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"Un homme qui veut échapper à son destin": Jean-Baptiste Rambla de nouveau jugé pour meurtre

Le palais de justice de Toulouse (Haute-Garonne), en avril 2008 (PHOTO D'ILLUSTRATION).

Le palais de justice de Toulouse (Haute-Garonne), en avril 2008 (PHOTO D'ILLUSTRATION). - ERIC CABANIS / AFP

Jean-Baptiste Rambla est jugé à partir de ce lundi à Toulouse pour avoir tué Cintia Lunimbu, en juillet 2017. Presqu'un demi-siècle plus tôt, il était le seul témoin de l'enlèvement de sa sœur par Christian Ranucci, l'un des derniers condamnés à mort.

On aura beau répéter qu’il s’agit avant tout de "l’affaire Lunimbu", les démons de "l’affaire Ranucci", du nom de l’un des derniers Français condamnés à mort, ne vont cesser de planer sur la cour d’assises de Haute-Garonne. Jean-Baptiste Rambla comparaît à partir de ce lundi à Toulouse pour le meurtre de Cintia Lunimbu, égorgée dans son appartement à l’été 2017.

46 ans auparavant, c’était lui, le seul témoin, à six ans, de l’enlèvement de sa sœur, Marie-Dolorès par Christian Ranucci. L’affaire - et les débats sur la culpabilité réelle du condamné - est devenue l’un des plus célèbres feuilletons judiciaires, suscitant passions et colères dans une société alors en plein débat sur la peine capitale. Mais la mort de la fillette a surtout enfermé Jean-Baptiste Rambla dans une psychose dont il n’a jamais pu se défaire depuis.

Enfant victime devenu meurtrier

C’est un meurtre sans mobile qui laisse un goût âpre. Le corps sans vie de Cintia Lunimbu, employée de ménage de 21 ans, est découvert dans son studio toulousain le jeudi 27 juillet 2017. L’autopsie conclut à une mort des suites d’une plaie avec un objet tranchant ayant sectionné la carotide et la jugulaire.

Le meurtrier lui a fait subir "une souffrance intolérable", témoigne auprès de BFMTV.com l’avocat de la famille, Me Simon Cohen.

Un ADN est relevé à divers endroits de l’appartement, ainsi que sous les ongles de la victime: celui de Jean-Baptiste Rambla, rapidement identifié par les enquêteurs. Le principal suspect n’est pas un inconnu de la justice. Il a déjà été condamné à 18 ans de réclusion criminelle en 2008 par la cour d’assises des Bouches-du-Rhône pour homicide volontaire. Le quinquagénaire est sorti de détention un an et demi avant les faits, bénéficiant d’une libération conditionnelle.

Mais la vie de Jean-Baptiste Rambla a basculé des décennies plus tôt, lors du week-end de Pentecôte 1974. Il joue alors avec sa sœur Marie-Dolorès, devant son immeuble du quartier populaire des Chartreux à Marseille, quand un homme les accoste, prétendant avoir égaré son chien noir. L’enfant fait le tour de l’immeuble, tandis que la fillette reste avec l’inconnu. C’est la dernière fois qu’est vue Marie-Dolorès vivante.

Le corps de sa sœur de huit ans est retrouvé le lendemain dans un bois à quelques kilomètres de là. Dans les rues de la cité phocéenne, le meurtre est dans toutes les conversations. Bientôt, les médias s’emparent de l’affaire et le drame connaît un retentissement national. Christian Ranucci est rapidement arrêté par la police et passe aux aveux. Seul témoin de la scène, Jean-Baptiste Rambla échoue à identifier le ravisseur. Un deuxième échec, après celui de n’avoir pu protéger sa sœur, dont il était si proche.

En croisade contre Le Pull-over rouge

Le procès deux ans plus tard se déroule dans un climat explosif et aboutit à une condamnation à la peine capitale. Il est guillotiné en 1976. Depuis, de nombreuses voix, illustrées par le célèbre ouvrage Le Pull-over rouge de Gilles Perrault, crient à l'erreur judiciaire. Un affront pour Jean-Baptiste Rambla, qui a promis à son père sur son lit de mort de continuer le combat pour faire éclater la vérité et taire les détracteurs.

"Il est nourri d’un ressentiment constant inoculé par son père, qui l’a embarqué dans sa croisade contre Le Pull-over rouge. Notre client a embrassé cette cause qui l’habite depuis de manière pathologique", analysent ses avocats, Me Aurélie Joly et Me Frédéric David, contactés par nos soins.

Mais alors quel est le lien entre ce fait divers des années 1970 et le meurtre sordide de Cintia Lunimbu? Aucun. Et tout en même temps. Lorsqu’il est interpellé, Jean-Baptiste Rambla nie dans un premier temps les faits. "Il ne pouvait faire face à son propre regard, de se revoir à nouveau en tueur, et celui des siens, qui l’avaient absous sans doute un peu vite après la première condamnation", avancent ses avocats. Face à l’évidence des preuves, il finit par reconnaître sa culpabilité, sans admettre réellement sa responsabilité.

"C’est je, je, je…"

Le jour du crime, il dit avoir été victime d’une agression par un couple dans un parc. Exalté par une consommation de cocaïne, il se sent soudain épié par une femme depuis la fenêtre d’un appartement. Jean-Baptiste Rambla raconte alors avoir pénétré dans l’immeuble, puis pris les escaliers. "Plus il monte les marches, plus la colère monte."

Quand il sonne au domicile de la victime qui lui ouvre la porte, l’accusé ne voit pas son visage, mais celui de tous ses ennemis, qui le tourmentent depuis tant d’années: Gilles Perrault, les journalistes, les avocats… "Il s’acharne sur le visage de la jeune fille. Elle essaye de se relever, il prend le cutter pour l’achever", relatent Me Aurélie Joly et Me Frédéric David.

Cette version est loin de convenir à la famille de la victime, si tant est qu’une quelconque version puisse les satisfaire. Pour leur avocat, Jean-Baptiste Rambla a agi de façon lucide et organisée. Il est "incapable d’altruisme, égocentré": "C’est je, je, je…" Me Cohen balaye l’idée de justifier le passage à l’acte par le lourd passé familial de l’accusé.

"Ce qu’il a vécu est un événement traumatisant, mais cela n’a pas fait de lui un être psychotique. Il n’a pas perdu sa conscience. Il ne faut pas se laisser happer par ça, c’est juste un homme qui veut échapper à son destin", tranche le pénaliste toulousain.

Un mal profond

Ses avocats n’ont aucunement l’intention de lui faire prendre la place de la victime ou d’occulter la souffrance de la famille sur le banc des parties civiles. "On ne veut pas créer de déséquilibre, piétiner la place de la victime. Mais il faut prendre la mesure de cette biographie traumatique", jugent-ils.

Christian Ranucci, entouré de policiers à Marseille, après avoir avoué le meurtre de Marie Dolores Rambla, le 9 juin 1074.
Christian Ranucci, entouré de policiers à Marseille, après avoir avoué le meurtre de Marie Dolores Rambla, le 9 juin 1074. © STF / AFP FILES / AFP

Les expertises psychiatrique et psychologique ont conclu que l’accusé n’était pas atteint, au moment des faits, d’un trouble ayant aboli son discernement. Mais ils reconnaissent que Christian Rannucci est devenu "un personnage organisateur central de sa construction psychique".

Aujourd’hui, Jean-Baptiste Rambla encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Lors de la première condamnation, cette victimisation constante et ce ressenti pathologique ont pu être sous-estimés, envisagent ses avocats. "On ne lui avait jamais expliqué qu’il était habité par un mal profond. Depuis, il y a eu une prise de conscience."

Esther Paolini Journaliste BFMTV