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Politique

Absentéisme, combines, amendements: ce que révèle un rapport sur l'activité des députés

Un rapport du projet Arcadie, plateforme dressant dans le détail le tableau de la réalité du travail parlementaire, a été diffusé ce jeudi. S'il rend justice à l'activité des parlementaires, il met aussi à jour quelques vicissitudes de députés.

La France compte parmi les plus vieilles démocraties libérales appuyées sur un Parlement. Les chambres, notamment la chambre basse regroupant les députés, ont suscité un imaginaire bien vivant dans l'esprit des Français. Les harangues enflammées de la Convention, la fébrilité des députés de l'éphémère IIe République, pris entre une Révolution et un coup d'Etat militaire, les moustaches des avocats en surnombre dans la chambre des députés de la IIIe République, les dialogues chahutés entre représentants et ministres dans chacune de ces assemblées, tous ces moments font partie intégrante de la culture politique de nos compatriotes.

A côté de ces morceaux de choix, une autre image reste accolée aux députés: ils ne travailleraient pas, camouflés dans un Palais-Bourbon aux airs d'usine à gaz. C'est pour répondre à cette réputation que le projet Arcadie vient de rendre un rapport sur l'activité réelle des députés, en date de ce mois de mars 2019. 

De nombreux chiffres et éléments ressortent de ce document, élaboré par Tris Acatrinei, fondatrice du Projet Arcadie, et Nicolas Quénel, journaliste indépendant, à partir de nombreuses données mais aussi d'entretiens avec une centaine de députés. 

  • Pourquoi les députés sont-ils absents de l'hémicycle?

L'activité, l'assiduité et par conséquent, l'absentéisme, des députés sont généralement évalués par nos concitoyens à l'aune de la présence des uns et des autres dans l'Hémicycle. Or, le reflet renvoyé est souvent peu flatteur. Les images récurrentes de lois votées dans l'anonymat d'une Assemblée aux trois-quarts vide a fait beaucoup pour les procès en fumisterie parfois intentés aux représentants de la Nation. 

Pourtant, cette grille de lecture est un piège à plus d'un titre. Tout d'abord, il est fréquent, comme l'indique le rapport, que projets et propositions de lois soient adoptés au milieu de la nuit, ou au petit matin. Et la seule manière de "pointer" lors d'une séance est de prendre part au scrutin public qui clôt les discussions. Ce qui signifie que si un député s'est escrimé à la tribune pendant une dizaine d'heures mais n'est pas là au moment du vote, sa présence n'apparaîtra nulle part. 

Mais en-dehors de cette impasse et des heures parfois indues des votes, il existe d'autres raisons à l'absentéisme des représentants. La première est que la séance dans l'Hémicycle ne suspend pas les autres activités parlementaires, loin de là. L'étude dresse la liste de toutes les initiatives susceptibles de se dérouler parallèlement aux échanges dans les gradins: les réunions de commissions permanentes, les réunions de groupe, les réunions de groupe d’études et d’amitié, les commissions d’enquête, les commissions spéciales, les réunions des différentes missions, les rendez-vous pour les arbitrages ministériels, les réunions des groupes de travail, les réunions de délégations et d’offices parlementaires, les réunions des organismes extraparlementaires, les réunions internationales, les rendez-vous en circonscription et événements à l’extérieur de l’Assemblée nationale. 

Cet inventaire pléthorique se double d'une dernière considération qui renforce l'idée qu'il est erroné de prendre les séances dans l'Hémicycle comme critère du travail des députés. Les auteurs du rapport écrivent ainsi:

"En séance, le député est extrêmement passif, c’est même le moment où il va être le plus passif, car pendant qu’il est dans l’hémicycle — sauf quand il va défendre ses amendements — il ne va pas mener d’auditions, il n’interroge pas, il n’enquête pas, il n’évalue pas, il ne contrôle pas et il n’est pas à l’écoute des citoyens en circonscription."
  • "Députés suricates" et vestes douteuses: les stratagèmes sous les questions au gouvernement 

Il existe d'autres manières de se signaler à l'opinion dans l'hémicycle que d'être présents pour voter cependant. Assister aux séances de questions au gouvernement... et s'y faire voir. Et si l'on n'est pas de ceux qui apostrophent les ministres, beaucoup de parlementaires vont employer des stratagèmes pour se manifester. Tris Acatrinei et Nicolas Quénel en ont mis deux en valeur: ils ont dénommé l'un "le député suricate", et l'autre celle du "mauvais goût vestimentaire". 

Dans le premier cas, il s'agit de se lever et de passer une tête derrière l'orateur prenant la parole, voire de glisser quelques mots en direction du micro pour qu'ils soient versés au compte-rendu. 

L'autre tactique est transparente: il s'agit de revêtir la veste la plus voyante possible pour que spectateurs ou téléspectateurs ne puissent pas vous rater. La nécessité d'être visible dans ces séances se comprend assez bien: sur une trentaine d'années de diffusion télévisuelle des questions au gouvernement, retransmission inaugurée en 1983, celles-ci ont été suivies en moyenne par 600.000 personnes à chaque fois. 

  • La machine à amendements 

Une bonne partie de la production d'amendements réside dans l'écriture d'amendements. Au 21 mars, 80.840 amendements avaient été déposés depuis le début de la législature. 12.329 d'entre eux, seulement 15% donc, ont été adoptés. 14.471 font figure d'"amendements fantômes" dans la mesure où ils n'ont été soutenus ni en séance ni en commission. 

Les députés les plus prolifiques en amendements appartiennent généralement à l'opposition, bien que le leader en la matière, Joël Giraud, et ses 1512 dépôts, soit député La République en marche. Sa qualité de rapporteur général de la commission des Finances explique cependant sa première position. 

Le travail des groupes parlementaires dévoile enfin le classement suivant: les Républicains (25.038 amendements), La République en marche (18.605), la France insoumise (6664), non-inscrits (5199), l'UDI-Agir (4499), MoDem (4236), gauche démocrate et républicaine (3819), socialistes et apparentés (2590), et enfin Libertés et territoires (1830). 

  • Les heures de commissions 

Un autre pilier du travail parlementaire tient bien sûr aux exercices des commissions permanentes, au nombre de huit. Toutes ne représentent pas la même charge de travail toutefois.

Depuis le début du quinquennat et jusqu'au 28 février dernier, l'ensemble des réunions aboutissent au panorama suivant: la commission des Finances arrive en tête au niveau des heures de réunion accumulées avec 427 h 10, puis la commission des Lois avec 385 h 45, la commission des Affaires économiques avec 374 h 55, la commission des Affaires sociales avec 323 h 25, la commission des affaires étrangères avec 280 h 30, la commission du Développement durable avec 251 h 45, la commission des Affaires culturelles et éducation avec 228 h 45 et enfin la commission de la Défense avec 201 h 40. 

Ce dernier total n'est pas le signe d'une paresse des députés chargés de penser l'avenir des militaires. Relativement peu sollicités par les projets législatifs, ils ont moins à se réunir que d'autres parlementaires, sans compter qu'un certain nombre de leurs rendez-vous se déroulent à huis-clos. 

Robin Verner