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"Viols", "torture" et "déshumanisation": le rapport accablant du Sénat sur l'industrie du porno

Trois hommes ont été mis en examen vendredi dans l'enquête à Paris sur la plateforme de vidéos pornographiques "French Bukkake", portant à 12 le nombre de personnes poursuivies dans ce dossier, a-t-on appris samedi de source judiciaire

Trois hommes ont été mis en examen vendredi dans l'enquête à Paris sur la plateforme de vidéos pornographiques "French Bukkake", portant à 12 le nombre de personnes poursuivies dans ce dossier, a-t-on appris samedi de source judiciaire - Gabriel BOUYS © 2019 AFP

Intitulée "L'enfer du décor", l'enquête menée par des sénatrices pointe du doigt les violences sexuelles perpétrées et véhiculées par l’industrie pornographique. Un rapport accablant qui appelle à une action des pouvoirs publics.

Après plus de six mois de travaux, quatre sénatrices présentent ce mercredi un rapport accablant sur l’industrie du porno intitulé "L'enfer du décor”. Tout au long de ces 140 pages que BFMTV.com a pu consulter, les rapporteures dressent le sombre portrait d’une entreprise prolifique, composée de professionnels et d’amateurs, et qui "génère des violences systémiques envers les femmes, que ce soit celles qui se retrouvent dans ces productions comme celles qui subissent une sexualité calquée sur les normes de violences véhiculées par le porno".

Acteurs et actrices, sociologues et associations auditionnés décrivent aux sénatrices une massification de la pornographie parfois assimilée à de "l’esclavage moderne". Un milieu régi par l’appât du gain, aveugle et sourd aux abus, à la domination et à l’exploitation sans borne du corps des femmes.

"Il n’y a absolument aucune règle, aucun contrôle, pas même concernant le port du préservatif. Souvent, la femme se retrouve seule face à des groupes d’hommes", témoigne la journaliste Marie Maurisse, auteure de Planète Porn, Enquête sur la banalisation du X.

Le consentement des actrices, souvent en situation financière précaire, est extorqué. Les femmes sont contraintes de "faire un maximum de choses devant la caméra" et soumises à une "banalisation de pratiques sexuelles extrêmes", poursuit-elle.

Des "proies idéales"

Ainsi, parmi les catégories de contenus pornographiques proposées sur Internet, "vous trouverez (…) la catégorie des viols, avec des mots-clés sans ambivalence: surprise anale, prise par surprise, faciale non voulue… Ce sont des incitations à commettre des crimes. (…) Il existe également des catégories enlèvement ou séquestration (...) Encore une fois, ce n’est pas feint. Lorsque la femme pleure, elle pleure vraiment", détaille Claire Charlès, porte-parole de l’association Les Effronté.es.

C’est dans ce contexte que la justice française s’est emparé pour la première fois, en 2020, du sujet des violences sexuelles dans ce milieu. Une information judiciaire a été ouverte à l’encontre de la plateforme French Bukkake pour "viols en réunion, traite aggravée d’êtres humains et proxénétisme aggravé" débouchant sur la mise en examen de douze individus.

Auditionnées par les sénatrices, les victimes font état d’un même système de recrutement, basé sur le jeune âge des actrices et leur précarité, par le biais de faux profils Facebook ou Instagram.

"On nous parle tous les jours. La personne se présente comme une escort, elle me dit que c’est merveilleux, que c’est magique, qu’elle a de l’argent à gogo. (…) Derrière ce faux profil de fille, il y avait un homme", explique une jeune femme.

Les recruteurs ciblent leurs proies: "Ils savaient que j’avais des soucis d’argent. J’étais la proie idéale pour eux, c’est comme ça qu’on rentre là-dedans", explique-t-elle, tandis qu’une autre abonde: "J’avais besoin de cet argent tout de suite. Je devais payer mes factures et mon loyer sinon je perdais mon appartement."

"Lobotomisée", "déshumanisée"

Une fois appâtées, les jeunes femmes sont mises en relation avec le producteur Pascal OP qui propose un tournage de scènes pornographiques en précisant que les vidéos ne seront pas diffusées en France. S’ensuivent des violences verbales, physiques et psychologiques avec des pratiques sexuelles imposées, et un chantage sexuel et financier si les actrices réclament le retrait des vidéos.

"Le premier viol, avec tous les stratagèmes, a fait de moi un robot qui ne fait qu’obéir à des hommes qui m’ont lobotomisée, ça a banalisé ces actes", raconte une victime.

Un témoignage qui fait écho à la "déshumanisation" dénoncée par les sénatrices et qui semble sans limite: une autre victime affirme avoir été contrainte à manger la même nourriture que celle donnée aux chiens du producteur lors d’un tournage. "Lobotomisation", "déshumanisation" et même "torture". Quand une actrice s'oppose aux relations sexuelles anales, la production balaye alors ses réserves d'un revers de la main: "Fais pas chier, ça va aller vite".

"On ne se rend pas compte que c’est un viol, que c’est de la torture. On a mal, on est impuissante. Un autre homme, encore un viol, de la sodomie forcée (...) toujours pas de préservatif", raconte-t-elle.

Déni de responsabilité

Les dirigeants de French Bukkake ne sont pas les seuls à être rattrapés par la justice depuis que l'omerta a commencé à se fissurer. En 2020, le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire à l’encontre de la marque Jacquie et Michel. Le PDG du groupe (ARES) et trois autres personnes sont poursuivis pour "complicité de viol" et "traite d’être humain en bande organisée". Une responsabilité vivement contestée par les mis en cause.

"Le rôle de diffuseur que nous avons a créé un amalgame et nous avons hâte de pouvoir l’expliquer aux enquêteurs afin de montrer le sérieux de nos entreprises et la volonté féroce que l’industrie pour adultes soit tout aussi respectable et respectée que toute autre industrie", s’est défendu Michel Piron, le PDG, dans un courrier adressé aux rapporteures.

Jacquie et Michel brandit ainsi son statut de diffuseur pour se décharger de toute responsabilité liée au contenu des vidéos mises en ligne. Pourtant, "les diffuseurs (...) savent très bien que certaines vidéos sont tournées dans des conditions déplorables, avec des abus. Ils mettent tout en œuvre pour ne pas être responsables. Je pense évidemment à Dorcel ou à Jacquie et Michel, qui installent des barrières", souligne le journaliste Robin d’Angelo, auteur de Judy, Lola, Sofia et moi, une enquête sur le milieu de la pornographie en France.

Ces abus, longtemps ignorés par la justice française, pourront-ils être jugulés? Avec cette critique acerbe de l’industrie du porno, les sénatrices espèrent éveiller les consciences et obtenir la mobilisation totale du gouvernement et de l’opinion publique afin d’engager un changement de paradigme.

Ambre Lepoivre Journaliste BFMTV