amendes allant de 45 000 à 75 000 euros. Les arrestations pourront aussi être filmées par la police judiciaire.
Autre mesure phare : le fait de rentrer dans un établissement scolaire sans en avoir le droit sera puni d'un an d'emprisonnement, 3 ans s'il s'agit d'une intrusion en bande. Sachant que la possibilité de fouiller les cartables devrait être évoquée lors de l'examen du texte...

« Identifier l'appartenance et la volonté d'agir en bandes »

Christian Estrosi, à l'origine de cette proposition de loi, elle-même "commandée" par le Chef de l'Etat, justifie son texte sensé permettre de mieux lutter contre les violences en bandes : « Aujourd'hui, notre droit ne donne ni à la police, ni à la justice, les moyens de pouvoir identifier quelqu'un. Parce qu'on dilue toujours sur l'autre quand on va casser une vitrine ou quand on profite d'une manifestation pour régler des comptes. Tous les ingrédients sont là pour permettre à la justice, comme à la police, d'identifier cette appartenance et cette volonté d'agir en bandes. On ne règlera malheureusement pas tous les problèmes mais nous allons combler un vide, qui nous permettra sans doute de gagner des batailles de plus. »

Témoignage d'un ancien « chef de bande »

Certes, les bandes posent problème. Mais le phénomène n'est pas nouveau. Lamence Madzou était membre d'une bande dans les années 80. Les Fight, basés dans l'Essonne. Aujourd'hui âgé de 35 ans, il a tourné la page et écrit un livre avec une sociologue sur son histoire [J'étais un chef de gang, aux Editions La Découverte]. Il estime qu'aujourd'hui, dans la majorité des cas, on ne peut pas parler de « bandes » : « le terme est très exagéré. C'est en tous cas très loin de la réalité que j'ai connue. On était jeunes, constamment ensemble, structurés, avec un chef, des lieutenants - ce qu'on ne retrouve pas du tout aujourd'hui - et motivés. On était partis dans une logique de violence, de "guerre" à petite échelle, contre les autres bandes, parce qu'il s'agissait de prendre des territoires. »

« L'intention ne suffit pas pour poursuivre un individu »

Pour Michel Fize, sociologue au CNRS, auteur de Les Bandes [Editions Desclée de Brouwer], la bagarre qui a fait un mort ce week-end au Blanc-Mesnil était « un affrontement entre 2 groupes de jeunes, probablement inorganisés, non hiérarchisés ». Il cite le texte de Christian Estrosi : « Le fait de participer, en connaissance de cause, à un groupement, même formé de façon temporaire, qui poursuit le but, caractérisé par un ou plusieurs faits matériels, de commettre des violences volontaires contre les personnes ou des destructions ou dégradations de biens, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. » Et souligne : « Là, on est dans la suspicion, dans le soupçon, dans la répression de "l'intention de...". Et jusqu'à preuve du contraire, l'intention ne suffit pas pour poursuivre un individu. »

« Une bande violente, ça se reperd très facilement »

Comment la police pourrait-elle en effet interpeller un groupe qui s'apprêterait à commettre des violences avant qu'elles ne soient commises ? Et comment les policiers peuvent-ils distinguer une bande d'un regroupement de jeunes dans un quartier ? Sylvie Feucher, secrétaire générale du Syndicat des commissaires de la police nationale, a une réponse :
« Parce qu'on a l'habitude et que les policiers qui travaillent dans les quartiers connaissent très bien les phénomènes. On a aussi parfois des informations qui peuvent nous remonter pour dire que tel ou tel quartier risque d'en découdre pour tel ou tel fait. Il est évident qu'on ne va pas interpeller tout le monde et qu'on aura de la réflexion bien entendu, avant d'agir. Mais une bande violente, ça se reperd très facilement, à l'attitude, au regroupement qui devient de plus en plus important, parfois à des armes, même si elles ne sont pas utilisées à ce moment-là. »

« Inefficace et même, dangereux ! »

Allant plus loin dans sa critique du texte sur les bandes, le sociologue Michel Fize conclue : « Que les sanctions soit légères ou alourdies, ça risque de ne rien changer. Parce que les problèmes sont ailleurs : il faut à nouveau repartir sur l'explication des causes qui conduisent un certain nombre de jeunes à commettre ces actes. Ce texte est dangereux, parce que nous sommes dans un pays où sont reconnues la liberté de réunion et la liberté d'association. Vous comme moi, avons le droit d'être dans un groupe qui nous convient. Je pense qu'il faut rester dans la responsabilité individuelle : on est sanctionnable si on a effectivement commis une infraction à la loi pénale. »

La rédaction, avec Annabel Roger et Sébastien Gilles