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TOUT COMPRENDRE - Les "pressions" dans l'affaire Fillon

Eliane Houlette, ex-procureure du parquet national financier

Eliane Houlette, ex-procureure du parquet national financier - AFP

Interrogée dans le cadre d’une commission parlementaire, l’ancienne procureure du parquet national financier a expliqué avoir subi des "pressions" lors de l’enquête sur les emplois présumés fictifs du couple Fillon. De quoi relancer le débat sur l’indépendance de la justice.

"Coup monté", "le parquet, un bras armé"... Les déclarations de l’ancienne procureure du parquet national financier devant une commission parlementaire ont apporté des arguments au clan Fillon, qui a toujours dénoncé une "enquête à charge". Plus largement, c’est une nouvelle fois l’indépendance de la justice, notamment dans les affaires politico-financières, qui est remise en cause.

Evoquant des “pressions” de sa hiérarchie pendant la conduite de cette enquête politoco-financière, l'ancienne cheffe du parquet national financier Eliane Houlette a toutefois "regretté" vendredi que ses propos aient été "déformés ou mal compris". Elle rejette l’idée d’avoir subi des pressions politiques.

Malgré ces explications, plus largement, c’est une nouvelle fois l’indépendance de la justice, notamment dans les affaires politico-financières, qui est remis en cause. Nomination des procureurs, mise en examen, pressions hiérarchiques… BFMTV.com revient sur l’organisation de la justice en France.

> Dans quel contexte l’ancienne procureure du PNF a parlé de “pressions” hiérarchiques?

Mercredi 11 juin, l’ancienne procureure du parquet national financier (PNF), en charge notamment des affaires sensibles, est entendue dans le cadre de la commission parlementaire sur les obstacles à l’indépendance de la justice, présidée par le député de La France insoumise Ugo Bernalicis. Eliane Houlette est alors interrogée sur le fonctionnement de son parquet concernant l'enquête sur les soupçons d'emplois fictifs concernant le couple Fillon.

"J'ai été convoquée au parquet général, j'y suis allée avec trois de mes collègues d'ailleurs, parce que le choix procédural que j’avais adopté ne convenait, pour m'engager à changer de voie procédure (...) c'est un contrôle très étroit, et ce sont des pressions très lourdes", explique-t-elle sous serment devant les députés.

Les pressions dont la magistrate parle sont le fait du parquet général, dirigé par Catherine Champrenault, qui début 2017, alors que la justice vient d’être saisie du scandale Fillon, a réalisé de "très, très nombreuses demandes" auprès du PNF. Eliane Houlette, dit, très librement, que le parquet général s’ingérait "au quotidien dans l’action publique". "Je les ai ressenties comme une énorme pression", ajoute-t-elle. 

> Quel rôle a joué le parquet général dans l’enquête sur François Fillon?

En évoquant le parquet général, Eliane Houlette fait référence à sa supérieure hiérarchique: la procureure générale de Paris Catherine Champrenault. Dans l’organisation de la justice française, chaque parquet est rattaché à un parquet général qui dirige les poursuites de l'action publique, c'est-à-dire les poursuites pour défendre l'intérêt de la société. En pratique, il coordonne les différentes actions du procureur de la République.

Les magistrats du parquet sont eux nommés par décret présidentiel sur proposition du ou de la garde des Sceaux, après avis simple du conseil supérieur de la magistrature non contraignant pour le ministère de la Justice. Certains exemples apportent des arguments à ceux qui estiment que le pouvoir politique s'immisce dans le fonctionnement de la justice. Ce fut le cas lorsque François Molins a quitté son poste de procureur de la République de Paris en 2018. Selon Le Canard enchaîné, la présidence de la République a écarté trois candidats, impliquant un nouvel appel à candidature. "Le fait du prince", avait alors dénoncé le Syndicat de la magistrature.

De cette nomination suscite de nombreuses critiques quant à l’indépendance de la justice et surtout du parquet. "Tout le monde sait que le parquet général fait remonter les informations Place Vendôme à la direction des affaires criminelles et des Grâces (DACG), qui rédige ensuite des synthèses au ministre", assure un magistrat à Marianne. Selon les règles en vigueur, le parquet général peut demander des remontées d’information aux parquets et les transmettre à la DACG, composante de la Chancellerie, qui peut les faire suivre au cabinet du garde des Sceaux. En revanche, la loi Taubira de 2013 interdit au ministre de donner des instructions dans les dossiers individuels.

Catherine Champrenault a d’ailleurs répondu aux déclarations d’Eliane Houlette auprès de l’AFP et dit regretter que ce qui est le fonctionnement régulier du ministère public soit assimilé à des "pressions".

> Les “pressions” évoquées responsables de la mise en examen de François Fillon?

Deux éléments ressortent des déclarations d’Elianne Houlette. L’ancienne procureure du PNF explique que le parquet général lui demandait de faire des remontées d'informations sur le dossier (actes d’enquête, auditions, notes des avocats…) mais également qu'il exerçait des "pressions" concernant le choix procédural dans l’enquête sur François Fillon et sur la temporalité de ces choix. L'ancienne procureure du PNF rejette d'ailleurs depuis avoir subi des pressions du politique, dans un texto adressé au Monde.

"Ce n'est pas une surprise, c'est quelque chose qu'on subodorait", a déploré sur BFMTV Me Antonin Levy, l’avocat de François Fillon. "On sent que depuis le début il y a quelque chose de biaisé, de pourri dans ces investigations."

Le parquet est toujours à l’origine de l’ouverture d’une enquête. On parle alors d’enquête préliminaire. A son terme, le parquet peut faire le choix d’engager des poursuites, de clore l’enquête ou de nommer un juge d’instruction, notamment lorsque les investigations s’annoncent complexes, avec un grand nombre d’actes d’enquête, ou pour les affaires sensibles. C’est dans le cadre de cette information judiciaire qu’une personne peut être mise en examen.

Eliane Houlette a été convoquée par le parquet général le 15 février 2017, trois semaines à peine après l’ouverture de l’enquête préliminaire le jour même de la publication des révélations du Canard enchaîné. “On m’engageait à changer de voie procédurale, c’est-à-dire à ouvrir une information judiciaire, explique-t-elle devant la commission parlementaire. J’ai reçu une dépêche du procureur général en ce sens.” Eliane Houlette ne fléchit pas mais ouvre finalement une information judiciaire le 24 février, mais seulement pour éviter la prescription d’un certain nombre de faits reprochés au couple Fillon.

"Dans une procédure de ce type, ne pas nommer un juge d’instruction à un moment aurait été une reproche qui lui aurait été fait", note Didier Paris, député LaREM de Côte d’Or et ancien magistrat.

Pour la défense de François Fillon, qui a toujours dénoncé “une enquête à charge”, partiale, cette précipitation du parquet général n’a eu qu’un seul but: accélérer la mise en examen du candidat de la droite à quelques semaines de l'élection présidentielle. L’ancien Premier ministre a en effet été mis en examen le 14 mars 2017, soit deux jours avant la date limite de dépôt des parrainages, pour notamment "détournements de fonds publics". Le choix du juge d'instruction Serge Tournaire, réputé pour sa sévérité, est également mis en cause car il s’est fait dans des conditions peu habituelles comme l’ont révélé les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans Apocalypse, les années Fillon.

"On a volontairement et sciemment changé le rôle de nomination des juges pour apointer un magistrat spécifique dont on savait qu'il mettrait, comme un TGV, François Fillon en examen, faisant fi de l’enquête, des preuves, des actes à établir (...) Il fallait une mise en examen urgente par des juges à peine saisis, un vendredi soir, à la sortie des bureaux, presqu’à la lumière des chandelles. On a choisi une personne pour parvenir à une fin."

> Quelles conséquences sur l’affaire Fillon?

François et Penelope Fillon ont été jugés en février dernier pour "détournement de fonds publics", "recel de détournement de fonds publics", "abus de biens sociaux" et "manquement aux obligations déclaratives de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique". Lors de ce procès, l’épouse de l’ancien Premier ministre a eu du mal à justifier les tâches qu'elle aurait remplies en tant qu'assistante parlementaire. Le jugement va être rendu le 29 juin prochain.

"Ces déclarations pour ce dossier, ce n’est plus le sujet", tranche Me Antonin Levy. "L’audience a déjà eu lieu, nous avons débattu, nous avons apporté nos 45 attestations et témoins, ce n’est plus le débat. C’est peut-être d'un point de vue plus global de se poser la question de l'indépendance de notre pouvoir judiciaire dans ces affaires les plus sensibles mais peut-être de manière plus générale."

Pour l'avocat de François Fillon, les déclarations de l'ancienne procureure du PNF pourraient éventuellement avoir un impact sur une autre procédure, engagée celle-ci par l’homme politique pour dénoncer les fuites dans la presse des éléments tout au long de l’enquête. "On se contente de regarder", explique Me Levy, qui appelle à réentendre Catherine Champrenault dans le cadre de la commission parlementaire.

"Quelles ne soient pas illégales c'est très juste car on est dans le rapport hiérarchique, les questions qui peuvent se poser avec ces remontées d’informations, c’est que ces informations elles ont servi à quoi?", questionne le député de la France insoumise Ugo Bernalicis, le président de cette commission. Finalement, Eliane Houlette a posé la question: ‘Je fais remonter des informations, mais je ne sais pas à quoi elles servent. Est-ce que c'est uniquement pour la procureure générale auquel cas il y a un secret partagé ou est-ce que ça remonte puis ensuite au ministre, est-ce que ces informations ont servi au pouvoir politique?"

Le député Les Républicains Eric Ciotti a lui saisi le président de la République, Emmanuel Macron, et la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, pour réclamer une saisine du Conseil supérieur de la magistrature et l’ouverture d’une enquête judiciaire pour "forfaiture".

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV