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Terrorisme

Où en est le fichage des passagers des compagnies aériennes européennes?

Un guichet d'enregistrement à l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle.

Un guichet d'enregistrement à l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle. - Fred Dufour - AFP

Dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont établi une liste de personnes non autorisées à prendre un avion atterrissant sur le territoire américain. Ce fichier comporte aujourd’hui 47.000 noms. Les autorités fédérales obligent également les compagnies aériennes à leur livrer les données qu’elles collectent sur les passagers souhaitant se rendre outre-Atlantique. Qu’en est-il en Europe? Avant même la série d’attentats qui ont endeuillé la France la semaine passée, le sujet était à l’ordre du jour.

Fin novembre, le Premier ministre britannique a assuré que son pays allait introduire de nouvelles règles pour lutter contre les jihadistes (article payant). David Cameron entend notamment obliger les compagnies aériennes à intégrer, dans un fichier interactif, les données collectées sur leurs passagers. Objectif? Permettre aux services de renseignement d’empêcher une personne suspecte de se rendre sur le territoire britannique par avion. La compagnie se verra contrainte de lui refuser l’accès à bord.

La France a, elle, instauré depuis le 1er janvier un fichier officiel inspiré du modèle américain connu sous le nom de PNR (Passenger name record). Les compagnies aériennes desservant l’Hexagone sont tenues de collecter les données fournies par les voyageurs, lors de la réservation de leur billet d'avion. Il s'agit de l'identité du passager (nationalité, nom, prénom, date de naissance), de l'itinéraire qu’il emprunte, des noms des éventuels passagers voyageant avec lui si l’achat s’est fait concomitamment, du moyen de paiement, et aussi du numéro de siège, bagages, etc...).

Elles doivent également fournir les données d'enregistrement et d'embarquement de chaque passager (API, advanced passenger information, dans le jargon aérien). En revanche, elles ne doivent pas faire apparaître dans les données envoyées des informations protégées par la loi Informatique et libertés de 1978: les éventuels repas spéciaux souhaités (casher, hallal…) ou les problèmes de santé nécessitant le recours à du personnel supplémentaire.

Collecte de données

Le décret ne précise pas quelle est la vocation de ce fichier. Servira-t-il uniquement à faciliter le traçage des allers et venues des personnes suspectées d’accointances avec la mouvance jihadiste? Ou la France entend-elle à terme suivre le modèle britannique et américain qui prône l’interdiction d’accès ou de retour sur le territoire national comme le souhaite Nicolas Sarkozy? Le président de l'UMP a en effet préconisé, ce lundi 12 janvier, d'interdire de territoire les Français de retour de jihad en Syrie.

Le gouvernement allemand estime, lui, surtout urgent de pouvoir déterminer les habitudes de déplacement des terroristes potentiels et de déterminer plus facilement l'objet de leurs séjours à l'étranger, dans des camps d'entrainement ou sur des zones de conflit. De même que la collecte d’informations sur les passagers voyageant avec lui permettrait d'établir d’éventuels liens avec des personnes inconnues des services de renseignement. Une approche qui rejoint celle de son homologue français, Bernard Cazeneuve qui insistait dimanche sur les avantages de cette collecte de données permettant de "suivre ceux qui se rendent sur le théâtre des opérations terroristes ou en reviennent".

Désaccords européens

Mais il reste une question en suspens: l’efficacité de ces mesures décidées au niveau national alors que d’autres pays membres de l’Espace Schengen ne les appliquent pas. Aujourd’hui, un jihadiste peut très bien passer entre les mailles du filet. Il lui suffit d’entrer dans l’espace Schengen via un pays qui n’exige aucun fichage des passagers aériens. Il peut même ensuite voyager sur certaines compagnies qui, comme Air France ou Lufthansa, n’exigent pas la présentation de pièce d’identité pour embarquer au sein de l’espace Schengen. Une mesure destinée à automatiser et donc accélérer l’embarquement. Une personne souhaitant voyager "incognito" peut donc acheter un billet avec une identité usurpée sans que personne ne s’en rende compte dès lors qu’il n’enregistre aucun bagage en soute.

Sans harmonisation européenne, le système de surveillance français comporte donc des failles. Bernard Cazeneuve le concède indirectement: "Il faut progresser de façon urgente vers l'établissement d'un PNR européen" qui "permet l'échange des données concernant les passagers aériens entre les Etats membres" avec "toutes les garanties de protection des données personnelles" reconnaissait dimanche le ministre de l’Intérieur. Reste à convaincre les parlementaires européens qui bloquent ce dossier au nom de la défense des libertés individuelles. Avant les attentats de Paris, ces derniers étaient très hostiles à une législation européenne sur le sujet. "La conservation des données des dossiers des passagers à grande échelle engendre une illusion de sécurité qu'elle ne nous assure pas dans les faits. De plus, les droits des citoyens européens seraient compromis par ce dispositif. Nous ne devons pas céder et renoncer à nos valeurs démocratiques", insistait par exemple fin octobre l’eurodéputé sociale-démocrate allemande, Birgit Sippel interrogée par le site Euractiv. La série d’attentats à Paris pourrait bien changer la donne avec une opinion publique souhaitant un renforcement des moyens de surveillance.

Pierre KUPFERMAN