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Terrorisme

Jihad: l'Islam, un prétexte face à la soif de violence

Secours et forces de sécurité dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015 près du Bataclan à Paris

Secours et forces de sécurité dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015 près du Bataclan à Paris - François Guillot - AFP

Peter Harling et Raphaël Liogier, deux experts de la radicalisation de jeunes jihadistes expliquent comment le jihad au nom de Dieu est finalement devenu le moyen d'expression d'une violence sans bornes.

Ils invoquent Allah à chaque phrase mais pour les jihadistes d'un genre nouveau, comme ceux qui ont ensanglanté Paris le 13 novembre, l'islam est un prétexte permettant surtout de canaliser une révolte intime et une soif de violence, estiment des experts.

Une culture musulmane sommaire 

Convertis de fraîche date, maîtrisant mal ou pas du tout l'arabe, jonglant avec des concepts qu'ils comprennent à peine ou dont ils tordent le sens, ils ont trouvé dans Daesh une structure souple et pragmatique au sein de laquelle peut s'épanouir leur désir de radicalisation, ajoutent-ils.

"Leur culture musulmane est sommaire, voire quasiment nulle", confie Peter Harling, du groupe de réflexion International crisis Group (ICG). "En fait ceux qui ont la culture musulmane la plus solide sont les moins susceptibles de se ranger du côté de l'EI".

Dans une tribune intitulée "Tuer les autres, se tuer soi-même", il estime que "l'aspect le plus troublant des massacres commis à Paris est qu'ils ressortent d'une violence intime".

L'expression d'une "violence pornographique"

Daesh "a offert un espace concret où une violence pornographique pouvait s'exprimer, se chercher, se désinhiber et monter en puissance. Ce n'est pas un hasard si les convertis européens en ont été les principaux agents. Dépourvus d'expérience militaire, de formation religieuse et généralement de compétence linguistique, ils ont défini leur valeur ajoutée dans une ultraviolence qui évoque le film de Stanley Kubrick Orange mécanique par son sadisme, mis en scène avec les talents instinctifs de communicants formés à l’ère de Facebook", poursuit Peter Harling.

Radicalisation: de la violence au delà de la théologie

Directeur de l'Observatoire du religieux, professeur à l'IEP d'Aix, Raphaël Liogier a étudié les profils de dizaines de jihadistes ou aspirants-jihadistes français.

"Aucun de ceux qui sont intervenus sur le sol français, de Mohamed Merah jusqu'à ceux du 13 novembre, sont passés par une formation théologique de fond ou par une intensification progressive de la pratique religieuse", dit-il. "Ce sont des gens qui sont dans un rapport à la violence, parce que l'islam est actuellement synonyme de violence antisociale. Ils veulent exprimer leur désir d'être antisocial".

"Le Coran, je m'en tape"

"Ils prennent des postures de fondamentalistes, mais ce ne sont que des postures", dit-il. "Ils passent seulement dans les mosquées, prient moins que les autres. Ils cultivent un style que j'appellerais néo-afghan, à la recherche d'une espèce de romantisme néo-guerrier".

Une victime de l'attaque contre le Bataclan évacuée par les secours le 14 novembre 2015 à Paris
Une victime de l'attaque contre le Bataclan évacuée par les secours le 14 novembre 2015 à Paris © Miguel Medina - AFP

"Comme ils sont d'origine maghrébine et qu'on leur dit qu'ils sont potentiellement musulmans et que l'islam a une image négative, ça devient désirable pour eux. Dans les années 80, ils seraient devenus punks ou entrés dans des mouvements d'extrême-gauche ou d'extrême droite", ajoute Raphaël Liogier. "Ils sautent directement dans le jihad, parce qu'ils ont pour point commun la délinquance, des problèmes dans leur enfance et le désir d'être des caïds".

Un policier spécialisé a confié à l'Agence France Presse (AFP) que, pendant un interrogatoire, un apprenti-jihadiste lui avait déclaré: "Moi, le Coran, je m'en tape. Ce qui m'intéresse, c'est le jihad".

Le jihad pour apaiser une révolte personnelle

Cette thèse de l'instrumentalisation de l'islam par des jeunes jusqu'au-boutistes en quête d'un idéal violent est également défendue par le politologue spécialiste de l'islam Olivier Roy, qui dans une tribune intitulée "Le jihadisme est une révolte générationnelle et nihiliste", explique que "Daech puise dans un réservoir de jeunes Français radicalisés qui, quoi qu'il arrive au Moyen-Orient, sont déjà entrés en dissidence et cherchent une cause, un label, un grand récit pour y apposer la signature sanglante de leur révolte personnelle".

"Le problème essentiel pour la France n'est donc pas le califat du désert syrien, qui s'évaporera tôt ou tard comme un vieux mirage devenu cauchemar. Le problème, c'est la révolte de ces jeunes", ajoute-t-il. "Il ne s'agit pas de la radicalisation de l'islam mais de l'islamisation de la radicalité".

La récupération habile de Daesh

Les chefs du groupe État islamique, parmi lesquels figurent des anciens des services secrets irakiens de l'ère Saddam Hussein, ont compris comment canaliser et utiliser cette violence.

"C'est un mouvement très flexible, qui peut récupérer tout un tas de dynamiques", ajoute Peter Harling. "Il se passe d'un soubassement idéologique solide et parvient à représenter beaucoup de choses très différentes pour beaucoup de gens très différents".
A.-F. L. avec AFP