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Terrorisme

Attentats: comment Abdelhamid Abaaoud a-t-il pu rentrer en France sans être repéré?

Abdelhamid Abaaoud a pu rentrer de Syrie jusqu'en France sans être repéré par les services anti-terroristes.

Abdelhamid Abaaoud a pu rentrer de Syrie jusqu'en France sans être repéré par les services anti-terroristes. - Capture BFMTV

Le parquet de Paris a confirmé la présence d'Abdelhamid Abaaoud, commanditaire présumé des attentats du 13 novembre, parmi les personnes tuées lors de l'assaut du Raid à Saint-Denis mercredi matin. Le Belgo-marocain a donc pu se rendre de Syrie jusqu'en Seine-Saint-Denis alors qu'il faisait l'objet d'un mandat d'arrêt international.

Il n'était pas en Syrie, mais bien en France, à Saint-Denis, tout près des lieux des attentats qu'il est soupçonné d'avoir organisés. Abdelhamid Abaaoud a été tué lors de l'assaut du Raid dans un appartement de Saint-Denis mercredi matin, comme l'a confirmé le parquet de Paris. L'homme était recherché par toutes les polices européennes, et soupçonné d'avoir commandité plusieurs attentats majeurs sur le continent, dont les attentats du 13 novembre à Paris et Saint-Denis. Il a pourtant réussi à se rendre de Syrie jusqu'en Seine-Saint-Denis, traversant plusieurs frontières sans se faire remarquer. Aux yeux de nombreux spécialistes, ce raté met en lumière des failles graves dans le fonctionnement des services de renseignement européens.

"On peut penser qu'il est resté ici pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, car il avait été signalé en Belgique au mois de janvier", a souligné Arnaud Danjean, député européen et ancien membre de la DGSE, sur BFMTV. "A priori il est rentré en Syrie entre-temps, puis il est revenu. Donc il y a le problème des frontières, et puis il y a le problème sur notre sol, parce qu'une fois ici il a été en contact avec des gens, il a été au sein d'un réseau dont on découvre aujourd'hui qu'il a été important numériquement parlant, et tout ça sans éveiller de soupçons?"

Schengen pointé du doigt

Pour beaucoup de spécialistes du renseignement, le fonctionnement même des frontières européennes est en partie responsable de ces déplacements en toute impunité. "Schengen est formidable pour les gens "normaux", mais c'est une passoire quand on a affaire à des terroristes ou des mouvements criminels importants", souligne Alain Juillet, ancien patron de la DGSE, sur BFMTV.

L'accord de Schengen permet la libre circulation des personnes au sein des pays qui en font partie (vingt-six à l'heure actuelle), sans contrôles aux frontières. Pour celui qui voudrait traverser le continent, il n'y a qu'une barrière à franchir. Pas forcément un obstacle, selon Alain Juillet: "Il n'est pas exclu que [Abdelhamid Abaaoud] soit entré avec un faux passeport. On est dans le système de Schengen: une fois que vous êtes rentré dans un pays à la frontière de l'Europe, après vous pouvez vous balader partout."

La difficile coordination entre les pays

Mais si l'Europe permet la libre circulation des individus, elle a plus de difficultés à faire circuler les informations entre les services de renseignement de ses différents pays, selon certains experts. "Le degré de mobilisation des policiers, et des services en général, contre le terrorisme est différent d'un pays à l'autre, pour de multiples raisons", explique Alain Juillet. "À partir de ce moment-là, les renseignements qu'on peut obtenir et échanger ne sont pas toujours de la même qualité".

Les membres des services de renseignement pointent ainsi du doigt le manque de fichier commun des flux de populations en Europe, à l'image de ce qui se fait aux États-Unis avec le PNR (passenger name record, ou fichier des dossiers passagers). Cette base de données recense les informations personnelles de tous les voyageurs qui transitent par avion vers les États-Unis. Un exemple dont beaucoup aimeraient s'inspirer en Europe, non seulement pour les voyageurs aériens, mais pas seulement.

"Nous ne pourrons pas à long terme contrôler l'ensemble des frontières", affirme sur BFMTV Christophe Rouget, commandant de police et membre du syndicat des cadres de la sécurité intérieure. "Le retour en arrière est impossible. En revanche, il faut prendre des mesures fortes pour que l'espace Schengen soit sécurisé, qu'on mette enfin en place les fichiers européens des passagers (PNR), tant sur le plan aérien que sur le plan maritime ou terrestre, et améliorer cette coordination pour être plus efficaces".

Manque de moyens

Enfin, les syndicats des forces de l'ordre n'ont pas manqué de rappeler le manque de moyens qui leur sont accordés pour lutter contre le terrorisme, situation qu'ils dénoncent régulièrement. "Nous avons eu des pertes d'effectifs conséquentes à cause de la RGPP (révision générale des politiques publiques, série de réformes visant à réduire les dépenses de l'État et améliorer les politiques publiques, lancée en juillet 2007) dans la police, dans la gendarmerie, mais aussi dans les douanes", souligne Christophe Rouget.

"Il faut donner les moyens aux policiers français, en simplifiant les procédures judiciaires et les procédures administratives, de dégager du temps pour lutter contre le terrorisme", ajoute-t-il. C'est donc également au niveau de l'administration française que doivent se poser les questions des failles à corriger.

"La machine administrative en général est quelque chose de très long", explique Luc Poignant, du syndicat Unité SGP Police. "Un exemple, on nous a promis un changement d'armement, ça a été voté, ça a été payé, ça a été commandé, et ça fait depuis le mois de février qu'on l'attend."

H. M.