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Terrorisme

Trèbes: autopsie d'un attentat

Le 23 mars 2018, c'est l'effroi à Trèbes. Cette ville sans histoire de l'Aude est frappée par un attentat islamiste. Un an après, BFMTV est revenu sur les lieux et remonte le déroulé de cette attaque dans un supermarché grâce à des témoignages exclusifs. Une attaque au cours de laquelle la France a découvert un héros: le colonel Arnaud Beltrame.

Le 23 mars 2018, la France a les yeux rivés sur la commune de Trèbes. De 10 heures du matin au milieu de la journée, Radouane Lakdim, un jeune homme de 25 ans, a tué quatre personnes, dont un colonel de gendarmerie, et blessé trois autres au cours d'un périple meurtrier qui s'est achevé dans un supermarché. Près d'un an après cet attentat islamiste, revendiqué par Daesh, BFMTV est revenu sur place.

Dans ce document inédit diffusé ce lundi 11 mars à 20h50, ceux qui ont croisé le regard du terroriste, des rescapés parfois miraculés, reviennent pour la première fois sur cette attaque qui a brisé leur vie. Les équipes de BFMTV nous plongent dans ce huis-clos entre le terroriste et le colonel Beltrame qui a pris volontairement la place d'une otage. Un an après, une question demeure: une erreur a-t-elle été commise lors d'opération qui a conduit à la mort du colonel Arnaud Beltrame?

"J'étais mort mais pas mort"

De Renato Da Silva, on peut parler de miraculé. Le jeune homme, qui n'avait jamais pris la parole publiquement depuis le 23 mars 2018, vit depuis près d'un an avec une balle dans la tête. Il est la première cible de Radouane Lakdim. Ce matin là, à 10h10, Renato discutait avec un autre homme sur un parking. Le terroriste s'est dirigé vers eux avant d'ouvrir le feu. Va s'en suivre deux heures de souffrances pour Renato; l'homme qui l'accompagnait est lui mort sur le coup.

"J'étais mort mais pas mort", raconte Renato Da Silva, qui, blessé à la tête, a trouvé la force d'appeler sa mère. "Quand je regarde, il y a du sang partout, il était par terre, je hurle", abonde la mère du jeune homme, témoin sans pouvoir pour agir sur la souffrance de son fils.

La mère de Renato Da Silva va alerter les secours. Grâce à cet appel passé en mode vidéo, les gendarmes vont reconnaître le lieu, connu dans la région pour y accueillir des rencontres homosexuelles. Le jeune homme va passer 11 jours dans le coma. Radouane Lakdim est lui déjà loin. Après avoir fait sa première victime, le terroriste, à bord d'un véhicule volé, a pris la route. Sur son trajet, il a croisé trois policiers de la compagnie de sécurité républicaine 53, en entraînement. Il leur tire dessus et fait un blessé.

"Je vais tuer"

Radouane Lakdim, jeune homme de 25 ans, membre d'une fratrie de 5, et fiché S depuis 2014, a poursuivi sa route. A 10h38, il se gare sur le parking du Super U de Trèbes. Va alors débuter un huis-clos de 4 heures qui va s'achever par la mort de trois personnes et celle du terroriste. Le premier à subir la folie de l'islamiste s'appelle Christian Medvès, le boucher du magasin, qui discutait avec une caissière, Marie. Le terroriste arrive par derrière, regarde droit dans les yeux de la jeune femme avant de lui dire: "C'est comme ça qu'on fait", puis tire. Christian Medvès est abattu, de dos, d'une balle dans la tête.

En quelques dizaines de secondes, la panique s'empare du supermarché. Les clients s'enfuient dans les rayons. Patricia pousse son caddie dans l'allée centrale du magasin, entend le jeune homme hurler: "Daesh, soldat de Daesh, je suis là pour tuer, je vais tuer." "J'ai poussé mon caddie certainement sur lui et je suis partie en courant dans le fond du magasin", poursuit-elle. "Je me suis dit que c'était le Bataclan en deuxième partie."

Christian, ancien policier à la retraite, se souvient du regard du terroriste, "froid, déterminé", "c'est la mort". Lui-aussi va se retrouver face à Radouane Lakdim. "Il me repère, il sort en courant, il me braque en même temps, 'viens ici, viens ici'. Je suis pas armé, lui il a un couteau de chasse, un pistolet." Pendant ce temps, la musique du magasin continue de tourner dans les enceintes.

Tandis que les caissières, comme Marie, continuent de se cacher sous leur caisse, Radouane Lakdim fait une deuxième victime. "Tiens pour toi c'est gratuit", lance-t-il à Hervé Sosna, de dos aussi, avant de lui tirer une balle dans le crâne. Puis, agacé, il demande à tout le monde de se coucher au sol. C'est là qu'il va se diriger vers une petite pièce derrière l'accueil où s'est réfugiée Julie, hôtesse d'accueil. Le forcené va la saisir et en faire son otage.

"Une scène magnifique et surréaliste"

Au plus fort de l'opération, 125 gendarmes sont déployés sur place. Le plus haut gradé arrivé en premier sur les lieux est le colonel Arnaud Beltrame, numéro 3 de la gendarmerie locale. Vers 11 heures, une colonne de cinq hommes et le colonel vont entrer dans le magasin. Rapidement, le gradé prend la tête de l'opération. "Taisez-vous c'est moi qui négocie", intime-t-il. Va se produire "une scène magnifique et surréaliste", selon les témoins. Dans un geste hors protocole, il va déposer son arme, lever les bras et demande à prendre la place de l'otage.

"Il (Arnaud Beltrame, NDLR) lui demande ce qu'il veut, alors l'autre il lui répond qu'il veut qu'on libère la Syrie, la Libye", raconte Marie, témoin de cet échange entre le colonel et le terroriste. "Sa réponse, c'est 'la Syrie, d'accord, et après?' L'autre il lui dit: 'mais tu me prends pour un con?' Et donc il lui a dit: 'par contre la petite dame là, elle vous a rien fait, donc si vous voulez parler avec quelqu'un, vous parlez avec moi'."

"Il était en mesure de prendre à son compte la situation, il s'est senti la capacité de le faire", estime Damien Beltrame, son frère, pour qui il était impossible d'empêcher le gendarme de s'échanger volontairement avec la caissière.

Un contact va alors être établi entre le négociateur du GIGN et le terroriste grâce au portable d'Arnaud Beltrame. Au bout de 3 minutes et 4 secondes de négociation, des bruits de lutte sont entendus, le colonel crie "attaque, assaut, assaut". Puis trois tirs. Le colonel Beltrame a-t-il tenté de neutraliser lui-même son agresseur? "Arnaud, s'est dit 'c'est maintenant ou jamais, si je ne le fais pas, je vais me faire abattre (...) mieux vaut avoir une chance sur 10 que zéro chance. Il a sauté sur un gars qui avait déjà le goût du sang dans la bouche", ajoute le frère du gendarme. Il est 12h13. La situation est confuse, plus aucun contact n'est établi avec le colonel ou le terroriste.

Acte planifié

Tandis que le GIGN, parti de la base de Satory, tarde à arriver, l'intervention menée par les hommes de l'antenne de Toulouse est lancée 11 minutes plus tard. Radouane Lakdim est tué par les forces de l'ordre. Le colonel Beltrame est retrouvé au sol, blessé, plusieurs balles dans le bras, les mains et le pied, il a été poignardé au cou. Transporté en urgence à l'hôpital, il est décédé quelques heures plus tard. Un délai d'intervention fatal à celui qui est devenu l'image du "héros français", "le premier héros qu'on peut nommer dans cette guerre"? Sa hiérarchie rappelle le risque de piégeage du supermarché qui empêchait une intervention immédiate. De lui, le président de la République avait dit qu'il méritait "respect et admiration de la nation tout entière".

L'enquête a prouvé que l'acte de Radouane Lakdim a été planifié. Le jeune homme, qui avait caché un sabre sous son matelas et une boite de munitions au domicile de ses parents, avait fait des repérages, choisi ses cibles et notamment le parking des Aigles, ce repère pour les rencontres homosexuelles. Aujourd'hui, cinq personnes sont mises en examen dans ce dossier dont une jeune fille considérée comme la compagne du terroriste.

De son côté, Trèbes continue de panser ses plaies. Un an après ce drame, ils espèrent tous une venue d'Emmanuel Macron, le président de la République, pour les commémorations, estimant avoir été abandonnés par le gouvernement. Alors que les cicatrices sont encore ouvertes, malgré le courage et l'optimisme des habitants, la ville a également été frappée par des inondations ravageuses en octobre 2018. 6 personnes sont mortes.

Marie Peyraube, Quentin Baulier, Estelle Caserus et Alexandre Funel (avec J.C.)