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Terrorisme

Face à la menace terroriste, jusqu'où peut-on aller?

Deux policiers dans une rue parisienne, le 11 janvier 2015.

Deux policiers dans une rue parisienne, le 11 janvier 2015. - Joël Saget - AFP

Centres de rétention, assignation à résidence des fichés S ou moyens des renseignements renforcés sont les mesures en débat après le drame de Magnanville.

Deux jours après le meurtre de deux policiers à Magnanville, une question reste sur toutes les lèvres: comment le tueur, Larossi Abballa, a-t-il pu commettre un tel acte terroriste alors qu'il avait déjà été condamné pour participation à une filière jihadiste, déjà mis sur écoute et fiché S? Une question qui en appelle une autre: comment peut-on combattre la menace terroriste et ainsi améliorer la sécurité dans notre pays?

En réaction au drame de lundi, le débat politique s'est lancé dans une surenchère sécuritaire. Deux propositions sont notamment évoquées: la création de centres de rétention et l'assignation à résidence des fichés S. Mais ces mesures peuvent-elles être mises en place au vu du droit actuel? Et comment leur efficacité est-elle perçue? BFMTV fait le point.

> Créer des centres de rétention: interdit par l'état d'urgence et l'Etat de droit

Une proposition de loi a été déposée mardi par Eric Ciotti, Guillaume Larrivé et Christian Jacob afin de donner "au ministre de l’Intérieur le pouvoir d’assigner, dans un centre de rétention fermé, tout individu à l'égard duquel il existe des raisons sérieuses de penser qu’il constitue, par son comportement, une grave menace pour la sécurité nationale".

Premier problème: de tels centres sont formellement interdits par la loi sur l'état d'urgence, qui prohibe "la création de camps" rassemblant les personnes "dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics". 

Le second problème renvoie à la question de savoir précisément "qui on veut placer de ces centres?", interroge Anne Giudicelli, spécialiste du monde arabo-musulman et directrice du cabinet de conseil Terrorisc. S'il s'agit d'y placer ceux qui font l'objet d'une fiche S (pour atteinte à la sûreté de l'Etat), c'est contraire à notre législation: "On n'emprisonne pas quelqu'un qui n'a pas commis d'actes répréhensibles" par la justice, souligne ainsi Anne Giudicelli. A l'occasion de précédents débats sur l'enfermement des fichés S, le député socialiste Jean-Jacques Urvoas avait déjà rappelé que "la fiche S est un élément de surveillance, pas un élément de culpabilisation". Créée par les services de renseignement, elle reste un outil d'alerte lors des contrôles par les forces de l'ordre et peut contenir des erreurs.

En conséquence, le député Les Républicains Laurent Wauquiez a plaidé mercredi pour "une réforme de la Constitution" afin de donner la possibilité d'incarcérer des citoyens qui n'ont jamais été condamnés. Dans ce cas, il faudrait interroger l'efficacité d'une telle mesure. Regrouper des personnes aux degrés de dangerosité plus ou moins similaires comporte souvent le risque de voir les plus radicaux influencé les plus radicalisés.

> Assigner à résidence les fichés S: l'Etat de droit l'interdit, l'état d'urgence le permet

Proposée par Nicolas Sarkozy, l'assignation à résidence des fichés S est contraire à l'Etat de droit pour la même raison que leur enfermement est impossible: ces personnes ont été repérées comme dangereuses mais ne sont pas encore passées à l'acte.

Pour autant, l'état d'urgence permet aujourd'hui au ministre de l'Intérieur d'assigner à résidence une personne s'il "existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public". Donc des fichés S. Cette mesure - qui prévoit un contrôle judiciaire et/ou le port d'un bracelet électronique - a été utilisée par le gouvernement ces derniers mois. L'idée de la droite serait de la généraliser. Seulement la France compte plus de 10.000 personnes fichées S dont certaines sans lien avec le jihadisme ou une entreprise terroriste, tel un hooligan, un manifestant altermondialiste ou un opposant actif à la construction de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Le Conseil d'Etat a d'ailleurs déjà suspendu une assignation à résidence jugée abusive selon lui.

Sans oublier qu'assigner à résidence un fiché S revient à l'avertir qu'il fait l'objet d'un tel fichage, avec le risque d'entraver le travail le surveillance dont il peut faire l'objet sans forcément que les éléments suffisants pour une condamnation soient réunis. Après les attentats de novembre, Jean-Jacques Urvoas avait fait valoir que 147 personnes se trouvaient en détention provisoire "parce que les fiches ont permis de nourrir les dossiers".

> Améliorer les services de renseignement: de la difficulté d'anticiper

Ces deux propositions ont pour l'instant été écartées par le gouvernement. "La seule réponse possible, c'est les moyens que nous mettons au service des forces de sécurité et de la justice (...) au nom même de la République et de l'Etat, (...) toujours dans le respect de nos libertés fondamentales", a ainsi déclaré Manuel Valls mardi.

Pour la spécialiste des risques politico-sécuritaires Anne Giudicelli, ce sont nos méthodes de renseignement qu'il faut améliorer, et notamment les critères de surveillance retenus: 

"Ces critères évoluent mais toujours après coup. Le profil dominant d'une personne radicalisée en prison, qui est partie ou a tenté de partir au front est la base dominante actuelle. Mais elle peut évoluer et se diversifier. Elle doit donc sans cesse réévaluée."

Anne Giudicelli souligne ainsi que "la mouvance jihadiste a adopté une stratégie de dissimulation: ses membres travaillent à se fondre dans la masse, à se rendre anonymes et indétectables". "Cet aspect n'est pas assez pris en compte, estime-t-elle. (...) Il faut s'intéresser aux façons qu'un individu repéré une première fois a d'arborer ensuite la normalité". D'où la nécessité selon elle d'améliorer notre base données et le profilage des individus surveillés.

Ma. G.