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Terrorisme

Le 15h17 pour Paris: Clint Eastwood contrarie "la vérité judiciaire" dans son film

Clint Eastwood sur le tournage du 15h17 pour Paris

Clint Eastwood sur le tournage du 15h17 pour Paris - Philippe Huguen - AFP

Sorti mercredi, le dernier film de Clint Eastwood traite de l'attentat raté dans un train Thalys reliant Amsterdam à Paris le 21 août 2015. Une reconstitution cinématographique qui intervient alors que la demande de l'avocate du principal suspect pour une reconstitution judiciaire vient de lui être refusée par la justice.

Moins de trois ans après les faits, l'attentat raté du Thalys s'affiche sur grand écran. Mercredi, le dernier film de Clint Eastwood est sorti en France. Le 15h17 pour Paris, qui se veut une reconstitution authentique, prend pour point de départ cet événement qui aurait pu être tragique lorsqu'un homme, armé d'une Kalachnikov, surgit des toilettes du wagon 12. Son arme s'enraille, des passagers se lèvent pour le désarmer. Parmi eux, trois jeunes Américains, Alek Skarlatos, Spencer Stone et Anthony Sadler. Un autre voyageur est blessé par le tir d'une balle avec un pistolet.

A la sortie du film, la défense du principal suspect s'étonne de cette reconstitution orchestrée par le réalisateur américain sur la seule base du récit des trois "héros" dans un livre. "Je trouve qu'il y a une confusion des genres tout à fait choquante, estime Me Sarah Mauger-Poliak. Ce film est une atteinte grave à la sérénité de la justice, à la loyauté des débats, à la présomption d’innocence et aux droits de la défense." Le conseil du suspect craint alors que ce long-métrage, et surtout la version unilatérale des faits, ait un impact sur une instruction toujours en cours.

Reconstitution judiciaire refusée

A l'origine de l'attaque ratée du Thalys, un homme: Ayoub El-Khazzani. Il s'agit d'un Marocain de 25 ans signalé par les autorités espagnoles comme appartenant à la mouvance islamiste radicale et fiché S par les services de renseignement français. Interpellé au moment des faits, l'homme a été mis en examen en France pour "association de malfaiteurs terroristes en vue de la préparation d'un ou plusieurs crimes d'atteinte aux personnes". Il est depuis incarcéré à la prison de Bois-d'Arcy, dans les Yvelines.

Depuis le mois d'août 2015, le terroriste présumé à été entendu à de nombreuses reprises par le juge d'instruction en charge du dossier. Il le sera à nouveau dans le courant du mois de février alors qu'un nouveau magistrat instructeur - l'un déjà en charge du dossier des attentats du 13-Novembre - a récupéré l'enquête. Parcours familial et professionnel, liens avec la mouvance jihadiste.... au cours de l'un de ces interrogatoires, Ayoub El-Khazzani a expliqué avoir reçu des instructions d'Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur sur le terrain des attaques de Paris.

"Mon client n'a jamais été interrogé sur ce qui s'est passé dans le Thalys", se désole Me Mauger-Poliak, qui annonce que sa demande de reconstitution des faits, judiciaire celle-ci, a été rejetée le 5 février. "On me répond que c'est inutile puisqu'il y a le film", déplore l'avocate.

Multiplication des films sur les attentats

La vérité apportée sur grand écran est celle d'Alek Skarlatos, Spencer Stone et Anthony Sadler, décorés de la Légion d'honneur. Ils jouent leur propre rôle dans le long métrage de Clint Eastwood. La défense du suspect y voit une nouvelle ingérence dans l'enquête. "Comment espérer de ces acteurs-victimes ou témoins qui auront appris et intériorisé leur rôle à l’écran, la spontanéité et la sincérité que suppose la justice, lorsqu’ils seront les acteurs, non plus d’un film mais d’un procès?", note Me Sarah Mauger-Poliak, qui envisage désormais d'attaquer la Wagner pour demander la suspension de la diffusion du film le temps de l'enquête.

"Ce qui est nouveau avec le film de Clint Eastwood - que je n'ai pas encore vu -, c'est la mise en abyme des victimes qui jouent leur propre rôle", note de son côté Stéphane Lacombe, directeur adjoint de l'Association française des victimes du terrorisme (AFVT), dans le JDD. La liste des films traitant des attentats est longue. A chaque fois, le sujet a été traité quelques années après que l'événement a eu lieu, comme ce fut le cas pour World Trade Center d'Oliver Stone ou Vol 93 de Paul Greengrass sortis tous deux en 2006 et traitant des attaques du 11 septembre 2001. 

"On constate la multiplication d'oeuvres artistiques en tout genre sur les attentats, relève-t-on à l'association Life for Paris. On fait attention à ce que ça ne réveille pas de souvenirs traumatiques." A la fin du mois de décembre dernier, l'association qui regroupe de nombreuses victimes des attaques du 13-Novembre avait salué "que la pudeur et la retenue l'emportent" après la suspension, par France 2, d'un projet de téléfilm prenant pour décors Paris au soir des attentats. Une pétition recueillant plus de 35.000 signatures demandait son annulation. "Nous ne sommes pas dans la censure, mais nous avons une responsabilité vis à vis du travail de mémoire", conclut-on à Life for Paris.

Justine Chevalier