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Image des secours, la nuit des attaques du 13 novembre 2015.

KENZO TRIBOUILLARD

"J'ai juste ouvert ma porte": le 13-Novembre, ils ont accueilli chez eux des victimes des attentats

À partir de ce mercredi, les victimes du Bataclan commencent à témoigner au procès des attentats du 13 novembre 2015. Ce soir-là, des Parisiens ont ouvert leurs portes aux rescapés, ainsi qu'aux égarés qui cherchaient un refuge. Un geste simple mais qui symbolise toute la solidarité qui a éclos après les attaques.

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"Je vais bien, mais j’irais encore mieux en sachant que vous aussi." À partir de 21h16, le 13 novembre 2015, l’effroi envahit les rues de Saint-Denis et de Paris pour une nuit interminable. Mais alors que deux explosions font trembler les gradins du Stade de France et que des fusillades sèment la panique dans le 11e arrondissement, une solidarité inespérée émerge au cœur de la capitale.

Réfugié dans son appartement de la rue Saint-Denis après un début de soirée dans un bar de la rue Quincampoix, Romain rassure ses proches via Facebook en indiquant qu’il est en sécurité chez lui.

Plus tôt, c’est un ami qui l’a alerté par SMS: "Ça pète de partout dans ton quartier."

Il partage alors son adresse sur les réseaux sociaux pour offrir un refuge aux égarés. Son colocataire Benjamin est traversé par le même élan de solidarité. En rentrant de soirée, il ramène chez eux cinq personnes croisées dans la rue, désorientées par cette nuit traumatisante.

Un policier à proximité du Bataclan, le soir des attentats du 13 novembre 2015.
Un policier à proximité du Bataclan, le soir des attentats du 13 novembre 2015. © DOMINIQUE FAGET / AFP

"Scénario lunaire"

À deux kilomètres de là, rue de Lappe, la soirée tranquille d’Arthur est elle aussi bouleversée. Alors que ses yeux naviguent entre Mad Men et le fil d’actualités de Twitter, le jeune homme prend conscience que des attaques se déroulent non loin de chez lui. Entre 21h24 et 21h36, trois fusillades éclatent dans des bars et restaurants, d’abord au Carillon et au Petit Cambodge, puis à La bonne bière, au Casa nostra et enfin à La belle équipe. À 21h41, une explosion souffle le Comptoir Voltaire.

Un coup de fil rend "ce scénario lunaire très réel", explique-t-il à BFMTV.com. Une amie, accompagnée de son père et de sa demi-sœur, vient de quitter le bar dans lequel elle se trouvait à Bastille et cherche un abri.

"Je les accueille et on se met sur une chaîne d’info en continu pour suivre ce qui se passe. Dans le même temps, je m’aperçois qu’un groupe de quatre jeunes s’est réfugié dans la cour de mon immeuble après avoir quitté un resto. Donc je leur fais signe et leur dis de monter se réchauffer", raconte ce Parisien "pure souche", dit-il.

Quelques minutes plus tard, un nouvel appel lui glace le sang. "Une amie me demande d’accueillir un de ses potes désemparé qui a réussi à s’enfuir du Bataclan".

À 21h47, la salle de concert dans laquelle résonne la musique des Eagles of death metal a été prise d’assaut par un dernier commando lourdement armé. "Rémi se trouvait près de la scène. En entendant les premiers coups de feu, il a escaladé une rambarde et s’est échappé par les coulisses. Mon amie lui a donné mon adresse et il a pu nous rejoindre", se souvient Arthur.

"Quand il débarque chez moi, il a le tee-shirt couvert de sang, il est complètement secoué. Je lui passe une chemise propre, il appelle ses parents pour les rassurer, on discute", avec, en toile de fond, les images terribles de cette soirée qui défilent à la télévision.

Réfugiés dans les étages

Parallèlement, au 20 rue Oberkampf, à moins de 300 mètres du Bataclan, Alexandre interrompt aussi sa soirée, initialement consacrée à regarder le match de foot France-Allemagne. Dans la cour de son immeuble, comme chez Arthur, des personnes effrayées ont trouvé refuge. "Je fais tout de suite le lien avec les gens qui se trouvaient dans le Bataclan et qui ont pu en sortir", nous détaille le trentenaire originaire de Pau. Immédiatement, il a le réflexe de les faire monter chez lui.

"Mais en ouvrant la porte de l’appartement, je découvre qu’il y a des rescapés jusqu’à mon palier, au deuxième étage."
La cage d'escalier de l'immeuble d'Alexandre.
La cage d'escalier de l'immeuble d'Alexandre. © Ambre Lepoivre

Une femme "de 25-35 ans" lui demande si elle peut entrer pour boire un verre d’eau et se laver les mains, "pleines de sang". Ils se retrouvent à 14 dans son logement de 60 mètres carrés. Ici aussi, la télévision est allumée sur une chaîne d’info en continu. "On est tous captivés par les images." Des petits groupes se forment, certains appellent leurs proches, d’autres discutent entre eux.

"J’entends une jeune femme raconter qu’elle s’est protégée derrière un homme qui est mort sous les balles, il lui a sauvé la vie en sacrifiant la sienne. Une autre pleure beaucoup, elle tremble, elle a très froid", raconte Alexandre, étudiant à l’époque.

"Chaleur humaine"

Dehors, un silence de plomb pèse sur le quartier habituellement remué par le brouhaha des fêtards. Cette anormale quiétude est brutalement rompue par l’assaut des forces de l’ordre dans la salle de concert. Les membres de la BRI et de la BAC s’engagent dans un affrontement final avec les terroristes.

"Ça a été un moment très marquant. On entendait tous les tirs. Ça paraissait interminable", se remémore Alexandre. "Et c’était d’autant plus perturbant d’entendre tout cela avec des personnes qui se trouvaient dans cette salle quelques temps plus tôt", poursuit-il.

Rue de Lappe, le moment est "bizarre mais unique". "On est en état de choc et en même temps, il y a beaucoup de chaleur humaine", rapporte Arthur, qui se souvient que ses convives d'infortune lui ont "sifflé toutes ses bières" pendant les heures passées ensemble.

Insomnie

Chacun sort peu à peu de sa torpeur. "Mon amie, son père et sa demi-sœur s’en vont vers 1h ou 2h du matin, on raccompagne Rémi au métro Ledru-Rollin. Sa mère a réussi à venir en voiture jusqu’à Nation et l’attend là-bas", ajoute le Parisien qui, une fois seul chez lui, ne peut trouver le sommeil. Chez Alexandre comme chez Romain et Benjamin, les appartements se vident aussi, à peu près à la même heure. Épuisés, comme vidés par la charge émotionnelle de cette nuit du 13 novembre, ils ne parviennent pas non plus à fermer l'œil.

Alexandre reste obnubilé par une image. Dans la cour de l’immeuble voisin, un hôpital de fortune s’est créé de toute pièce pour recevoir en urgence les blessés du quartier, entièrement bouclé par les forces de sécurité. La fenêtre de sa cuisine lui offre une vue plongeante sur cette "scène de guerre".

La cour de l'immeuble voisin à celui d'Alexandre, dans laquelle un hôpital de fortune s'est créé la nuit du 13 novembre 2015.
La cour de l'immeuble voisin à celui d'Alexandre, dans laquelle un hôpital de fortune s'est créé la nuit du 13 novembre 2015. © DR

"Il y avait sept ou huit personnes par terre, d’autres étaient installées sur des brancards, reliées à des perfusions. Les pompiers s’affairaient autour de chacune d'elles", visualise le Palois.

Il ne se défait pas de cette vision particulièrement marquante: "Je me souviens des pompiers qui recouvraient les corps d’un drap jusqu’à la tête…"

Alexandre n’a jamais osé entrer dans cette cour voisine, tant le souvenir qu’il en garde est vif et difficile. Mais la solidarité qu’il a trouvée dans le quartier les jours qui ont suivi les attentats a réussi à atténuer ce choc. "De voir les fleurs et tous les recueillements dans les rues autour, ça a créé un sentiment très fort, un réconfort après ces drames et un attachement profond à ce lieu."

Une soirée gravée dans les mémoires

Le trentenaire est d’ailleurs resté encore deux ans dans son appartement avant de déménager à seulement quelques numéros, dans la même rue. Il n’y a pas un jour sans qu’il ne songe à ce 13 novembre 2015. Les victimes anonymes comme celles qu’il a accueillies chez lui restent gravées dans sa mémoire, même s’il n’a, à ce jour, plus de contact avec elles.

"Je sais que deux jours plus tard quelqu’un est revenu sonner chez moi pour me remercier mais je n’étais pas là. Ça s'arrête là", glisse-t-il. Derrière son regard doux et son grand sourire, l'humilité se fait sentir.

"Je n'ai aucune fierté à tirer de ce que j'ai fait. J'ai juste ouvert ma porte et servi des verres d'eau. J'ose espérer que tout le monde en aurait fait autant."

Du côté d’Arthur, la rupture a été moins franche. Il a continué à voir Rémi quelques temps, avant que le lien ne s'effrite. "Mais je pense à lui chaque 13 novembre", souffle-t-il.

Ambre Lepoivre et Esther Paolini