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Police-Justice

Une pétition lancée pour recenser les policiers et gendarmes auteurs de violences intra-familiales

Les agressions visant les policiers et gendarmes ont fortement augmenté, en 2013.

Les agressions visant les policiers et gendarmes ont fortement augmenté, en 2013. - Thomas Samson - AFP

Le collectif Abandon de famille - Tolérance zéro estime que les forces de sécurité impliquées dans des violences envers les femmes ne sont pas en mesure d'apprécier correctement la gravité des plaintes d'autres victimes.

"On a besoin de forces de l’ordre intègres pour venir à bout des violences faites aux femmes." Pour garantir ce prérequis, le collectif Abandon de famille - Tolérance zéro lance une pétition dans laquelle il réclame au ministère de l’Intérieur d’effectuer "l'inventaire" des policiers et gendarmes "agresseurs de femmes et enfants".

Cette demande, soutenue ce mardi par plus de 23.000 signatures, surgit après une révélation du Canard enchaîné. Fin juillet, l’hebdomadaire a fait savoir que le policier qui avait recueilli en mars la plainte de Chahinez Daoud contre son mari violent - avant qu'il ne la brûle vivante début mai à Mérignac - venait d'être condamné pour "violences habituelles sur son ex-conjointe".

"C’est inadmissible que ces hommes restent en contact avec des victimes. Ils ne peuvent pas avoir une bonne interprétation de la grille d'évaluation du danger que les forces de sécurité doivent remplir en cas de violences conjugales", tempête Sandrine Bouchait, de l’Union nationale des familles de féminicides, et qui soutient la pétition.

"Leur implication dans des affaires de violences affecte leur appréciation de la gravité des comportements. Les agents s’identifient à l’auteur des violences, minorent leurs actes et rejettent la parole de la victime", expose Stéphanie Lamy, cofondatrice de l’association, contactée par BFMTV.com.

"Briser l'omerta"

Pour ces raisons, son collectif réclame que les membres des forces de l’ordre violents soient recensés. "Une telle enquête permettrait de briser l’omerta autour de ce phénomène et d’affecter les mis en cause dans des services où ils ne sont pas amener à enregistrer des plaintes", explique Stéphanie Lamy qui tient à préciser:

"Il ne s’agit pas de bafouer la présomption d’innocence en divulgant leur nom, mais de communiquer un chiffre. Et de laisser aux chefs de services la responsabilité de muter les agents impliqués dans des affaires de violences."

Elle souligne par ailleurs que la condamnation du policier ayant "(mal)traité le dossier de plainte Chahinez Daoud" ne figure pas dans le rapport de la mission d'inspection commandée par le ministre de l’Intérieur pour identifier les différentes failles du processus judiciaire dans cette affaire.

"Le fait que cette information ait été occultée est encore plus grave que la condamnation en elle-même", estime Stéphanie Lamy. "Cela montre qu’on ne veut pas imaginer les forces de l’ordre en tant que prédateurs."

Pourtant, en 2016, sur 11.961 appels au 3919, la profession de l’agresseur était précisée dans 1210 cas, et 115 dénonçaient des faits commis par des policiers ou gendarmes, note Sophie Boutboul dans son livre Silence on cogne, co-écrit avec Alizé Bernard. "Ce n’est pas un épiphénomène", souligne Anaïs Leleux, fondatrice du collectif Pourvoir féministe qui soutient également la pétition d’Abandon de famille - Tolérance zéro.

"Certes les violences conjugales concernent tous les corps de métier, mais mettre en place ce recensement dans le cas des policiers et gendarmes a un sens car cette implication empêche leur neutralité dans le traitement de ces affaires. Par ailleurs, cela aiderait leurs conjointes à faire les démarches judiciaires qui sont encore plus difficiles dans leur situation", nous expose Anaïs Leleux.

En effet, dénoncer des violences est une épreuve dont la difficulté est indiscutable, mais elle revêt un caractère encore plus complexe quand il s’agit de déposer plainte face à un collègue de son agresseur. Le statut de policier ou de gendarme est dissuasif, constate Sophie Boutboul dans son enquête sur le sujet. En compilant les témoignages de femmes victimes de leur conjoint gendarme ou policier, elle a pu mettre en exergue des menaces similaires.

"Du côté de l’agent violent, les même phrases reviennent: ‘C’est moi la loi’, ‘c’est ta parole contre la mienne’, ‘je connais le procureur, la plainte reviendra sur mon bureau’", enumère la journaliste qui dénonce également l’utilisation d’outils mis à leur disposition par l’Etat pour nuire à leur victime.

"Des policiers ou gendarmes violents ont fait usage de logiciels espions, de mise sur écoute et de leur armes pour faire du mal à leur compagne", explique-t-elle. Un constat partagé par Stéphanie Lamy qui, par le biais de son collectif, a mis en ligne fin juillet un formulaire permettant aux femmes dans cette situation de partager leur drame. Entre les classements sans suite et les abus de position, les témoignages abondent.

"J’ai voulu aller porter plainte mais il m’en a dissuadée en me menaçant (...) Aujourd’hui, il est brigadier chef et il prend certainement des plaintes (...) Par sa fonction, il s’est cru au-dessus des lois", écrit l’une d’entre elles.

"Chasse aux sorcières"

Face à de tels abus, les associations militantes réclament que les sanctions disciplinaires interviennent plus rapidement, "sans attendre une condamnation pénale définitive, avec notamment la confiscation de l'arme", propose Stéphanie Lamy, rappelant que sur les 102 victimes de féminicide en 2020, deux ont été tuées par un fonctionnaire avec son arme de service. De son côté, Anaïs Leleux juge nécessaire que la question de l’enregistrement d’une plainte à l’encontre d’un collègue soit abordée dans les formations des forces de l’ordre sur le thème des violences conjugales.

"C’est une chasse aux sorcières", souffle Denis Jacob, secrétaire général du syndicat Alternative police. "Tout cela sous-entend qu’il y aurait une omerta couverte par la hiérarchie", un postulat qu’il récuse. "Les policiers sont déjà lourdement sanctionnés quand les faits sont avérés", insiste-t-il.

Le ministère de l'Intérieur l'a d'ailleurs rappelé dans un note adressée le 2 août au directeur de la police nationale. Par souci d'exemplarité, Gérald Darmanin indique que tout policier ou gendarme a l'obligation de "rendre compte au plus vite à sa hiérarchie de toute mise en cause ou condamnation pénale dont il fait l'objet et dont il a connaissance". Dans une telle hypothèse, le ministre précise que sa hiérarchie a le devoir de l'affecter "immédiatement à des missions qui ne le mettent pas en contact avec du public", évitant ainsi les prises de plaintes.

Le 30 mars dernier, la députée de la République en Marche, Fiona Lazaar, avait quant à elle formulé une question au gouvernement afin de connaître les "modalités de suspension du port d'arme" dans ce cadre spécifique. Une interrogation pour l'heure restée sans réponse.

Ambre Lepoivre Journaliste BFMTV